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- 911 - Révision constitutionnelle au Togo: «Nous avons clairement fait le choix d'un régime parlementaire»
Au Togo, il n'y aura plus de présidentielle au suffrage universel. L'Assemblée nationale a adopté ce 25 mars une nouvelle Constitution qui donne tous les pouvoirs au chef du parti – désormais « président du conseil des ministres » – qui gagnera les législatives. Est-ce le poste que vise l'actuel président, Faure Gnassingbé, au terme des législatives du mois prochain ? Entretien avec Innocent Kagbara, député du Parti démocratique panafricain et signataire de la proposition de loi constitutionnelle.
RFI : Innocent Kagbara, la réalité du pouvoir va passer du président de la République au président du Conseil des ministres, mais sur le fond, qu'est ce qui va changer ?
Innocent Kagbara :Fondamentalement, ça veut dire que nous quittons un régime qui était hybride. On ne savait pas si c'était un régime présidentiel ou semi-présidentiel, mais maintenant, nous avons fait clairement le choix d'un régime parlementaire où le centre du pouvoir est au Parlement. Donc, le parti qui gagne les élections législatives dirige le pays, très simplement. C'est un peu comme ce qu’il se passe en Allemagne ou en Grande-Bretagne. Dorénavant, c'est le Parlement qui sera au cœur de la démocratie togolaise, où le parti qui va gagner les élections aura le choix de nommer le président du Conseil des ministres, et son chef pourra éventuellement devenir le président du Conseil des ministres. Il y a dorénavant une séparation claire de la fonction du président de la République, qui est une fonction représentative, qui est la première personnalité de l'État et qui est la personne qui est garante du bon fonctionnement des institutions de la République, et le cœur du pouvoir exécutif. Évidemment, [ce pouvoir exécutif] reviendra au président du Conseil des ministres.
Qui sera le chef des armées ?
Le Président du Conseil des ministres sera dorénavant le chef des armées.
Et qui conduira les affaires de la nation ?
C'est le président du Conseil des ministres qui conduira dorénavant les affaires de la nation avec un contrôle renforcé du Parlement. C'est un changement de régime.
Et qui représentera le Togo dans les conférences internationales, par exemple ?
C'est le cœur du pouvoir qui est dorénavant le président du Conseil des ministres. Mais rien n'interdit au président de la République, qui est la première personnalité de l'État également, de faire des déplacements hors du pays. Donc le président du Conseil des ministres sera le cœur de l'exécutif, mais le président de la République, quand même, garde son rôle de première institution et de garant des institutions de la République.
Mais alors, concrètement, Innocent Kagbara, si au terme des législatives du 20 avril prochain, le parti au pouvoir Unir reste majoritaire, est-ce que le chef de ce parti, Faure Gnassingbé, deviendra président du Conseil des ministres ?
Ce que nous savons, le texte le dit clairement, c’est que le parti qui gagne les élections, le chef du parti, sera de factoproposé pour occuper le poste du président du Conseil des ministres.
Et dans six ans, après les législatives de 2030, ce sera le même système, ce sera le chef du parti vainqueur qui deviendra président du Conseil des ministres ?
Oui, tout à fait. Dans ce système, ce qui est intéressant, c'est que les partis doivent aller les uns envers les autres, puisque parfois, à l'issue des élections, il faut une coalition pour pouvoir diriger le pays. C'est un système qui oblige les gens à se parler, à avoir un véritable programme de société, à diriger, si possible, le pays ensemble. Donc, en 2030, si c'est Unir qui gagne les élections, il reviendra toujours à Unir de proposer le poste du président du Conseil des ministres.
Alors, si la Constitution actuelle avait été conservée, Faure Gnassingbé aurait été atteint par la limitation des mandats. Il aurait dû quitter le poste de président de la République au plus tard en 2030. Avec la nouvelle Constitution, il peut donc devenir président du Conseil des ministres ad vitam æternam, non ?
Non, pas du tout. Je pense que la loi est impersonnelle. Nous n'avons pas fait une Constitution par rapport à une famille ou à par rapport à une certaine catégorie. Elle est impersonnelle et n'importe quel Togolais peut prétendre devenir le président du Conseil des ministres, ce qui est tout à fait normal.
Mais tout de même, Monsieur le député, est-ce que ce passage à un système parlementaire ne permet pas au régime actuel d'échapper à la limitation des mandats présidentiels et de pouvoir se perpétuer indéfiniment ?
Non, parce que ceux qui nous font le procès du ad vitam æternam, je voudrais simplement dire que maintenant, si on est dans le schéma de l'ancienne Constitution et si vous dites, par exemple, que le parti au pouvoir va gagner les élections de 2025, rien n'empêche ce parti d'avoir son candidat pour 2030 et au-delà de 2030.
Oui, mais à condition de changer de candidat, puisque, dans ce schéma, Faure Gnassingbé serait atteint par la limitation des mandats en 2030...
Alors, cette question revient au parti Unir, qui doit dégager son candidat. Moi je gère, je dirige un parti. Il ne me revient pas de me prononcer sur les affaires concernant un autre parti. Ce que vous dites, je le comprends. Mais la question de la limitation de mandats, il ne faut pas oublier que, dans certains pays, les gens ont touché une virgule à la Constitution et les compteurs sont revenus à zéro.
Mais tout de même, Monsieur le député, avec ce système parlementaire, il n'y a plus d'élections présidentielles. Donc, le chef de l'exécutif échappe désormais à toute règle de limitation des mandats présidentiels, sommes-nous bien d’accord ?
La limitation des mandats présidentiels, je tiens à vous le rappeler, c'est nous qui l'avons introduite en 2019 quand nous sommes arrivés au Parlement. Avant notre arrivée au Parlement, il n'y avait pas de limitation de mandat au Togo. Maintenant, si nous passons à un régime parlementaire, nous qui sommes panafricanistes, qui avons depuis des années sorti des ouvrages et prôné la démocratie parlementaire, nous voulons faire en sorte que le Parlement puisse décider des affaires de la nation, sans regarder forcément si on doit faire une loi contre une personne. Donc, je comprends aisément ce que vous êtes en train de dire. C'est vrai, je comprends. Mais je tiens à rappeler que c'est nous qui avons mis la limitation de mandat en 2019.
Dans la nouvelle Constitution, le président du Conseil des ministres sera élu par les députés pour une durée de 6 ans, mais est-ce qu'il pourrait être éventuellement renversé en cours de mandat par une motion de censure ?
Oui, la nouvelle Constitution permet, à travers des mécanismes, de pouvoir renverser ou désigner un autre président du Conseil des ministres s'il y a une motion de défiance, s'il y a une motion de censure. C'est également établi dans la nouvelle Constitution.
Prenons donc un exemple : si demain, le parti au pouvoir Unir n'a pas la majorité des sièges à lui tout seul dans la future Assemblée nationale, s'il doit nouer des alliances, le président du Conseil des ministres pourra être renversé en cours de mandat si un changement d'alliance intervient. C'est cela ?
Oui, comme dans toutes les démocraties parlementaires, ceux qui ont la majorité, que ça soit un seul parti ou plusieurs partis, dès que vous constituez votre majorité, tous ces scénarios peuvent être envisagés.
Donc, le futur président du Conseil des ministres sera responsable devant l'Assemblée nationale durant toute la durée de son mandat ?
Tout à fait, il est dorénavant responsable devant le Parlement et il doit pouvoir engager sa responsabilité. Ça renforce également l'action des parlementaires dorénavant.
Et s'il y a un changement d'alliance en cours de législature, le futur président du Conseil des ministres ne sera pas sûr de garder son poste ?
Voilà, le futur président du Conseil des ministres n'est pas sûr de finir ses six ans s'il y a une autre majorité qui se dégage au niveau du Parlement. Donc, s'il y a une autre majorité, il y aurade facto un nouveau président du Conseil des ministres.
Et le chef de l'exécutif, aura-t-il le pouvoir de dissoudre l'Assemblée nationale ?
Il y a aussi le mécanisme de dissolution de l'Assemblée nationale, sur proposition du président du Conseil des ministres, qui doit être soumis ou transmis au président de la République.
Selon la loi togolaise, les élections législatives se déroulent tous les cinq ans. Or, elles ne se sont pas tenues au mois de décembre 2023 dernier, comme prévu. Elles ont été reportées au 20 avril 2024. Est-ce que les députés, dont vous-même, Innocent Kagbara, qui ont adopté cette nouvelle Constitution, ne sont pas hors délai ? Et du coup, est-ce que leur vote n'est pas illégitime ?
Non, pas du tout. Dans cette matière, je pense qu'il y a jurisprudence. Depuis 2013 et 2018, les élections ne se sont jamais tenues à date et l'ensemble des législatures sont restées jusqu'à la prise de fonction effective de la nouvelle Assemblée. Donc, ça s'est passé en 2013, ça s'est passé en 2018 et ça se passe en 2024. Et ceux qui étaient là avant nous ont fonctionné jusqu'à notre prise de fonction effective et personne n’a jamais contesté les décisions ou bien les lois qui ont été votées au niveau du Parlement togolais. Donc, nous avons eu un petit décalage de trois ou quatre mois et les élections vont se tenir le 20 avril 2024. Pour une fois, nous nous réjouissons parce que l'ensemble de la classe politique et l'ensemble des acteurs seront présents pour ces élections du 20 avril 2024.
Suite au boycott des dernières législatives de 2018 par les principaux partis d'opposition, la nouvelle Constitution a été adoptée ce lundi 25 mars par une Assemblée nationale presque monocolore. Du coup, les évêques du Togo appellent le président Faure Gnassingbé à surseoir à sa promulgation et à débuter un dialogue inclusif. Qu'est-ce que vous en pensez ?
Ils sont dans leur rôle. C'est une demande qui a été faite au chef de l'État, attendons de voir la réponse que le chef d'État fera à cette demande des évêques.
Tout de même, Innocent Kagbara, le choix d'une nouvelle loi fondamentale, ça ne mérite pas qu'on essaye de faire un débat consensuel ?
Oui, l'article 144 de la Constitution est clair là-dessus : l'initiative de la réforme vient soit du chef de l'État, soit du Parlement. Dans ce cas de figure, c'est le Parlement. C'est une proposition qui est venue de 21 députés au niveau de l'Assemblée nationale. Donc, je tiens simplement à dire : oui, l'initiative vient du Parlement, le débat a été ouvert au niveau du Parlement, il y a eu beaucoup d'amendements et ce texte est beaucoup plus consensuel. Mais il n'empêchait pas qu'il puisse y avoir un débat sur le plan national. Je tiens à rappeler également que les modifications constitutionnelles, le vote des lois organiques ou des lois ordinaires, cela rentre dans les prérogatives du Parlement.
Et la promulgation de cette nouvelle Constitution, c'est pour quand ?
C’est dans la prérogative du chef de l'État, donc je ne saurais répondre à cette question, mais il a la latitude de promulguer la nouvelle Constitution d'ici 15 jours. Dans les 15 jours qui suivent le jour du vote.
Oui, le vote ayant eu lieu ce 25 mars, faut-il s'attendre à une promulgation d'ici le 11 ou le 12 avril 2024 ?
Je crois que j'ai déjà répondu à la question, il a la possibilité de pouvoir promulguer durant 15 jours. Donc, si le vote a été fait, vous pouvez faire le décompte.
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Thu, 28 Mar 2024 - 910 - Pape Ibrahima Kane: «Je ne suis pas sûr que la sortie du Sénégal du franc CFA sera rapide»
« Je suis porteur d'un panafricanisme de gauche », a déclaré le nouveau président sénégalais après l'annonce de sa victoire lundi 25 mars. Avec Bassirou Diomaye Faye au pouvoir, qu'est-ce qui va changer entre le Sénégal et ses voisins d'Afrique de l'Ouest d'un côté, entre le Sénégal et la France de l'autre côté ? Le chercheur sénégalais Pape Ibrahima Kane est un spécialiste des questions régionales en Afrique. Pour lui, cette alternance au Sénégal permet d'espérer un retour du Mali, du Burkina et du Niger dans la Cédéao.
RFI : Dans les quatre-vingts pages du projet de Bassirou Diomaye Faye, le mot souveraineté apparaît 18 fois. Sur le plan économique d'abord, quelles sont les conquêtes de souveraineté que vise le nouveau président ?
Pape Ibrahima Kane : Mais je pense que la première souveraineté qu'il veut conquérir, c'est la souveraineté de l'État sur ses ressources naturelles. On a le gaz, on a le pétrole. Il dit vouloir renégocier les contrats. Et on a aussi les phosphates, on a le zircon. L'agenda est vraiment de faire en sorte que le Sénégalais puisse jouir le maximum possible des ressources naturelles qui se trouvent sur son territoire.
Alors, dans le domaine du gaz et du pétrole offshore, le président sortant, Macky Sall, affirme que l'État sénégalais est déjà majoritaire dans tous ses contrats avec les compagnies internationales comme British Petroleum et la compagnie américaine Kosmos Energy. Qu'est ce qui va changer, demain, avec le nouveau président ?
Mais, ces contrats-là, Macky Sall a dit que le Sénégal était majoritaire, mais on attend de voir. Il n’y a pas l'information qui permet de vérifier tout cela. En plus, dans certains domaines, on partage le pétrole et le gaz avec un voisin, la Mauritanie, et l'on sait que les négociations ont été très rudes avec certaines compagnies comme BP, et peut-être que cette nouvelle présidence va nous permettre d'en savoir plus sur le dossier. Et comme eux-mêmes, ils disent qu'ils vont vouloir renégocier des contrats qu'ils considèrent comme léonins, on va certainement voir quel va être leur marge de manœuvre pour renégocier tous ces contrats.
Dans le domaine de la pêche, le nouveau président veut revoir les permis accordés aux acteurs étrangers. Qu'est-ce qu'il peut faire de ce côté-là ?
Ah là, il peut faire beaucoup de choses parce que beaucoup de ces contrats en réalité ont été octroyés à des Sénégalais qui les ont après sous-loués à des compagnies chinoises, en tout cas asiatiques de façon générale. Là, l'État a la possibilité en constatant que ce n'est pas celui qui a signé le contrat qui en est l'exécutant et donc peut remettre en cause beaucoup de ces contrats. D'autant plus que beaucoup de pêcheurs sénégalais se plaignent de la raréfaction du poisson à cause de ces compagnies qui disposent de matériel hautement sophistiqué. Donc, si l'État veut satisfaire, en tout cas, les demandes de ces dizaines de milliers de pêcheurs, il faudra faire quelque chose dans ce domaine. Et je pense que c'est possible pour le gouvernement de remettre un peu d'ordre dans ce secteur-là.
Sur le plan politique, « il faut sortir du néocolonialisme », disent les nouveaux dirigeants du Sénégal. Quelles mesures pourraient prendre Dakar vis-à-vis de Paris ?
Certainement, la plus facile à réaliser, c'est peut-être de demander la fermeture des bases militaires qui sont, Sonko l’a rappelé plusieurs fois, qui sont vraiment l'exemple de présence néocoloniale sur le territoire sénégalais. Et je pense également aux accords de défense, vouloir les renégocier et faire en sorte que le Sénégal ne soit plus dépendant de ses relations avec la France lorsqu'il s'agit de sécurité. Je dois même ajouter que [les nouveaux dirigeants du Sénégal] insistent sur la France, mais le Sénégal a aussi signé des accords avec les Américains. Vont-ils renégocier ces accords-là ? Vont-ils demander à la petite unité des forces américaines qui se trouve à l'aéroport de Yoff de quitter le territoire ? Ça, les semaines à venir nous diront ce que les autorités vont décider.
Donc, il faut s'attendre au départ des militaires français qui sont à Dakar depuis l'indépendance depuis 1960 ?
Certainement et la fermeture des deux grandes bases qui se trouvent à Dakar, la base maritime qui se trouve au port de Dakar et peut-être ce qu'on appelle les éléments français de Dakar, qui se trouvent à Ouakam. Ça, je pense, d'un point de vue symbolique, ça va montrer que l'État a commencé à agir dans la reprise de la souveraineté sénégalaise sans beaucoup de conséquences, parce que les Français, eux-mêmes, sont en train de réfléchir sur leur présence militaire sur le continent et donc ça peut aller très vite.
Le 15 mars dernier, en conférence de presse, Ousmane Sonko a déclaré : « Il y a un problème avec le franc CFA, cette monnaie ne colle pas avec nos impératifs de développement. 90% des pays du monde ont leur monnaie et ils s'en sortent. » Est-ce qu'on va, Pape Ibrahima Kane, vers une sortie rapide du Sénégal du franc CFA ?
Je ne suis pas sûr que la sortie sera rapide parce que, hier [lundi 25 mars], en conférence de presse, le nouveau président a précisé sa pensée en disant que, oui, la monnaie est un élément important de la souveraineté économique, mais que le Sénégal avait déjà pris un certain nombre d'engagements, notamment au niveau de la Cédéao pour la création de l'Eco, qui est la monnaie sous-régionale. Il dit engager les dialogues avec la Cédéao et les autres États pour accélérer le processus de la mise en place de cette monnaie. C'est seulement si ce processus-là est lent ou s'il n'aboutit pas que le Sénégal va envisager la création de sa propre monnaie. Donc, vous voyez que déjà, de ce point de vue-là, il y a un peu plus de réalisme dans le discours. Mais ce que je peux ajouter, c'est que le fait que le Sénégal remette en cause la monnaie CFA, cela veut dire que ça isole davantage la Côte d'Ivoire qui, avec le Sénégal, étaient les deux pays qui vraiment faisaient tout pour que les États continuent à utiliser le CFA. Et donc, si le Sénégal bascule, ça veut dire que les jours du franc CFA sont comptés. Peut-être d'ici un an, un an et demi, on verra plus clair là-dedans.
Depuis la naissance du franc CFA, le Sénégal abrite le siège de la Banque centrale de cette monnaie, à savoir la BCEAO. Alors, si demain l'Afrique de l'Ouest crée une nouvelle monnaie commune comme l'Eco, est-ce que le Sénégal ne va pas devoir laisser partir la future Banque centrale qui pourrait déménager naturellement vers le pays poids lourds de cette future monnaie, à savoir le Nigeria ?
Oh, ça, c'est peut-être les négociations qui nous le diront. Peut-être que le Sénégal va perdre le siège de la Banque centrale, mais peut-être qu’il va, en contrepartie, obtenir des positions, pourquoi pas gouverneur de cette banque. De toute façon, à partir de l'instant où on mettra en place cet Eco, ce sont les économies les plus puissantes de la région qui vont nécessairement imposer leurs vues et leurs stratégies. Et là, de ce point de vue-là, il y a la Côte d'Ivoire, il y a le Ghana et le Nigeria qui vont jouer les grands rôles. Mais le fait qu'on ait un bâtiment de la Banque centrale aussi immense à Dakar, qui abrite le siège de la BCEAO, le Sénégal pourrait éventuellement bénéficier de certains avantages au niveau du partage des responsabilités dans cette nouvelle monnaie.
Alors, s'il y a un pays qui doit se réjouir particulièrement de la victoire de Bassirou Diomaye Faye, c'est le Mali. On se souvient du soutien public qu'Ousmane Sonko a apporté plusieurs fois au régime militaire d’Assimi Goïta. À l'heure où le Mali annonce son départ de la Cédéao, est-ce que le nouveau chef d'État sénégalais ne va pas essayer de retenir son ami malien dans la Cédéao à laquelle il semble tenir, lui, Bassirou Diomaye Faye ?
Tout à fait, je pense que c'est cette démarche qui va être déclenchée. Hier, Bassirou Diomaye Faye a réitéré l'ancrage du Sénégal dans la Cédéao, a réitéré le panafricanisme de la politique étrangère sénégalaise et, surtout, il a insisté sur l'intégration au niveau sous-régional dans le cadre de la Cédéao. Le Pastef, de façon générale, n'a pas seulement des amis au Mali, il a aussi des amis au Burkina Faso. Et j'espère que le président Diomaye Faye va vraiment utiliser tous ses atouts en matière de diplomatie pour ramener ces deux pays, plus le Niger, à la maison, parce que c'est important que, nous tous, nous partions ensemble vers cette intégration-là. Et je pense qu'il a, surtout avec le Mali, des arguments assez massues à mettre en exergue parce que le plus grand partenaire du Mali, c'est le Sénégal, et cela peut aider à vraiment faciliter le dialogue pour un retour de ces pays-là dans la maison-mère, d'autant que Bassirou Diomaye Faye a insisté sur une réforme de la Cédéao.
Oui, parce qu'il veut donner plus de pouvoir aux parlementaires et aux juges de la Cédéao, c'est ça ?
Tout à fait, pas seulement aux parlementaires, aux juges de la Cédéao, mais il veut aussi rendre la commission de la Cédéao beaucoup plus fonctionnelle, capable de bien faire fonctionner la maison de manière plus efficace pour le bénéfice et des populations et des États parties.
Et la Russie, est-ce qu'il faut s'attendre à un renversement d'alliance et au remplacement de la France par la Russie comme partenaire privilégié du Sénégal ?
Je ne le pense pas. Le Sénégal a déjà d'excellents rapports avec la Russie. Beaucoup ne le savent pas, mais la Russie est l'un des grands partenaires commerciaux du Sénégal. Nous importons pratiquement [tout] notre blé de la Russie, nous achetons de l'armement militaire à la Russie. Donc, je ne vois pas, parce qu’il y a eu changement de personnes à la tête de l'État sénégalais, que le Sénégal fasse ce « shift »-là pour aller vers la Russie. Et cela irait même à l'encontre de l'idée qu'il défend, de l'idée de souveraineté, parce que la souveraineté, ça veut dire « on prend en charge son propre destin, on n'est pas à la remorque d'autres pays, aussi puissants soient-ils ». Et mon avis personnel est que, dans le domaine de la diplomatie, il y aura une continuité parce que l'héritage que lui laissent le président Macky Sall et les anciens présidents est un héritage qu'il faudra vraiment renforcer. Le Sénégal est un petit pays, mais diplomatiquement un pays très fort, un pays vraiment respecté en Afrique. Je pense que le nouveau président gagnerait plus à utiliser le personnel diplomatique qui est là, à continuer dans le cadre de la diplomatie, dont les lignes ont été tracées par ses prédécesseurs pour davantage mieux placer le Sénégal dans le concert des nations. Juste un dernier point que je soulignerai à ce niveau-là, la diplomatie sénégalaise a toujours été faible dans nos rapports avec nos voisins. Nous avons toujours eu des problèmes avec nos voisins, que ce soit la Mauritanie, la Gambie, la Guinée-Bissau, avant l'arrivée de Macky Sall, et la Guinée Conakry. De ce point de vue-là, je pense qu'il a beaucoup d'efforts à faire, d'autant plus qu'il n'est pas bien connu, il ne connaît pas ces chefs d'État, et ce sont ces rapports-là qui peuvent vraiment renforcer les liens entre le Sénégal et ses voisins. Quand on est en paix avec ses voisins, on peut envisager le panafricanisme, on peut envisager le renforcement de la Cédéao, mais si ça ne l'est pas, ça va être difficile pour lui de vraiment mener une politique diplomatique digne de ce nom.
Il y a deux ans, lors de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, le Sénégal s'est abstenu lors des votes à l'ONU. Est-ce que vous vous attendez à un changement de position ?
Non, je ne pense pas que le Sénégal de ce point de vue-là va changer de position parce que, justement, on a une diplomatie qui est très respectée. Vous avez parlé de cette décision d'abstention, c'était lié au fait que le Sénégal avait justement beaucoup de rapports économiques avec la Russie et il ne voulait pas s'aliéner ses relations économiques-là, et il a pris le parti de s'abstenir et même de faire en sorte que les États africains refusent de prendre position dans ce conflit-là. Le non-alignement du Sénégal, je ne pense pas que ça soit quelque chose qui va être revisité par le nouveau gouvernement. Parce que, tout à l'heure, on en a parlé, il y a quand même au moins un ou deux dossiers importants à gérer rapidement comme le dossier du retour des pays de l'AES à la maison-mère, et ça, si on ne peut pas agir dans ce domaine-là en prenant des positions plus ou moins radicales, ça n'arrange ni les uns ni les autres.
Est-ce que ces grandes questions, comme l'éventuel retour de l'Alliance des États du Sahel (AES) dans la maison Cédéao et la question du franc CFA, est-ce que toutes ces questions seront gérées plutôt par Bassirou Diomaye Faye ou plutôt par Ousmane Sonko ?
Ah ! Le président de la République au Sénégal, d'après la Constitution, c'est lui qui détermine la politique étrangère du pays. Je pense que la direction de la diplomatie restera entre les mains du président de la République et lui seul.
Et quel rôle jouera Ousmane Sonko à l'avenir, à votre avis ?
Ça va se déterminer, je pense, à partir d'octobre, novembre, au moment où on aura une nouvelle Assemblée nationale, peut-être que Sonko pourrait valablement trouver sa place en tant que président de l'Assemblée nationale ou en tout cas jouer un rôle déterminant dans ce domaine. Peut-être bien aussi qu'on pourrait le nommer Premier ministre. Il y a toutes ces possibilités-là qui s'offrent. Je ne pense pas, avec l'expérience que le Sénégal a vécu en 1962, que l'on soit dans une dynamique de dyarchie à la tête de l'État.
Vous pensez au conflit entre Senghor et Mamadou Dia ?
Exactement, et ça, ça a laissé beaucoup de traces dans la vie politique sénégalaise et je suis sûr qu’ils ne vont pas répéter ces erreurs-là.
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En votant dimanche dernier dans son village natal, Bassirou Diomaye Faye a promis « la rupture ». Alors qu'est-ce qui va changer, maintenant qu'il vient d'être élu président du Sénégal ? Y aura-t-il une nouvelle monnaie ? Y aura-t-il des renversements d'alliance ? Mamadou Lamine Sarr enseigne les sciences politiques à l'université numérique Cheikh-Hamidou-Kane de Dakar. En ligne de la capitale sénégalaise, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Mamadou Lamine Sarr, êtes-vous surpris par cette victoire annoncée de Bassirou Diomaye Faye dès le premier tour ?
Mamadou Lamine Sarr: Pas tout à fait. Les dernières tendances avant le scrutin nous laissaient un peu présager, n'est-ce pas, de cette victoire. On pouvait s'attendre peut-être à une victoire au second tour, mais cette victoire au premier tour n'est pas du tout surprenante au vu, justement, de la mobilisation générale de l'électorat.
À cause du bilan de la majorité sortante ?
Oui, c'est un facteur explicatif effectivement, un bilan qui n'est pas satisfaisant aux yeux de nombreux Sénégalais. Le premier point, on a une accentuation des inégalités économiques et sociales. C'est une société où, de plus en plus, on a de grandes difficultés et une société où les gens vivent au quotidien le fait que les choses ne sont pas réparties de manière égale dans la population. Et ces inégalités, qui se sont incluses ces dernières décennies, notamment sous la présidence Wade et sous la présidence de Macky également, ont participé à ça. Et les gens, ils continuent à avoir de grandes espérances en matière de lutte contre les inégalités. Ça, c'est le premier point. Le deuxième point est plutôt relatif à la sauvegarde de nos institutions. Les Sénégalais sont des gens qui sont très attachés à leur culture politique, à leurs institutions, et, depuis l'alternance de 2000, les gens ont cette habitude-là, cette culture-là, de patienter, d'être endurant, je dirais même, dans l'épreuve, en se disant que l'élection présidentielle va arriver, ce sera l'occasion pour nous de renouveler ou bien d’exprimer notre volonté de changement ou autre. Et donc, quand on touche aux institutions, quand la séparation des pouvoirs n'est plus claire, quand le président est omniprésent, quand le Parlement ne joue plus son rôle, quand la société civile a un espace un peu plus réduit, à un moment, le peuple sanctionne. Et ça, ce n'est pas par rapport à Macky Sall, ça, tout président aujourd'hui qui passe aura ces questions-là. Et ces questions vont se poser justement au nouveau président, monsieur Bassirou Diomaye Faye.
Est-ce qu'on peut dire qu'après 40 ans de socialisme, avec Léopold Sédar Senghor et Abdou Diouf, et 24 ans de libéralisme de droite, avec Abdoulaye Wade et Macky Sall, on revient à une période socialiste ?
C'est difficile d'avoir cette lecture-là au Sénégal parce que je ne sais pas si Abdoulaye Wadeétait tout à fait libéral. Peut-être... Et je ne sais pas si Macky Sall l'était également. Donc, c'est difficile d'avoir cette lecture qu'on a en Occident, par exemple, entre libéraux, socialistex, sociaux-démocrates et cetera. La lecture qu'on peut par contre avoir, c'est qu'on a en face de nous un président et ses amis qui sont donc, en particulier, Ousmane Sonko et les autres de la grande coalition, qui, à mon avis, ont compris les attentes des jeunes en matière de panafricanisme, d'intégration régionale, d'intégration continentale, en matière de relation avec les plus anciennes puissances coloniales, notamment la France. Tous ces grands enjeux-là, les jeunes se l'approprient. Donc, je ne pense pas que cette lecture-là puisse se faire, mais ce qui est sûr, c'est que c'est une rupture, effectivement, entre Senghor et Abdou Diouf d'une part, Wadeet Macky Sall d’autre part, ça, c'est une évidence, oui.
Sur le plan tactique, est-ce que les atermoiements de Macky Sall, ces dernières semaines, quand il a voulu reporter la présidentielle à la fin de l'année, ça a compté dans le vote des Sénégalais ?
Oui, tout à fait. Fondamentalement, je pense que ça a été l'élément déclencheur. Autant quand, par exemple, Ousmane Sonko a été emprisonné, il y a eu quelques heurts, les gens se sont dits, on va attendre l'élection, mais autant, lorsque le président a pris la décision, le 3 février, de reporter les élections, là, pratiquement tous les acteurs, ça va de la société civile aux syndicats, aux universitaires que nous sommes, aux jeunes, l'ensemble pratiquement de la couche sociale et politique du pays s'est opposé à ce report-là. Et je pense que le président ne s'attendait pas, peut-être, à ça. Et les Sénégalais l'ont fait, mais ils l'ont fait toujours dans le respect de la culture démocratique. Ça a toujours été quelque chose de fondamental pour les Sénégalais de revendiquer cela dans la paix, pour ne pas envenimer la situation. Et, à un moment donné, même le camp du pouvoir, à mon avis, était perdu dans ce bouleversement politico-judiciaire.
D'autant, peut-être, que Macky Sall a donné l'impression de vouloir changer de dauphin et peut-être de ne pas garder Amadou Ba comme dauphin de Benno Bokk Yakaar.
Oui, moi, personnellement, j'ai toujours cru que la première erreur, c'est facile de dire ça maintenant mais moi je l'ai toujours perçu ainsi, la première erreur du camp présidentiel, c'est d'avoir confié le choix du dauphin au président. Je pense qu’il fallait organiser des primaires au sein du parti pour avoir la légitimité de la personne qui allait représenter le parti et faire un bloc derrière lui. Mais dès que le président a fait le choix d’Amadou Ba, on a eu tout de suite les premières divisions au sein même du bloc Benno Bokk Yakaar. Et on n’a pas senti, peut-être, dans les derniers jours de campagne, que le président ou bien que la mouvance présidentielle était tout à fait à 100% derrière le candidat Amadou Ba. Maintenant, est-ce que ça aurait changé quelque chose ? Personnellement, je ne le pense pas, mais la réalité, elle est là, la base du groupe Benno Bokk Yakaar n'a pas su, à mon avis, apporter le soutien qu'il fallait à monsieur Amadou Ba.
La consigne de vote du PDS de Karim Wade en faveur de Diomaye Faye, c'était vendredi 22 mars, ça a pesé dans le vote ou pas ?
Pour répondre à cette question-là, moi je préférerais attendre un peu pour voir les zones où le Parti démocratique sénégalais fait historiquement des scores dans certaines zones urbaines comme à Dakar ou dans les grandes villes du pays, Thiès et cetera, dans quelques couches rurales également, mais je pense que, même si le PDS avait apporté son soutien à Amadou Ba ou s'était abstenu, et cetera, je pense que le camp Diomaye aurait quand même eu la victoire, peut-être pas dans les marges d’aujourd'hui, mais aurait quand même eu la victoire. Parce que, encore une fois, c'est un sentiment, c'est une volonté affichée vraiment de la population dans son ensemble, en particulier encore les jeunes, de vouloir bouleverser, de vouloir changer les choses. Je pense que le PDS a bien fait de s'aligner, en tout cas, pour monsieur Diomaye.
Alors, les Sénégalais ont exprimé leur rejet de la politique de Macky Sall et de son Premier ministre. Mais il y avait 15 autres candidats de l'opposition et pas n'importe qui : Khalifa Sall, Idrissa Seck... Pourquoi ont-ils porté leur choix sur Diomaye Faye ?
Parce que, par exemple, les deux que vous avez cités, les gens les perçoivent entre guillemets comme « les gens du système », comme des gens qui étaient là, qui ont toujours gravité autour du système étatique, qui ont été à des responsabilités, mais qui n'ont pas mené le pays là où la population espère que ce pays soit. Donc, vous avez comme ça des candidats, effectivement, malgré leur expérience, malgré leur connaissance peut-être de l'État, du fonctionnement de l'État, les jeunes n'ont pas fait de ces critères-là quelque chose de déterminant. Et ça, je pense que l'élite politique est en complet déphasage souvent avec la jeunesse. Ces questions d'expérience, et cetera, les jeunes n'ont pas fait de ça un point important. Pour eux, c'était un changement et ce changement-là devait être porté, voire même par quelqu'un qui n'a jamais été dans les arcanes du pouvoir. Et donc, les Khalifa Sall, Idrissa Seck, Thierno Alassane Sall et cetera ont perdu en tout cas l'élection, entre autres, à cause de ce point-là.
Du côté de Benno Bokk Yakaar, Amadou Ba a essayé de jouer sur la peur des Sénégalais face aux violences générées par les manifestations de 2021 et 2023. Il a traité Diomaye Faye et Ousmane Sonko d'aventuriers, de populistes. Pourquoi ça n'a pas marché ?
Mais parce que ce discours-là, ça fait quelques moments que les Sénégalais l'entendent de la part des cadres du pouvoir et donc ce n'est pas tout à fait la vérité. Ça serait trop simpliste de dire qu’Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye sont des aventuriers, et cetera. Et il y a certains jeunes, quand on a l'occasion de discuter un peu avec nos étudiants, de participer à certaines manifestations, certains vous disent même qu'ils préfèrent cela. C'est-à-dire que c'est un rejet complet du système actuel qui fait que les jeunes vous disent « nous avons besoin de quelqu'un qui n'a jamais été au pouvoir, qui n'a jamais touché à tout ça, dont les droits ont été bafoués, qui nous ressemble, qui sait nous parler ». Et donc, tout cela a contribué justement à fortifier l'assise de ces deux-là. Il faut rajouter qu’eux aussi, ils ont mis en place une stratégie également électorale depuis maintenant quelques années, qui a fonctionné, qui a marché parce qu'ils savent les enjeux et donc, à mon avis, ça a contribué à la victoire du candidat Bassirou Diomaye Faye.
Quel est, dans le programme de l'ancien parti Pastef, le point le plus fort qui a emporté l'adhésion des électeurs ?
Fondamentalement, c'est la proposition de changer le mode de gouvernance. Ça, c'est quelque chose auquel l'électorat tient. C'est en changeant le mode de gouvernance, en apportant des modifications très importantes sur comment l'État est géré, qui gère l'État, qu'on va s'attaquer à de grands maux de la société sénégalaise, la corruption, les inégalités économiques et sociales, les fameuses transhumances politiques, et cetera. Donc, la manière dont les deniers publics sont gérés.
Et peut-être aussi un meilleur partage des revenus à venir, du gaz et du pétrole…
Oui, ça englobe cela. C'est-à-dire que dans cette gouvernance-là, c'est une répartition des ressources ou des fruits issus de ces ressources-là, que ce soit le pétrole ou le gaz, mais pas seulement. Dans le domaine agricole, dans le domaine foncier, on a eu de grands scandales également dans ces dimensions-là. Le foncier hors de Dakar, par exemple. Le domaine agricole, l'élevage, la question de la pêche, par exemple, avec les pêcheurs qui accusent l'État sénégalais d'avoir donné certaines autorisations, certains permis, à des groupes étrangers pour pouvoir pêcher dans les eaux sénégalaises. Toutes ces questions-là sont liées à justement cette gouvernance de l'État du Sénégal qui est le point d’ancrage à mon avis.
La promesse de quitter le franc CFA, ça a joué ou pas ?
Oui, ça contribue, mais fondamentalement les jeunes maintenant, qui sont nés lors des deux dernières décennies, par exemple, avec le discours anticolonial ou anti-néocolonial, avec le discours contre le franc CFA un peu partout en Afrique de l'Ouest, ce n’est pas seulement au Sénégal, adhèrent à cela. Mais les Sénégalais savent également qu’une sortie programmée du franc CFA ne se ferait pas du jour au lendemain, que ce serait quelque chose qui se ferait dans le temps, qui ne serait pas aussi facile que ça. Les Sénégalais sont assez conscients de ça, mais fondamentalement, la souveraineté monétaire est un élément extrêmement important pour l'électorat de monsieur Bassirou Diomaye Faye.
Et qu'est-ce qui va changer à votre avis dans la relation du Sénégal avec la France ?
Je pense que si le Pastef, en tout cas l'ex-Pastef, se tient à sa ligne, je pense que, dans les grandes lignes, il n’y aura peut-être pas de grands changements. On aura toujours des axes de coopération dans divers domaines. Ce qui va changer, c'est la relation parce qu'il y a d'autres acteurs qui sont présents, qui seront de plus en plus présents. Les puissances émergentes, les États-Unis d'Amérique, on peut citer d'autres États, et parce qu’également les Africains de l'Ouest en général sont demandeurs de cela.
Et la Russie ? Pensez-vous possible un renversement d'alliance au détriment de la France et au profit de la Russie ?
Je ne pense pas. Très sincèrement. Parce que ce n’est pas dans le programme du Pastef et il n’y a pas une grande alliance ou quelque chose qui a été manifesté par Bassirou Diomaye Fayeou bien par l'ex-Pastef ou par Ousmane Sonko de se rapprocher davantage de la Russie. Ce qui est revendiqué, c'est une plus grande diversification des partenaires économiques, politiques, diplomatiques du pays, ce qui est tout à fait légitime, on peut le comprendre, mais je ne pense pas qu'on puisse assister à un grand bouleversement, un remplacement, comme vous dites, de la France par la Russie, je ne pense pas à cela. Mais ce qui est sûr, c'est qu’une diversification, c'est une possibilité effectivement.
Si le candidat avait été Ousmane Sonko, est-ce qu'il aurait fait le même score ?
Très certainement. Je pense même plus, personnellement, parce que, quoi qu'on dise, il a une aura, il a une présence, il a une relation différente de Bassirou Diomaye Faye avec la population sénégalaise. Et je pense que, certainement, une partie de l'électorat serait beaucoup plus mobilisée, que des gens qui ont voté pour d'autres candidats allaient peut-être voter pour lui. Je pense qu'avec Ousmane Sonko, le score serait peut-être beaucoup plus élevé.
Et justement, que va devenir Ousmane Sonko ?
Ah ça, c'est la grande question ! Est-ce qu'il sera un Premier ministre, est-ce qu'il sera dans l'État, est-ce qu'il va se mettre de côté ? Mais vu la relation entre les deux, vu l'importance de l'un pour l'autre, ça ne serait pas surprenant de le voir à un poste assez stratégique, que ce soit dans le gouvernement, que ce soit en tant que conseiller, que ce soit si jamais par exemple l'Assemblée est renouvelée, est-ce que, si on va vers des élections anticipées pour le Parlement, est-ce que ce dernier étant élu sera président de l'Assemblée ? Tous les scénarios sont possibles, mais ce qui est certain, c'est qu'effectivement il y a de très, très fortes chances pour qu’Ousmane Sonko soit aux côtés de Bassirou Diomaye Faye, ce qui serait logique de toute façon.
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Tue, 26 Mar 2024 - 908 - Procès Zogo au Cameroun: «Ce serait bien que le public suive les débats», estime Christophe Bobiokono
C’est un crime qui a bouleversé tout le Cameroun. Qui a tué le journaliste Martinez Zogo en janvier 2023 à Yaoundé ? Et qui a commandité cet assassinat ? Ces deux questions sont au cœur du procès qui doit s’ouvrir ce lundi 25 mars devant le tribunal militaire de Yaoundé. Au Cameroun, Christophe Bobiokono est le directeur de publication de Kalara, le journal spécialisé dans le traitement des affaires judiciaires. En ligne de Yaoundé, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Dans le box des accusés, il va y avoir dix-sept personnes, dont l’homme d’affaires Jean-Pierre Amougou Belinga et les deux anciens patrons de la DGRE, c’est-à-dire des services secrets camerounais, Maxime Eko Eko et Justin Danwe. De quoi sont-ils soupçonnés ?
Christophe Bobiokono :M. Jean-Pierre Amougou Belinga et M. Eko Eko apparaissent, au terme de l’enquête, comme de probables commanditaires de ce qui s’est passé. M. Jean-Pierre Amougou Belinga est poursuivi comme quelqu’un qui aurait aussi financé l’opération. Mais il y a une troisième personne qui est dans la peau d’un commanditaire, c’est M. Martin Savom, maire d’une localité que l’on appelle Bibey dans la région du Centre au Cameroun. C’est la dernière personne à avoir été inculpée, mais qui apparait comme ayant même été présente sur la scène du crime, au moment où l’homme de médias a été tué.
L’un des principaux accusés, c’est Justin Danwe, l’ex-numéro 2 des services secrets (DGRE). Il serait passé aux aveux, il aurait dit ne jamais avoir eu l’intention de tuer Martinez Zogo, « il fallait lui faire peur » aurait-il dit. Est-ce que c’est crédible ?
C’est difficile que ce soit crédible, dans la mesure où M. Danwe est finalement la pièce maîtresse de tout : il est au contact de toutes les personnes qui se sont retrouvées impliquées dans la filature, dans l’enlèvement, dans le traitement, voire l’assassinat de la personne, donc c’est lui qui organise finalement tout. Je le dis sur la base de ses propres déclarations et sur les témoignages de certains des mis en cause.
Quand Justin Danwe dit qu’il n’avait pas du tout l’intention de tuer Martinez Zogo, est-ce que vous le croyez ? Ou est-ce que vous ne le croyez pas ?
Disons que, si on se base sur l’ordonnance de renvoi, donc le rapport d’instruction du juge qui les renvoie en jugement, on peut dire que cette déclaration-là est douteuse. Dans la mesure où c’est bien lui qui renvoie sur les lieux du crime les trois personnes qui sont supposées avoir donné la mort à Martinez Zogo.
Comme l’homme d’affaires Jean-Pierre Amougou Belinga est réputé avoir été un proche de l’actuel ministre de la Justice, Laurent Esso, la presse s’est étonnée, l’année dernière, que ce ministre n’ait jamais été entendu par un juge. Qu’est-ce que vous en pensez ?
Sur la base des informations que nous avons vues, le nom du ministre de la Justice n’est pas ressorti comme un acteur des actes de filature, d’enlèvement et d’assassinat ou de torture. Donc je trouve tout à fait normal que le ministre de la Justice n’ait pas été inquiété. Mais je peux vous dire que l’influence du ministre s’est fait grandement sentir au début de l’enquête, M. Amougou Belinga a bénéficié d’un traitement de faveur. D’ailleurs, il n’est interpellé que trois semaines après l’enlèvement de Martinez Zogo. Ce qui nous paraît quand même énorme ! Le président de la République a dû recourir à une commission mixte police-gendarmerie pour mettre entre parenthèse l’institution judiciaire telle qu’elle fonctionne normalement pour mener l’enquête policière. C’est dire si, depuis le sommet de l’État, on savait que l’influence du ministre de la Justice pouvait fausser certaines choses.
Certains disent que l’assassinat de Martinez Zogo est la manifestation la plus spectaculaire et la plus tragique de la lutte des clans qui se durcit actuellement au sommet de l’État camerounais. Qu’en pensez-vous ?
Je pense que c’est vrai. Je crois avoir lu dans les documents que j’ai consultés que M. Eko Eko, qui était patron de la DGRE à l’époque des faits, a lui-même souligné ce contexte-là, en disant qu’il y avait des clans qui se battaient. En pointant de manière très claire des clans où on trouverait, d’une part, peut-être des personnes de la présidence de la République et, d’autre part, peut-être le ministre de la Justice et le ministre des Finances, pour ne pas parler de tous les autres…
Plusieurs avocats, dont Charles Tchoungang, le défenseur de M. Amougou Belinga, demandent que le procès soit retransmis en direct à la radio et à la télévision. Est-ce qu’il y a un précédent et qu’en pensez-vous ?
Ici, au Cameroun, je ne me souviens pas… Je suis chroniqueur judiciaire depuis une vingtaine d’années, je n’ai pas couvert de procès qui a été retransmis comme cela. Ce serait bien que les débats se fassent de façon à ce que le public qui veut les suivre puisse les suivre. Il faut savoir que, lors de l’enquête menée par la commission mixte police-gendarmerie, il y a bien des choses qui sont apparues dans cette enquête, mais qui semblent avoir disparu en cours de route. Par exemple, on découvre aujourd’hui qu’il y a eu, lors des saisies pratiquées ici et là, des téléphones qui ont été saisis, mais qui n’ont pas été soumis à l’expertise judiciaire. Cela fait qu’il y a un maquillage des faits par rapport à la procédure.
Pensez-vous que, si ce procès est retransmis en direct à la radio et à la télévision, il y aura plus de transparence et moins de pression sur les juges ?
Oui, cela peut participer à limiter la pression sur les juges. Dans un environnement opaque, il y a toujours plus de possibilités de faire pression parce que le public n’aura pas suivi ce qu’il s’est dit pendant les débats.
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Mon, 25 Mar 2024 - 907 - Adam Shatz revisite le psychiatre Fanon en Algérie: «Frantz Fanon, Une vie en révolutions»
Redécouvrir Frantz Fanon : le personnage, sa pensée et son époque... C'est ce que propose une biographie que viennent tout juste de publier les éditions La Découverte. L'ouvrage est intitulé « Frantz Fanon, Une vie en révolutions». On y voit le penseur mûrir ses idées anticoloniales et s'engager aux côtés des indépendantistes algériens, avec pour arrière-plan les débats intellectuels et les luttes d'influence de son époque. Une grande fresque, donc, dont nous parle son auteur, l'essayiste et journaliste américain Adam Shatz.
Sun, 24 Mar 2024 - 906 - Soudan: «À El-Geneina, la communauté massalit a fait l'objet d'un véritable nettoyage ethnique»
Au Soudan, il n’y a toujours pas de trêve en vue dans le conflit qui fait rage depuis le 15 avril 2023 entre les deux généraux rivaux, Abdel Fattah al-Burhane et Mohammed Hamdane Daglo, et qui a plongé le pays dans le chaos. Depuis le début de la guerre, plus d'un demi-million de réfugiés sont arrivés au Tchad voisin. Une crise humanitaire d'une ampleur alarmante, mais qui souffre d'un profond déficit d'attention et de financements. Charles Bouessel, analyste Afrique centrale pour l'International Crisis Group (ICG), est l'invité de RFI.
RFI : Vous êtes ici à Ndjamena. Vous rentrez tout juste d'une mission dans l'est du Tchad, à la frontière soudanaise, où les réfugiés continuent encore d'arriver, près d'un an après le début du conflit. Qu'est-ce qui vous a le plus marqué lors de votre séjour là-bas ?
Charles Bouessel : La majorité de ces réfugiés ont été pillés. Beaucoup ont perdu des membres de leur famille, massacrés par les RSF [Forces de soutien rapide]. Les femmes, notamment, ont beaucoup souffert, les cas de viols sont innombrables. Cette crise s'ajoute à une situation socio-économique extrêmement difficile dans l'est du Tchad. La population locale souffre déjà de malnutrition, d'un manque critique d'infrastructures sanitaires. Et donc, vous imaginez que l'arrivée d'un demi-million de personnes en plus ne va faire qu'accentuer cette pression sur les ressources. Les points de tension les plus critiques sont, sans doute, l'accès à l'eau et au bois de chauffe. On m'a parlé de disputes et de bagarres autour de puits, dont le niveau baisse dangereusement. Les femmes également, les femmes de ces camps de réfugiés qui en sortent pour collecter du bois de chauffe, certaines d'entre elles se sont fait tabasser, voire violer à l'extérieur de ces camps. Avec toujours cette critique qu'elles font diminuer les ressources déjà rares des populations locales.
On parle d'un risque sécuritaire local, diriez-vous qu’il y a aussi un risque de tension politique ?
La majorité des réfugiés appartiennent à la communauté Masalit, qui a été violemment ciblée par les RSF. Cette communauté nourrit un esprit de revanche et certains commencent à recruter des milices d'autodéfense et les autorités tchadiennes craignent donc que ces recrutements ne perturbent une situation sociale déjà explosive.
Mais c'est aussi une zone où il y a, depuis longtemps, de nombreux trafics. On imagine qu'il y a également un impact sur cette économie informelle ?
Tout à fait. Il y a donc des trafics qui se sont développés de manière importante depuis l'éclatement du conflit soudanais. Peut-être les deux les plus notables sont le carburant et le trafic de produits pillés. On voit tous les jours d'importants camions de citerne libyens qui arrivent de la Libye jusqu'à Adré, qui déchargent ce carburant dans des fûts, que des pick-up chargent la nuit pour traverser la frontière et approvisionner la milice RSF en carburant.
Trafic de carburant, trafic de véhicules également ?
Effectivement, les trafics de véhicules volés au Soudan sont extrêmement importants. J'ai pu voir de mes yeux à Abéché, une zone où sont garées des dizaines et des dizaines de gros 4x4 Toyota, des Prados, des Hilux, qui sont vendus autour de 15 000 euros, ce qui est 3 à 4 fois moins que leur valeur réelle. J'ai pu également parler avec une Tchadienne qui avait voulu acheter un de ces véhicules et qui, au moment d'inspecter ce véhicule, ouvre la boîte à gants et voit un permis de conduire d'une personne de la communauté Masalit tomber, qui n'était clairement pas le vendeur de la voiture.
Vous avez également recueilli de nombreux témoignages sur la situation au Darfour. Que disent ces témoignages de la situation de l'autre côté de la frontière ?
La ville de El-Geneina a été quasiment vidée à 90% de sa population Masalit, qui a été l'objet d'un véritable nettoyage ethnique dans la ville. Une ville où on retrouve des fosses communes où les quartiers Masalit pour certains, ont été totalement rasés, comme si les RSF avaient voulu éliminer toute trace de leur existence. J'ai pu parler à certains réfugiés qui ont notamment assisté à des ventes de femmes soudanaises kidnappées à Khartoum. D'autres m'ont parlé aussi de la présence des mercenaires de Wagner dans la ville. Ces mercenaires assistent le colonel des RSF en charge de la ville avec, notamment, des drones d'observation. Aujourd'hui, les Masalit réfugiés dans les camps au Tchad se sentent encore visés. Les activistes à qui j'ai pu parler n'osaient même pas aller sur le marché d'Adré où, selon eux, de nombreux RSF traversent la frontière pour venir acheter des denrées, évidemment de manière désarmée. Mais pour eux, c'est une grande peur de voir ces hommes qui les ont massacrés de l'autre côté de la frontière.
Dans un mois, cela fera un an que le conflit au Soudan a démarré. Aujourd'hui, la paix semble encore bien loin.
Effectivement, la paix semble encore bien loin et la crise humanitaire au Tchad est loin d'être résolue et pourrait encore s'aggraver. 200 personnes franchissent la frontière encore chaque jour et ce nombre pourra exploser dans les mois à venir, alors que la famine commence à sévir au Darfour. Et donc, on voit maintenant arriver aux frontières des personnes qui ne fuient plus la guerre, mais qui fuient la faim.
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Fri, 22 Mar 2024 - 905 - RDC: le journaliste Stanis Bujakera annonce ne pas faire appel de sa condamnation pour le moment
Le journaliste Stanis Bujakera ne compte pas faire appel pour le moment. C'est ce qu'il annonce sur RFI. Condamné ce lundi à six mois de prison, puis libéré ce mardi, Stanis Bujakera a choisi RFI pour accorder sa première interview d'homme libre : les pressions sur lui pour qu'il révèle ses sources, les pressions sur les juges pour qu'ils le condamnent... En ligne de Kinshasa, notre confrère, correspondant de Jeune Afrique et de Reuters, mais aussi le directeur adjoint d'Actualité.cd, raconte ses six mois de détention.
RFI : Ça fait quoi d'être un homme libre ?
Stanis Bujakera : Quel soulagement ! Je veux dire, ça m'a manqué depuis le 8 septembre 2023. Je suis juste très content de retrouver enfin ma femme, mes enfants, mes parents, les collègues et de pouvoir encore continuer à ne faire que ce que nous savons faire, continuer avec mon travail d'informer.
Il y a eu une forte mobilisation dans votre pays, le Congo, et à l'étranger. À qui pensez-vous aujourd'hui ?
À tous ces vaillants journalistes qui se sont levés comme un seul homme pour dire non. Non à l'oppression, non aux intimidations contre le travail indépendant des journalistes, non à l'arbitraire. Je voulais ici dire merci aux différents médias pour qui je travaille, notamment Jeune Afrique, avec la direction [de ce journal] et tous les collèges journalistes qui se sont mobilisés. Je voulais dire ici merci à Reuters, merci à actualité.cd, merci très particulièrement aux collègues Patient Ligodi, Israel Mutala, Ange Kasongo, Wendy Bachi, Sonia Rolley, tous les autres confrères, ils sont nombreux, ils se sont beaucoup mobilisés et je dois tout à toutes ces personnes. Merci à tous.
Mardi après-midi, Stanis, vous êtes passé par toutes les émotions. D'abord libérable, puis à nouveau incarcéré dans votre cellule collective de Makala, et enfin libéré. Qu'est-ce qui s'est passé ?
Ce qui s'est passé, c’est une démonstration de plus de l'acharnement de la part de ceux qui ne veulent pas que les journalistes ne fassent que leur travail, celui d'informer la population, de leur donner une information indépendante. Dieu merci, finalement, après toute cette mobilisation, autour de 22 heures, je peux quitter la prison centrale de Makala et on m'a informé que le ministère public avait retiré son appel introduit plus tôt contre le jugement. Je voulais parler de ce jugement inique qui a été prononcé contre moi. Inique, parce que j'estime que, dans ce dossier, le droit n'a pas été dit.
Et justement, cette volte-face du procureur, ce mardi à 22 heures, vous l’expliquez comment ?
Depuis le début de cette affaire, le procureur, le parquet et tout le monde qui était derrière ces dossiers, ils étaient dans ce que je vais qualifier, moi, d’imagination. Tout a été fabriqué. Toutes les accusations ne reposaient sur rien, n'avaient aucun soubassement. On m'a accusé de tout, mais seulement, moi, je suis journaliste, je suis factuel. Ils ont été dans l'impossibilité de démontrer leurs accusations. Curieusement, le parquet m’a demandé à moi d'amener les preuves de leurs accusations. Or, ce n'était pas mon rôle. C'est l'accusateur qui apporte les preuves, et non l'accusé.
À l'origine de votre arrestation il y a 6 mois, Stanis Bujakera, il y a eu une note des services de renseignement civils qui impliquait les services de renseignement militaires dans la mort du député d'opposition Chérubin Okende, en juillet 2023. Le procureur vous a accusé d'avoir fabriqué cette note et, ce lundi, la justice vous a officiellement condamné pour cela. Comment vous réagissez, aujourd’hui ?
Je dis que ce qui s'est passé dans ces dossiers, il n’y avait rien de droit, donc c'est une affaire totalement montée, totalement fabriquée pour essayer de nous intimider. D'ailleurs, cela, le ministère public l'a assumé le jour de la plaidoirie, il disait qu’il fallait condamner Bujakera qui dérange, il fallait condamner Bujakera pour faire peur aux autres journalistes, il fallait le faire. C'est comme ça que je dis qu’il n’y a rien de droit dans tout ce qui s'est passé.
Le fait que vous ayez plus de 500 000 abonnés sur votre compte X et que vous soyez l'un des journalistes les plus influents du Congo, est-ce que cela a pu jouer dans votre arrestation du 8 septembre ?
C'est peut-être le fait d'être indépendant, c'est peut-être le fait de refuser de pratiquer le journalisme qui accompagne. Nous, on a fait le choix d'un journalisme indépendant qui ne rapporte que des faits, qui cherche l'info à la source et donc, voilà, nous sommes peut-être victimes de cela. Mais est-ce que nous nous sentons intimidés ? Non. Est-ce que nous nous sentons en insécurité ? Je dirais oui. Mais est-ce qu'il faut reculer ? Je dirais non. On est prêt, au prix de notre liberté. On est prêt à ne faire que ce boulot de journaliste professionnel qui ne fait que son travail. Donc c'est peut-être ça, notre péché, c'est peut-être d'être professionnel.
Toutes les demandes de mise en liberté provisoire ont été rejetées, alors que chacun savait qu'il n'y aurait aucun problème de présentation devant le juge. Est-ce qu'on ne vous a pas maintenu en prison pour vous obliger à révéler vos sources ?
Ça m'a été demandé au départ, depuis mon arrestation. Dès le premier jour, il était question de citer le nom des contacts, des sources qui, selon ceux qui nous ont arrêté, ont partagé avec nous des informations confidentielles qui dérangeraient. C'était ça même le but de cette arrestation. Il fallait voir qui sont nos sources ici et là. Mais on a été professionnel jusqu'au bout, parce que la loi, qui garantit l'exercice du journalisme dans ce pays, garantit la protection des sources.
On a fait pression sur vous et vous n'avez pas cédé ?
Je ne pouvais pas céder. Pour l'honneur de la profession, pour l'honneur de nous tous, pour l'avenir du journalisme indépendant dans ce pays, pour toute cette jeunesse qui voit ce que nous faisons. Il fallait rester professionnel jusqu'au bout.
Dans une conférence de presse il y a un mois, le président Tshisekedi a déclaré : « notre justice est malade, même dans le traitement des dossiers ». Qu'est-ce que cela vous inspire ?
J'ai été en contact pendant tout le temps que je passais en prison avec différents prisonniers. C'est-à-dire que j'étais en contact avec différents dossiers judiciaires et j'ai compris qu’il y a un sérieux problème. On a des juges et des magistrats qui ont une très bonne formation et qui sont très compétents et qui peuvent faire mieux. Mais après, on a l'impression qu'ils n'ont pas les mains libres. Je préfère le dire comme ça, parce que peut-être qu'ils subissent des pressions, mais venant de qui ? Par exemple, sur mon dossier, je sais que les juges qui ont traité mon dossier m'ont acquitté, ils m'ont déclaré innocent, ça c'est leur décision. Je sais qu'ils n'ont, eux, à leur niveau, retenu aucune infraction contre moi. Mais la décision qui me condamne leur a été dictée ailleurs. Voilà, ils ont été mis dans une situation difficile, mais pourtant, on a des juges qui peuvent faire mieux. Mais est ce qu’on les laisse avoir les mains libres ? C'est le plus grand problème et ça, ça reste un combat.
L'un de vos avocats a dit que vous envisagiez peut-être de faire appel. Vous en êtes où dans votre réflexion ?
Quand j'aurai les garanties d'une justice réellement indépendante, peut-être à ce moment-là, on peut envisager de faire quelque chose, ce qui n'est pas le cas pour le moment.
Donc pas d'appel pour l'instant ?
J'ai cherché à avoir les garanties d'une justice réellement indépendante et, pour le moment, je constate que ce n'est pas le cas.
Stanis Bujakera, vous avez passé six mois dans une cellule collective avec d'autres prisonniers. Est-ce qu'il y a des codétenus dont vous voulez parler aujourd'hui ?
Je vous parle de la prison centrale de Makala [à Kinshasa], construite pour une capacité d'accueil de 1 500 personnes. En quittant Makala mardi, j'ai laissé officiellement plus de 14 400 détenus dans cette prison, qui sont dans des situations inhumaines, insupportables. Parmi les 14 400 personnes, vous avez à peine 1 500 à 2 000 condamnés, donc il y a beaucoup de prévenus qui attendent des décisions. Par exemple, en quittant Makala, il y a un avocat, qui est détenu, qui m'a dit : « je suis au niveau de la Cour de cassation et j'attends le prononcé, donc mon verdict, depuis maintenant deux ans » [ndlr : il s’agit de l’avocat Bavon Kikwani Mpamen]. Je vous parle également d'un monsieur qui était dans ma chambre, Luc Atundu [directeur au ministère de l’Environnement], condamné à 8 mois de prison [ndlr : il aurait dû sortir en mars 2023]. Le ministère public a fait appel. Aujourd'hui, en quittant Makala, je l'ai laissé, il en était à sa deuxième année. Et au niveau de l'appel, la Cour de cassation n'a toujours pas rendu sa décision. Je vous parle également d'un autre prévenu, d'un monsieur qui est là à Makala comme prévenu jusqu'aujourd’hui. Après 21 ans, il est toujours prévenu, sans jugement, je l’ai vu.
21 ans ! Comment s'appelle-t-il ?
Je n'ai pas retenu son nom, mais j’ai vu son dossier, je parlais avec lui. Il est là à Makala depuis 21 ans, mais comme prévenu, il n'a jamais été jugé [ndlr : ce prévenu s’appelle Nkumbu Ngoy Damas]. La direction fait ce qu'elle peut pour tenir la prison et toute l'équipe. J’ai vu les efforts que les responsables de la prison centrale de Makala fournissaient pour tenir la prison, mais c'est insupportable. Il y a au moins deux ou trois morts tous les jours parce que les gens sont dans des conditions inhumaines. Vous ne pouvez pas supporter. Nous, on a tenu parce que c'était un combat pour l'avenir du journalisme indépendant dans ce pays. Mais ce qui se passe à Makala, vous ne pouvez pas supporter. Les gens sont délaissés. Des dossiers judiciaires sont non traités, des gens sont envoyés à Makala comme ça, sans condamnation, il y a beaucoup de cas. Ceux qui ont déjà été jugés ne connaissent toujours pas leur sort parce que, au niveau de la Cour de cassation, ou au niveau d'autres juridictions, le prononcé n'arrive toujours pas. Et donc voilà, ça pose problème. Je vous parle également des cas des prisonniers, on va dire politiques. Jean-Marc Kabund, qui est toujours à la prison de Makala. Jean-Marc Kabund, je le cite, parce qu’il était dans ma cellule. Je vous parlais, par exemple, du cas de Salomon Kalonda, qui est détenu à Ndolo [ndlr : une autre prison de Kinshasa]. Pour lui, les différentes demandes de liberté provisoire pour aller se faire soigner sont toujours rejetées, comme c'était le cas pour moi. Je parle de Mike Mukebayi, que j’ai laissé également à la prison centrale de Makala. Il y a beaucoup de dossiers comme ça, et il faut que quelqu'un puisse agir. Il faut que quelqu'un puisse dire : « allez, c'est fini, remettons les choses dans l'ordre ». C'est ce qu'il faut.
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Thu, 21 Mar 2024 - 904 - «La Journée internationale de la Francophonie n'est pas une célébration politique», dit la porte-parole de l'OIF
Ce mercredi 20 mars, c'est la Journée internationale de la Francophonie. De nombreuses manifestations culturelles sont prévues dans les pays où l'on parle français. Mais en République démocratique du Congo, il n'y aura pas de cérémonie officielle car les relations sont tendues entre Kinshasa et la secrétaire générale de la Francophonie, la Rwandaise Louise Mushikiwabo. Comment réagit-elle ? Entretien avec sa porte-parole, Oria Vande Weghe.
RFI : Votre mot d'ordre cette année, c'est créer, innover et entreprendre en français. À quel public vous adressez-vous ?
Oria Vande Weghe : Très clairement à la jeunesse francophone. Vous savez, on est un espace très jeune avec une moyenne d'âge assez jeune dans beaucoup de nos États. Et, cette année, la volonté de la Secrétaire générale et du président Emmanuel Macron, qui accueille le prochain sommet, a été de s'adresser directement aux jeunes dans cette thématique de création, d'innovation. Surtout parce qu’une des préoccupations principales de la jeunesse, c'est de s'insérer professionnellement et que ça passe par l'innovation, la création et l'entreprenariat.
Et concrètement, est-ce que l'OIF organise, pays par pays, des concours dont les jeunes lauréats sont récompensés par le financement de leurs projets, par exemple ?
Alors, ça ne fait pas partie de nos programmes. Mais effectivement, cette année justement, à l'occasion de cette thématique, l'OIF, la Secrétaire générale en particulier, a décidé de lancer un grand concours justement destiné à la jeunesse de tous nos États membres. On va le lancer en ligne et inviter tous les jeunes à proposer des projets innovants dans plusieurs secteurs, et les lauréats seront récompensés avec des enveloppes budgétaires permettant de mener à bien leur projet. Donc oui, c'est à l'ordre du jour et les lauréats seront annoncés normalement pendant le sommet.
Pendant le sommet de la fin de cette année en France ?
Oui, au mois d'octobre.
On sait où il aura lieu, ce sommet ?
Il aura lieu en France, en partie à Paris, en partie à Villers-Cotterêts, les 4 et 5 octobre.
Et j'imagine que ce concours, il sera organisé notamment dans de nombreux pays africains, 85% des francophones étant africains.
Exactement. On va le lancer en ligne et, tout au long du mois de mars et au cours des semaines qui suivent, on va vraiment mobiliser au maximum pour qu’on ait le plus de candidatures possibles. Donc, je profite d'être sur vos antennes pour lancer l'appel à la jeunesse pour participer massivement à ce concours.
Le premier pays francophone d'Afrique, c'est la République démocratique du Congo. Mais cette année, à Kinshasa, il n'y aura pas de cérémonie officielle pour célébrer ce 20 mars, car les autorités congolaises vous reprochent, vous, l’OIF, d'être pro-rwandais dans le conflit actuel entre le Rwanda et le Congo Kinshasa. Quelle est votre réaction ?
Écoutez, oui, nous avons appris cette décision de la RDC hier. Que dire ? Je ne sais pas si c'est en raison de la nationalité de notre Secrétaire générale, ou parce que le Rwanda est également un pays membre de notre organisation. Mais il faut savoir que le 20 mars, la Journée internationale de la Francophonie, ce n'est pas une célébration d'ordre politique, c'est une célébration citoyenne. Les États, les communautés, les instituts, les académies… Tout le monde culturel célèbre cette appartenance à un espace francophone. Donc, personnellement, je ne suis pas sûre de voir le lien entre la célébration du 20 mars et toute forme de reproche politique. Maintenant, de dire qu'on reproche à l'Organisation de prendre parti, j'aimerais savoir sur quelle base se fait ce reproche. Je ne pense pas qu'il y ait eu une quelconque prise de position à ce jour, bien au contraire. La Secrétaire générale a communiqué plusieurs fois positivement pour encourager la voie du dialogue, donc je pense que, en tout cas, il ne faut pas faire d'amalgame entre le politique et la vie citoyenne. Les nombreux francophones de RDC mériteraient de célébrer leur langue et l'appartenance à cet espace linguistique.
Ce qu'on entend beaucoup à Kinshasa, ce sont des reproches à l'égard de Madame Louise Mushikiwabo, parce qu'elle n'utiliserait pas sa position de Secrétaire générale pour essayer de rapprocher les deux pays, le Rwanda et le Congo, alors que la Francophonie doit être un espace de concertation et de dialogue politique.
Mais ce dialogue existe au sein de nos instances. Je pense que le sujet est débattu très régulièrement dans nos différentes commissions politiques. Il a fait l'objet de discussions au plus haut niveau lors du sommet de Djerba en 2022. Je pense qu’il y a une mauvaise compréhension du rôle de la Secrétaire générale. Je vous rappelle que nous sommes le secrétariat des États et que toute action politique est en fait motivée ou, en tout cas, dictée par une concertation des États qui demandent à l'OIF d'agir dans un sens ou dans un autre. Donc, ce n’est pas exclu qu'il y ait une action, en tout cas il n’y a pas une volonté de ne pas s'impliquer, bien au contraire. Donc, je pense qu'il y a un amalgame qui peut être fait sur la personne même de la Secrétaire générale.
« Ce n’est pas exclu qu'il y ait une action », dites-vous. Voulez-vous dire que Louise Mushikiwabo pourrait entreprendre une initiative diplomatique ?
Non, ce que je dis, c'est que c'est aux États de se concerter, de se réunir et de demander à la Francophonie, comme c'est le cas pour toutes les autres crises qui ont lieu dans l'espace francophone, où les États dans lesquels on s'implique nous demandent de s'y impliquer. Il y a tout un processus qui doit être suivi. Ce que je veux dire, c'est que ce n'est pas exclu que ça arrive. Pour l'instant, la Francophonie s'est exprimée à plusieurs reprises. Il y a eu des communiqués, il y a eu des annonces et, pour l'instant, je ne vois pas le lien entre la Journée internationale de la Francophonie à ce stade-ci et un processus politique qui doit avoir lieu.
Est-ce que la position d'ancienne ministre des Affaires étrangères du président Kagame ne catalogue pas Madame Mushikiwabo d'un côté, et ne l'empêche pas de se mettre au milieu du gué, justement ?
Très certainement, il faudrait demander aux autorités ce qu'elles en pensent. Mais c'est clair que sa position d'ancienne ministre des Affaires étrangères, forcément, fait qu’on lui attribue une prise de position, certainement.
Mais justement, est-ce que ça ne la paralyse pas dans son action d'éventuelle médiatrice, d'artisane du dialogue ?
Je ne pense pas. Je pense qu’il y a eu des volontés de la Francophonie de s'impliquer auprès de la RDC. Je pense notamment aux dernières élections de 2023, où la Francophonie a été invitée à observer. Et puis, finalement, où le pays n'a pas permis que cette observation des élections se fasse dans de bonnes conditions. Je pense qu’il y a l'épisode des Jeux de la Francophonie de 2023 aussi, on peut le mentionner, où la Secrétaire générale a été invitée, ensuite désinvitée. Donc effectivement, je pense que, du côté des autorités congolaises, il y a certainement quelque chose en lien avec la nationalité de la Secrétaire générale qui est à regretter parce qu'aujourd'hui, elle n'est pas ministre des Affaires étrangères du Rwanda, elle est Secrétaire générale de la Francophonie, à laquelle appartiennent les deux États que sont le Rwanda et la RDC.
Simplement, les Congolais remarquent que le soutien du Rwanda aux rebelles du M23 est pointé par l'ONU et condamné par de multiples pays dans le monde entier, mais que l'OIF ne condamne pas ce soutien ? Est-ce peut-être parce que Madame la Secrétaire générale est rwandaise ?
La Secrétaire générale en a appelé au respect de toutes les parties de poursuivre le processus de dialogue et de négociation de Nairobi. Donc la voix de la Francophonie, ça a toujours été le dialogue, la concertation, certainement pas le conflit. Donc, elle s'est exprimée à ce sujet à maintes reprises.
Des Jeux olympiques dans un pays francophone, c'est très rare, on n'avait pas vu cela depuis 1976 à Montréal. Cette année est donc un cru olympique exceptionnel pour faire rayonner la langue française dans le monde entier, mais est-ce que l'anglais n'est pas de plus en plus dominant dans les stades et dans les villages olympiques ?
Alors, je pense que l'anglais, malheureusement ou heureusement, est dominant un petit peu dans tous les secteurs, c'est vrai que c'est une réalité. La langue française est pourtant une des langues officielles des Jeux olympiques. Alors, cette année, l'OIF a signé avec le Comité d'organisation des Jeux olympiques (COJO) une convention sur l'usage et la promotion de la langue française. L'idée ici, c'est vraiment de pouvoir profiter de cette édition des Jeux olympiques, qui se passe dans un pays très francophone, pour le coup, pour mettre en place de bonnes pratiques visant à valoriser l'usage de la langue française, non seulement comme langue de travail dans les Jeux, mais également de communication, et de partir de cette bonne expérience pour rester dans cet engagement lors des prochaines éditions, notamment lors de celle de Los Angeles en 2028. La Francophonie s'est également engagée à mobiliser un certain nombre de volontaires francophones pour venir en appui aux équipes organisatrices des Jeux. En échange de quoi, le Comité s'est engagé à vraiment s'assurer que les documents, les différentes communications signalétiques seront disponibles dans toutes les langues, et surtout en français. Donc là, on va être un petit peu comme les observateurs de ces bonnes pratiques. Au terme de ces Jeux, l'OIF sera amenée à fournir un rapport qui pourra faire l'objet de recommandations pour toutes les éditions prochaines.
Oui, mais franchement, Oria Vande Weghe, lors des précédents Jeux de 2016 à Rio et de 2021 à Tokyo, on ne parlait pas français, à part lors des remises de médailles. Tous les commentaires, toutes les inscriptions étaient en anglais. Qu'est ce qui nous garantit que le français va revenir cette année ?
Absolument. Écoutez, déjà, le fait que ça se passe à Paris, ça joue bien sûr en faveur de la langue française. Maintenant, comme je le disais précédemment, on va s'assurer que cette expérience-ci va permettre de mettre en place de bonnes pratiques. Après, c'est vrai que ce sera un challenge pour les années à venir de maintenir cette pratique-là. Et vous savez que la question de la langue française dans les instances internationales, que ce soit dans les Jeux, dans les grandes compétitions ou dans les enceintes comme les Nations unies, c'est une question aussi de volonté. Il faut que les pays organisateurs y mettent de la volonté, que les participants francophones y mettent aussi de la volonté et que tout le monde ensemble se dise, ‘on va parler dans la langue qui est la nôtre et on va défendre cette langue’. Donc, on espère bien que cette édition à Paris va pouvoir faire la différence.
Il y aura des conférences de presse où on parlera en français, par exemple ?
J'espère bien, oui. Après, tous les athlètes, forcément, ne seront pas francophones. Il faudra aussi s'adapter au caractère multilingue et multinational des Jeux.
Et vous espérez que le pli sera pris pour les prochains JO de 2028 ?
C'est l'idée, c'est toute l'idée de cette convention. Donc, on va faire, en très mauvais français, un monitoring de l'usage de la langue française cette année et en espérant que, pour les années suivantes, les bonnes pratiques vont être installées.
Et vous espérez qu'à Los Angeles, on parlera aussi français en 2028 ?
On espère ! Un peu moins qu'à Paris, certainement.
Wed, 20 Mar 2024 - 903 - Départ des troupes américaines du Niger: «Un coup dur pour les deux parties»
Après les Français, c'est au tour des militaires américains d'être bientôt expulsés du Niger. C'est ce qu'a annoncé le porte-parole de la junte au pouvoir à Niamey, le 16 mars. Pourquoi le torchon brûle entre Niamey et Washington ? Et est-ce à dire que les Russes vont maintenant avoir le champ libre au Niger ? Entretien avec Paul-Simon Handy, directeur l'Institut d'études de sécurité (ISS) à Addis-Abeba.
RFI : Avez-vous été surpris par la décision du Niger de rompre sa coopération militaire avec les Américains ?
Paul-Simon Handy : J'ai été surtout surpris par le ton, par la forme et peut-être pas par la décision en elle-même qu'on voit poindre à l'horizon depuis un certain moment. Et le gouvernement du Niger n'étant pas à son premier coup d'éclat, disons que ce n'était pas une surprise totale. Mais la forme, il faut dire, est plutôt surprenante.
Oui, puisque les Nigériens accusent les Américains de condescendance, voire d’arrogance ?
Oui, ils n'ont pas eu la courtoisie de recevoir une délégation qui était dans leurs murs et ont utilisé un ton très peu diplomatique pour exprimer leur mécontentement, mais selon les dires des Nigériens, la condescendance de la partie américaine était à peine supportable.
Sur le plan stratégique, est-ce que c'est un coup dur pour le dispositif américain AFRICOM ?
Alors, il faut dire que c'est un coup dur, certainement pour les deux parties, parce que, même si le Niger décide de manière souveraine de renoncer à l'accord signé en 2012, le Niger perd énormément, déjà. Cet accord prévoyait de la formation, il prévoyait un appui en renseignements, un appui en équipements. L'armée nigérienne, au terme de cet accord, est dotée de transports aériens, d'avions C-130 qui sont importants dans toute opération. Pour la partie américaine, il y a de vraies pertes aussi. C'est un coup dur, définitivement, parce que la base américaine d'Agadez est certainement l'une des plus importantes bases américaines en Afrique, après celle de Djibouti. Cette base de drones permettait naturellement pour les Américains de recueillir du renseignement et des informations utiles à la lutte contre les groupes extrémistes violents, mais aussi certainement contre toute sorte de trafics illicites et les migrations aussi.
Et vous pensez à la Libye ?
On pense naturellement à la Libye. À la frontière du Niger avec la Libye, aussi, le Niger perd certainement un moyen important d'avoir des informations sur ce qui se passe à sa frontière avec la Libye. Et les Américains, à terme, perdront un énorme moyen de renseignement sur les mouvements en Libye et autour de la Libye.
Depuis le putsch de juillet dernier au Niger, les Américains s'étaient désolidarisés des Français, afin de ménager la nouvelle junte de Niamey. Comment expliquez-vous que, malgré ces précautions, les Américains subissent aujourd'hui cet échec ?
Disons que les Américains avaient peut-être mal apprécié la nature des militaires au pouvoir au Niger. On aurait pu penser au départ que c'est un coup stratégique de la part de la junte de vouloir diviser les Occidentaux, notamment la France et les États-Unis, s’aliéner la Francepour mieux se rapprocher des États-Unis, c'est ce qu'on aurait pu penser. Mais, pour les États-Unis, c'est un pari difficile à tenir, avec une junte militaire qui est pratiquement en contradiction avec toutes les normes et les idéaux démocratiques que représentent les États-Unis. Donc, il était difficile pour les Américains de tenir cette position, sans entrer en contradiction avec leurs principes.
Et justement, l'une des demandes des Américains, en échange de leur maintien à Agadez, c'était le retour du Niger à la démocratie et la libération du président Bazoum. Est-ce que cela a pu indisposer le général Tiani et la junte de Niamey ?
Je pense qu'il y a plein de choses qui indisposaient le général Tiani, parce que les Américains avaient littéralement les mêmes demandes que les Français. Les seules différences étaient peut-être sur le ton, mais du moment où les Américains ont commencé à appuyer sur la demande jugée inacceptable de renoncer à la coopération avec la Russie et l'Iran, pour les militaires au pouvoir à Niamey, c'était certainement la ligne rouge qu'il ne fallait pas franchir.
Selon le journal Le Monde, les militaires américains auraient exigé qu'à l'avenir, ils ne soient pas sur le même terrain que les militaires ou les paramilitaires russes. Est-ce que cette exigence vous paraît crédible ?
Lorsqu’on entend les déclarations du porte-parole du gouvernement de transition au Niger qui dit à peu près la même chose, il est probable que les Américains, forts de qu'ils croyaient être le soutien de la junte, aient pu avoir des exigences que la junte estimait tout simplement inacceptable. Si c'est vraiment le cas, je pense que les Américains ont certainement fait un faux pas, parce qu’il ne faut pas prendre pour juste un coup de sang la perception, notamment par les juntes militaires, mais aussi par une frange des populations en Afrique de l'Ouest, de ce que l'ensemble des réponses nationales et multinationales à la crise multiforme au Niger n'ont pas porté de fruits. Non, il y a un grand besoin de changement et un grand besoin d’essayer autre chose.
Est-ce qu'après l'annonce du départ prochain des Américains, les Russes ont désormais le champ libre au Niger ?
Je pense que oui. Le Niger, voyant ce qui se passe dans un pays comme la RCA, voyant ce qui se passe dans un pays comme le Mali, même si on ne peut pas parler de succès, on se dira que les Russes sont peut-être un partenaire de choix. Ce n’est pas un partenaire qui va remplacer les États-Unis, ce n’est pas un partenaire qui remplacera la France, mais qui apportera un soutien militaire qui permettra au moins de gagner des batailles tactiques. C'est ce dont a besoin le gouvernement militaire pour démontrer ce qu'il considère comme un succès aux populations du Niger.
Tous les Nigériens de plus de 40 ans se souviennent de l'assassinat du général Baré Maïnassara par le commandant Wanké, il y a 25 ans. Est-ce que les Russes n’offrent pas à la junte au pouvoir une valeur ajoutée, avec une protection rapprochée contre toute tentative de coup d'État interne à l'armée du Niger ?
Oui bien sûr. Je pense que le gouvernement de transition au Niger, comme dans d'autres pays du Sahel où il y a eu des coups d'État, je pense qu'il veut s'installer dans la durée. Sous le prétexte de vouloir réformer, il veut s'installer dans la durée. La coopération avec les Russes offre ainsi une sorte de protection qui pourrait assurer un mandat de cinq ans à ces juntes militaires. Donc oui, la coopération militaire avec la Russie, qui est moins contraignante en termes de redevances démocratiques, de normes de bonne gouvernance, cette coopération russe est de ce fait beaucoup plus utile au pouvoir qui s'installe dans la durée. Ce qui, pour moi, constitue la véritable inquiétude.
Donc, on peut parler aujourd'hui de retournement d'alliance au Niger ?
On peut parler d'un processus qui mène à un retournement d'alliance. Lorsqu'on entend le ton ferme du gouvernement de transition militaire, on peut se dire que là, c'est un point de non-retour. D'ailleurs, il y a une pointe d'ironie à entendre un militaire, qui a pris le pouvoir par la force, déclarer comme illégal et anticonstitutionnel un accord signé précédemment, alors que l'acte qui le mène au pouvoir est un acte illégal et anticonstitutionnel.
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Tue, 19 Mar 2024 - 902 - Côte d'Ivoire: la candidature de Gbagbo «est de l'ordre de la stratégie du PPA-CI»
C'est le premier des poids lourds politiques à se positionner pour l'élection présidentielle de 2025 en Côte d'Ivoire. Le 9 mars, le PPA-CI, le Parti des peuples africains, a désigné l'ex-chef de l'État pour être leur champion. Problème, Laurent Gbagbo est sous le coup d'une condamnation pour l'affaire dite du « braquage de la BCEAO » (Banque centrale des États d'Afrique de l'Ouest) pendant la crise post-électorale de 2010/2011. De ce fait, Laurent Gbagbo est privé de ses droits civiques et est donc inéligible. Seule une amnistie présidentielle de son ex-rival Alassane Ouattara pourrait le remettre en selle. Ousmane Zina est professeur agrégé en sciences politiques à l'Université de Bouaké. Il est interviewé par Frédéric Garat.
RFI :Ousmane Zina, Laurent Gbagbo vient d'être désigné candidat à la présidentielle de 2025 par son parti, le PPA-CI, mais Laurent Gbagbo est, à l'heure où l'on se parle, inéligible du fait de sa condamnation à 20 ans de prison pour le braquage de la BCEAO. Aussi, on s'interroge, à quoi rime une telle désignation ?
Ousmane Zina : Oui, je pense que c'est de l'ordre de la stratégie du PPA-CI. Premièrement, il s'agit de maintenir la figure de Laurent Gbagbo et donc, c'est une sorte de réponse à ceux qui pensent que nous tendons vers la fin de carrière politique de Laurent Gbagbo. Ce qui permettrait effectivement au PPA-CI de continuer à mobiliser ses militants en faisant exister Laurent Gbagbo au cœur du jeu politique ivoirien. Deuxième stratégie : projeter Laurent Gbagbo comme candidat en 2025, pourtant inéligible jusque-là, c'est aussi une manière de faire le forcing politique pour ouvrir les négociations politiques, seule voie pouvant permettre à Laurent Gbagbo d'être réintégré sur la liste électorale parce que c'est une figure assez forte pour le PPA-CI. Maintenant, reste à savoir si c'est la bonne voie. Sachant bien que, aux dernières élections communales et régionales, le PPA-CI n'a pas fait un très bon score en dépit du fait que Laurent Gbagbo ait été mis en avant comme cette figure très forte du jeu politique ivoirien. On verra bien si cette stratégie marche ou pas.
Est-ce qu'il est le seul candidat potentiel au sein du PPA-CI ? Est-ce qu'il n'y a pas une alternative ?
Il y a sûrement d'autres figures, il y a d'autres cadres. Beaucoup d'anciens cadres du FPI sont restés avec Laurent Gbagbo, mais est-ce qu’il y a cette volonté de laisser émerger de nouvelles figures, de nouvelles personnes ? Je pense que la figure de Laurent Gbagbo est tellement imposante au cœur du PPA-CI que, pour l'heure, l'on ne voit pas une autre personne qui puisse le remplacer malgré des signes de fragilité annoncés par certains ici et là.
Justement, faire campagne, c'est aussi un exercice physique, on le sait. On a vu le « Woody », le garçon vaillant revenir fatigué de La Haye. Est-ce qu'il aura encore l'énergie pour cet exercice ?
Il est clair que ce n'est plus le « Woody ». Ce n’est plus le « Woody » que l'on a connu durant les années 2000, de 2000 à 2010. C'est un homme d'un certain âge et, il faut le souligner, qui a connu un moment de maladie. Ce n'est plus forcément le même Laurent Gbagbo, mais il reste l'homme politique fort qui a marqué l'histoire politique de la Côte d'Ivoire. Il y a encore des générations qui se reconnaissent en lui et je pense que ça compte. C'est une voix qui compte dans le jeu politique, c'est une voix qui porte également, et c’est à lui peut-être encore de faire les preuves de sa capacité à mobiliser, de sa parole politique, qui soit ténue et écoutée par des milliers de personnes, comme on l'a vu dans le temps. Et donc, il y a encore des preuves à faire et 2025 n'est pas loin, et il y a du travail au niveau du PPA-CI.
Du coup, on s'interroge sur l'attitude d’Alassane Ouattara en matière d'amnistie : soit il amnistie son meilleur ennemi et il endosse ainsi le rôle du grand réconciliateur de la Côte d'Ivoire, soit il n'y a pas d'amnistie et il écarte un candidat potentiellement dangereux pour son propre parti, le RHDP.
Cette disposition met clairement le président Ouattara dans une situation de maître du jeu politique. Dans tous les cas, il a un temps d'appréciation qui lui permettra de juger opportun d'aller vers l'amnistie et de se positionner comme grand réconciliateur et espérer récupérer cela dans le sens de ressources politiques qui soient utiles pour 2025. Ou alors, il estimera que c'est une génération qui passe, qu’il n’y a pas lieu de forcer quoique ce soit dans la mesure où lui-même estime que plusieurs signes d'apaisement ont été faits et que ça ne soit pas une urgence. De là où il se positionne, c'est plutôt une candidature à proposer pour le RHDP en 2025, ou sa propre candidature, qui est l'équation la plus compliquée. Maintenant, le jeu politique, c'est le champ des possibles et, en Côte d'Ivoire, ça évolue très, très vite. Il a le temps d'apprécier, il a les cartes en main, de voir ce qui a lieu de faire et qui soit dans le sens de l'apaisement d’une part, mais également qui soit utile pour le RHDP, pour son parti. L'idée étant, bien sûr, de conserver ce pouvoir en 2025.
Ousmane Zina, on est en train de parler de Laurent Gbagbo, qui a 78 ans, d’Alassane Ouattara, qui en a 82. 75% de la population en Côte d'Ivoire a moins de 35 ans. Alors, on connaît le poids du respect des anciens, mais est-ce que le jeune électorat ivoirien se retrouve à travers ces leaders politiques ?
Très clairement, le besoin de renouvellement générationnel s'impose en Côte d'Ivoire. On constate effectivement ce gap-là, notamment en observant les totaux d'abstention, en observant la participation de ces jeunes-là souvent très faible durant les élections. Je pense qu'il y a un besoin d’activer ce renouvellement générationnel, de le booster. Et, très clairement, ce sont les questions que ces jeunes se posent.
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Mon, 18 Mar 2024 - 901 - Howard Catton: le recrutement des infirmiers dans les pays africains est «une forme de néocolonialisme»
C'est un cri d'alarme pour les systèmes de santé des pays africains. Howard Catton dénonce une forme de « néocolonialisme ». Le directeur général du Conseil International des Infirmiers/Infirmières (lui-même infirmier britannique) s'inquiète de l'accélération de la fuite des cerveaux infirmiers. En recrutant massivement des soignants dans les pays africains anglophones et francophones, les pays à revenu élevé contribuent à accentuer des déserts médicaux, dangereux pour les populations. Entretien avec Howard Catton.
RFI : Vous dîtes que le recrutement d'infirmiers ou d'infirmières venus de pays vulnérables au profit de pays dit riches est devenu « hors de contrôle » ?
Howard Catton :Nous avons constaté une augmentation très significative de l'activité de recrutement international au cours de la dernière année. Aujourd'hui, elle est principalement due à un petit nombre de pays aux revenus élevés. Des pays qui connaissaient déjà des pénuries importantes d’infirmières avant la pandémie de Covid-19. La pandémie a aggravé la situation. Et la solution de court terme de ces pays, c’est de recruter à l'étranger. En particulier dans des pays avec des systèmes de santé fragiles. Et nous sommes extrêmement préoccupés par l'impact négatif que cela a sur la capacité de ces pays qui perdent des infirmières à continuer à fournir des soins de santé à leur propre population.
Sur le continent, quels sont les pays qui perdent le plus leurs infirmiers, leurs infirmières ?
Nous voyons des recrutements dans un large éventail de pays africains, du Botswana à l'Eswatini, au Kenya, au Malawi, en Namibie et au Rwanda, de manière très significative aussi au Ghana, au Nigeria et en Ouganda. Bien sûr, il y a des exemples dans les pays francophones aussi. Car nous voyons une hausse du recrutement en France. La Suisse a toujours recruté de manière significative, comme le Canada. Mais des pays comme la Finlande ont également accru leur recrutement. Il y a aussi de plus en plus de demandes en Asie, mais là, il faut des formations linguistiques. En tout cas, ce n'est pas un phénomène propre aux pays anglophones. Et ce que nous avons vu, c'est que certains de ces pays semblent encourager, soutenir, le départ de leurs infirmières, parce qu’ils y voient un avantage économique : l'argent renvoyé au pays. Cela donne nous donne le sentiment de faire partie d'une forme de néocolonialisme : les pays à revenu élevé utilisent leur puissance économique et leur richesse pour prélever ce dont ils ont besoin dans des pays plus fragiles. Ils instaurent une nouvelle forme de dépendance inquiétante à long terme, car elle fait obstacle au développement de systèmes de santé accessibles à tous.
Dans ces pays de départ, que disent les infirmiers et les infirmières pour expliquer leur choix ?
La très grande majorité des infirmières et autres soignants nous parlent de l'échec de leurs gouvernements et de leurs systèmes de santé à investir en eux pour payer des salaires équitables, garantir des conditions de travail décentes, pour s’assurer qu’ils disposent de l’équipement dont ils ont besoin pour faire leur travail… Tous ces éléments motivent les départs. Il ne faut pas donc pas oublier les gouvernements des pays qui perdent leurs infirmiers, leurs infirmières, parce que cela est dû – en partie – à leur incapacité à investir correctement et sérieusement dans leur personnel et leurs systèmes de santé.
Et à ce jour, qu’est-ce qui encadre le recrutement international et qui pourrait atténuer cette fuite des soignants ?
Il existe un code de bonnes pratiques internationales qui encourage le recrutement éthique et équitable, mais, en réalité, nous pensons qu'il est trop faible. Vous voyez, il existe une liste de 55 pays où le recrutement est activement déconseillé. 37 de ces 55 pays sont en Afrique. Mais au cours de la dernière année, plus de 6 000 infirmières originaires de ces pays africains les plus vulnérables en matière de santé ont été recrutées et envoyées au Royaume-Uni. Pour nous, il faut renforcer ce code, et il faut un moratoire sur le recrutement actif dans les pays les plus vulnérables.
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Sun, 17 Mar 2024 - 900 - Sénégal: «Le fait que Bassirou Diomaye Faye a été retenu en prison a amplifié la campagne de ses partisans»
Au Sénégal, l’opposant Ousmane Sonko et son second Bassirou Diomaye Faye, candidat à la présidentielle, sont sortis de prison cette nuit (jeudi 14 mars), provoquant la liesse de milliers de Dakarois. Comment interpréter ces libérations à dix jours de la présidentielle ? Quelles conséquences auront-elles sur la campagne en cours et au-delà sur le scrutin du 24 mars ? Elimane Haby Kane, le président du think tank LEGS-Africa est ce matin notre invité. Il répond aux questions de Pierre Firtion.
RFI : Elimane Haby Kane, quelle lecture faites-vous du moment auquel intervient cette libération, d'Ousmane Sonko et de Bassirou Diomaye Faye ? Qu'est-ce qui relève du juridique et qu'est-ce qui relève du politique dans le choix de ce moment, selon vous ?
Elimane Haby Kane : Je pense que, déjà, le motif qui est donné par le président de la République laisse croire, parfaitement, qu'il s'agit d'une ingérence de la politique dans le judiciaire parce que tout simplement le président a parlé de « décrispation ». Ce qui l’a amené à prendre une loi d'amnistie, qui reste une loi impopulaire, décriée par de grandes franges de la société sénégalaise, mais par laquelle intervient aussi la libération de deux leaders très populaires de l'opposition sénégalaise, à savoir messieurs Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye, qui est lui-même candidat à l'élection présidentielle de 2024.
Comment se déroule depuis samedi la campagne de l'ex-Pastef ? Est-ce qu'elle a pu réellement démarrer sans que le candidat soit en liberté ?
Oui, il y a un paradoxe : le fait que le candidat Bassirou Diomaye Faye soit retenu en prison a amplifié justement la campagne de ses partisans. Et en même temps, on a vu que sa coalition s'est bonifiée avec beaucoup de ralliements d'autres leaders de l'opposition, et que leurs équipes ont fait le travail sur le terrain sans la présence du candidat. Et ça a été une des manifestations les plus visibles depuis le début de cette campagne électorale. Je pense que l’effet du candidat en prison, qui est un fait inédit, a également amplifié l'écho de sa campagne sans lui. Il a finalement été l'absent le plus présent dans cette campagne électorale.
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Certains candidats qui sont déjà en campagne sont proches du Pastef, des candidats comme Habib Sy ou Cheikh Tidiane Dieye. Est-ce que vous voyez leur présence dans la course comme un élément de force ou comme un risque de dispersion des voix pour l'opposition radicale ?
Je pense qu'ils ont quand même clarifié leur stratégie et leur posture. Ils ont dit assez rapidement qu’ils étaient des candidats dans une stratégie de maintenir la mouvance de l'ex-Pastef dans la course parce qu’ils étaient dans l'incertitude par rapport à la validation des candidats, de Bassirou… suite à l'invalidation de la candidature de leur principal leader Ousmane Sonko. Donc, aujourd'hui, dans la campagne, on se retrouve avec deux candidats qui, en réalité, battent campagne pour un seul, c'est-à-dire Bassirou Diomaye Faye qui reste finalement le candidat de la mouvance de l'ex-Pastef.
Est-ce qu'on sait ce que ces candidats vont faire maintenant qu’Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye sont sortis de prison ?
Ces candidats vont continuer à faire leur campagne avec les mêmes messages, c'est-à-dire se porter sur le projet, mais également adouber Bassirou Diomaye Faye. Donc, soit, d'ici la fin de la campagne, ils vont se retirer de la course après avoir occupé le temps d'antenne que cela leur confère au niveau surtout des médias publics. Ou bien, tout simplement, il vont donner des consignes claires et demander à ceux qui les suivent de voter pour un seul candidat pour éviter justement la dispersion des forces. Maintenant, c'est évident qu'aujourd'hui les têtes de pont, les véritables leaders, sont libres et vont certainement s'imposer et conduire le reste de la campagne. Ce qui ne manquerait pas de booster, effectivement, cette campagne et de confirmer cette tendance populaire qu'elle avait déjà.
Est-ce que cette libération est susceptible, selon vous, de changer la dynamique de la campagne ?
Je pense que ça peut surtout renforcer cette campagne, parce que la présence de leaders comme Ousmane Sonko, très populaire, va davantage drainer du monde autour de lui… des caravanes qui seront organisées, mais également ces messages librement professés vont certainement avoir un impact incisif pour le reste de la campagne.
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Fri, 15 Mar 2024 - 899 - Soumaïne Adoum: «Le Tchadien veut sortir de la pauvreté, veut de la démocratie et de la liberté»
Lors de l’élection présidentielle du 6 mai au Tchad, s’affronteront notamment le président de transition Mahamat Idriss Deby et l’ancien opposant et désormais Premier ministre Succès Masra. Le porte-parole de la plateforme de la société civile tchadienne Wakit Tama Soumaïne Adoum porte un regard sans concession sur le processus électoral et sur la présence militaire française dans son pays, après l’annonce du maintien des troupes françaises. Il est au micro de notre correspondant à Ndjamena, Carol Valade.
Le scrutin du 6 mai est censé mettre un terme à la période de transition entamée en avril 2021 à la mort du président Idriss Deby et l’accession au pouvoir de son fils, Mahamat Idriss Deby porté par un groupe de généraux. Il intervient dans un contexte de tensions, marqué par la mort de l’opposant Yaya Dillo, tué lors d’un raid de l’armée au siège de son parti le 28 février dernier, mais aussi de crise sociale depuis la hausse brutale des prix du carburant.
Ce contexte d’interrogation concerne également le plan diplomatique, après que l’envoyé spécial du président français pour l’Afrique, Jean-Marie Bockel, a déclaré à Ndjamena son « admiration » pour la transition en cours et le maintien des troupes françaises dans le pays.
Soumaïne Adoum est le porte-parole de la plateforme de la société civile tchadienne Wakit Tama, il porte un regard sans concession sur le processus électoral et sur la présence militaire française dans son pays.
RFI : Succès Masra, ancien opposant, aujourd'hui Premier ministre du Tchad, vient d'annoncer sa candidature à l'élection présidentielle. Quelles sont ses chances ?
Soumaïne Adoum :Avant son accord de Kinshasa, Succès Masra s'est battu pour que les élections soient transparentes, crédibles, honnêtes, etc. Depuis qu'il est rentré, l'ensemble du processus pour mettre en place des élections crédibles ne le sont plus.
L'Ange [Agence nationale de gestion des élections - NDLR] est dirigée par un membre du MPS [parti fondé par le défunt président Idriss Deby et qui a investi Mahamat Idriss Deby en tant que candidat - NDLR], le Conseil constitutionnel est dirigé par le porte-parole même du MPS. Alors que ces deux organes-là organisent les élections et le second arbitre les différends, quelle est l'assurance qu'il a déjà pour être candidat et, deuxièmement, pour croire qu'il peut gagner ?
Avec un handicap supplémentaire du fait que, étant Premier ministre, c'est Succès Masra qui prend un peu tous les coups. On l'a vu avec l'augmentation des prix du carburant, c'est lui qui l'a annoncée.
Et puis non seulement ça, maintenant, on annonce la gratuité de l'électricité, pour de l'électricité qui n'existe pas. C'est une moquerie et c'est une opération dans laquelle il gagne doublement : ils ne nous fournissent rien, ils rendent ça gratuit. Bon, pour ceux qui ne savent pas, ils applaudissent, ceux qui ont l'électricité à la maison, ils grognent. Mais oui, mais l'annonce a été faite que c'est gratuit, et ça compte pour la campagne.
À vous entendre, le président de transition aurait un véritable boulevard devant lui ?
Je ne vois pas qui va empêcher l'élection de monsieur « Kaka ». D’autant plus que la communauté internationale attend le résultat final pour dire « OK, c'est bon, l'important, c'est qu'on continue la coopération ». Et Jean-Marie Bockel qui dit qu'il est satisfait de la transition : je ne sais pas ce qu'il a appris de la transition, lui.
Ces propos de Jean-Marie Bockel, qui ont été tenus donc à la présidence tchadienne, seulement quelques jours après lamort de Yaya Dillo, est-ce qu'ils vous ont choqués ?
C'est plus que choquant. Déjà, la mort de Yaya Dillo est un choc. Qu'après, quelqu'un arrive et dise que la transition se passe bien, quand il y a à peine dix jours, on a assassiné un des opposants qui peut gêner pendant les élections, ça, quand même, c’est fort de café. Mais en plus Jean-Marie Bockel dit que...
… que l'armée française reste présente, qu'elle doit rester au Tchad. Ça aussi, j'imagine que c'est quelque chose qui vous fait réagir ?
Pour les Tchadiens, c'est une déclaration de guerre parce que cette affaire est claire : on a dit qu’on accepterait tout sauf la présence militaire. Ça fait 130 ans que l'armée française est présente sur ce territoire, ce n'est pas acceptable. Alors s'il arrive et que lui, il décrète que l'armée française doit rester, ce n'est pas l'opinion des Tchadiens. C'est l'opinion du président de la transition, oui, mais ça c'est entre eux deux. Les Tchadiens, c'est autre chose. Les Tchadiens veulent un départ définitif de la base militaire quelles que soient les conditions.
Et selon vous, pourquoi est-ce que les Français cherchent à maintenir cette présence ?
Déjà pendant la colonisation, le territoire tchadien était toujours appelé un « territoire militaire », puis la tradition a continué. Deuxièmement, le Tchad est un verrou au niveau continental, et donc, une des clés, un des piliers de la puissance militaire française. Mais ça, ce sont les intérêts français, ce ne sont pas les intérêts tchadiens.
Et vous diriez donc qu'il y a un lien entre cette présence militaire et le ton qui est employé par la diplomatie occidentale à l'égard du Tchad ?
Oui, et il faut interroger le fait que, est-ce que ce n'est pas à cause de la base militaire, que l'exception politique démocratique est ainsi accordée au régime qui a fait le putsch en 2021 ? Est-ce que bousculer la question politique équivaudrait à perdre l'avantage militaire au Tchad ? Je ne sais pas. Dans le dialogue qu'on a eu avec les pays membres de l'Union européenne, en Europe, les visites que nous avions faites sur place, le plus souvent, on nous a opposé le fait que si on pousse trop d'exigences vis-à-vis du pouvoir, alors on pousse le pouvoir entre les mains des Russes, des Chinois et enfin des Brics (groupe créé par le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du sud – NDLR).
Mais qu'est-ce que vous offrez de mieux pour que les gens n'aillent pas voir les Russes ? Le Tchadien veut sortir de la pauvreté, le Tchadien veut de la démocratie, le Tchadien veut de la liberté, ne veut plus un soldat qui lui botte les fesses. La liste n'est pas longue. Vous voyez, dans ces conditions-là, la position du Tchadien n'est pas écoutée, elle n'est pas audible du côté du pouvoir je veux dire, parce que le pouvoir est soutenu de l'extérieur.
Thu, 14 Mar 2024 - 898 - Cameroun: «Il n'y a aucune raison d'appeler à une transition politique», dit le ministre René Emmanuel Sadi
Au Cameroun, la présidentielle de 2025 se profile. Le président Paul Biya, au pouvoir depuis 1982, sera-t-il candidat à un huitième mandat ? « Au terme de son mandat, les Camerounais seront informés de sa décision, le moment venu : se représenter ou se retirer », répond le ministre camerounais de la Communication, porte-parole du gouvernement René Emmanuel Sadi, qui précise que l’âge du chef de l’État - 91 ans - n’est pas un problème. Entretien.
RFI : Dix ans après sa libération, le professeur Titus Edzoa plaide pour une transition politique au Cameroun, et se dit prêt à la diriger, quelle est votre réaction ?
René Emmanuel Sadi :Il n’y a aucune raison d’en appeler en ce moment à une transition politique au Cameroun. Les institutions fonctionnent, le président de la République exerce pleinement ses fonctions. La question ne peut pas se poser, elle est absolument inopportune de notre point de vue.
Titus Edzoa précise que certaines personnes du premier cercle du pouvoir l’ont contacté pour qu’il dirige cette future transition, qu’est-ce que vous en pensez ?
Ecoutez, personnellement, j’en doute. C’est une déclaration qui n’engage que monsieur Titus Edzoa, et ceux probablement qui disent l’avoir contacté.
Alors, transition ou alternance, monsieur Edzoa n’est pas le seul acteur politique camerounais à demander un changement au sommet de l’Etat… Est-ce qu’après 41 ans de présidence de Paul Biya, vous pouvez entendre ce besoin de changement ?
C’est le peuple camerounais qui en décide. Et les élections s’annoncent en 2025, on verra bien si les Camerounais souhaitent changer dans un sens ou dans un autre.
Quand monsieur Edzoa affirme que, depuis 2018, rien de ce qui a été promis n’a été fait, comment vous réagissez ?
Il y a là encore l’expression d’une contrevérité. Au plan politique, le président de la République a organisé un grand dialogue national et, ça vous le savez, qui aura abouti à la création d’un statut spécial dans les deux régions du nord-ouest et du sud-ouest. Au plan économique, des grands chantiers ont été engagés, notamment des barrages, des ponts, des routes, pour ne citer que cela. Enfin, au plan socio-culturel, et sportif, comme vous le savez, notre pays a organisé en 2022 une des Coupes d’Afrique des nations les mieux organisées de l’histoire. Prétendre que rien n’a été fait depuis 2018, selon le professeur Titus Edzoa, me semble relever de la mauvaise foi.
Le professeur Edzoa estime qu’en 2025, le peuple camerounais n’attend ni une nouvelle candidature du président Biya, ni une candidature de son fils Franck. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Ecoutez, le président de la République s’est prononcé publiquement, et ceci à plusieurs reprises, sur la question de son éventuelle candidature au terme du mandat en cours. Et il a toujours dit qu’au terme de ce mandat, les Camerounais et la Communauté internationale seront informés de la décision qu’il prendra : celle de se représenter, ou celle de se retirer. Le président de la République se déterminera en accord avec les militants de son parti, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais, le RDPC. Quant à son fils, Franck Biya, s’il remplit les conditions de son éligibilité, il prendra sa décision en toute responsabilité.
Est-ce que l’âge du capitaine est un paramètre dans les discussions à venir au sein du parti RDPC ?
Je pense qu’il faut relativiser un peu cette question qui revient tout le temps, l’âge, l’âge, l’âge… L’expérience aussi ça compte, et l’expérience elle vient avec l’âge.
Le professeur Titus Edzoa demande la libération des personnalités politiques actuellement en prison. Il cite notamment d’anciens Secrétaires généraux de la présidence, comme Marafa Hamidou Yaya et Jean-Marie Atangana Mebara, mais aussi Gilles Roger Belinga et notre confrère Amadou Vamoulké, sans compter bien sûr les 41 membres du parti d’opposition MRC actuellement en prison. Quelle est votre réaction ?
Alors nous n’avons pas coutume de nous ingérer dans les questions qui ont trait à la justice. Et ces compatriotes, vous le savez, ont été traduits devant les tribunaux, ils ont été jugés de façon transparente, dans un cadre accessible au public, pour des délits que nous connaissons, ce sont des délits de droit commun et non des délits d’ordre politique, il n’y a pas de prisonniers politiques au Cameroun, ça il faut le dire, il faut le souligner. Et c’est donc la justice qui décidera de les relaxer ou de continuer de les maintenir en prison. Si jamais une action était envisagée ou souhaitée, je pense notamment peut-être à une grâce éventuelle, présidentielle, à ce moment-là, oui, bien sûr, ceci est conforme aux lois et au règlement.
Le prisonnier Marafa Hamidou Yaya est gravement malade, il a perdu la vision d’un œil. Est-ce qu’un geste peut être envisagé ?
Ecoutez, je crois que tout peut être envisagé. Je ne peux pas me substituer à qui de droit pour vous dire si une grâce peut être accordée ou non.
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Wed, 13 Mar 2024 - 897 - Guinée: «Nous devons travailler à une décrispation politique», annonce le Premier ministre Bah Oury
En Guinée, le nouveau Premier ministre Bah Oury choisit RFI pour accorder sa première interview et il annonce que le référendum constitutionnel doit se tenir avant la fin de l'année. Est-ce à dire que la transition militaire ne va pas s'arrêter en décembre prochain, comme l'avait pourtant promis le général Doumbouya, et que les civils ne reviendront pas au pouvoir avant 2025 au plus tôt ? En ligne de Conakry, le Premier ministre s'exprime aussi sur les pénuries de carburant et d'électricité.
RFI : Vous dites que vous venez à la primature pour décrisper la situation, l’une des causes de la grave crise d’il y a deux semaines, ce sont les coupures de chaînes de radios et de télévisions indépendantes, ce sont aussi les restrictions sur internet, « halte à la censure » disent les Forces vives de Guinée, est-ce toutes ces coupures vont cesser ?
Bah Oury : La semaine dernière, j’ai déjà rencontré, à ma demande, les professionnels des médias, et nous avons eu à échanger sur la question. Dans les prochains jours, nous allons travailler à ce que la situation redevienne normale. En ce qui concerne la question de la restriction d’internet, la restriction a été levée.
Et quand vous dites que vous avez dit aux patrons des médias que la situation allait redevenir normale, c’est du point de vue des chaînes de radios et de télévisions qui sont actuellement coupées ou brouillées ?
Peut-être que je n’ai pas dit exactement que ça redeviendra normal, mais j’ai pris en compte leurs doléances et leurs préoccupations, et je vais en discuter avec le président de la République, le général Doumbouya, pour avoir son point de vue. Et je pense que l’état d’esprit qui doit prévaloir à l’heure actuelle, c’est un état d’esprit de décrispation, et comme les médias, notamment les responsables, vont mettre en place un organe d’auto-régulation interne, je pense qu’ils ont pris bonne note de la nécessité de moraliser et de discipliner une nouvelle génération de journalistes qui sont beaucoup plus dans la culture des réseaux sociaux que dans la culture d’un professionnalisme avéré, en ce qui concerne le métier du journalisme.
Depuis l’explosion du principal dépôt de carburant de Conakry, c’était le 17 décembre dernier, il y a pénurie de carburant, il y a encore plus de délestage d’électricité qu’avant, qu’est-ce que vous comptez faire pour remédier à tout cela ?
Cette situation, vraiment, a été une catastrophe nationale, avec bien entendu les pertes en vies humaines. Il faut faire face notamment aux besoins de la population affectée, pour retrouver, avant la saison des pluies, des logements décents et puis assurer l’approvisionnement en carburant du pays. J’espère que, dans les prochains mois, on pourra parvenir à assurer une desserte tout à fait régulière en attendant la construction d’un nouveau dépôt. En ce qui concerne la question de l’électricité, on se bat actuellement avec les équipes concernées pour trouver des solutions, quitte à débourser des montants qu’on aurait pu utiliser dans le secteur des investissements pour avoir la capacité de produire plus d’électricité, d’où la nécessité de faire appel à un bateau qui abrite des groupes thermiques pour assurer une capacité de production supplémentaire.
Donc il y a dans le port de Conakry un bateau qui fait centrale thermique en quelque sorte, c’est ça ?
Oui, c’est bien ça. Mais le bateau n’est pas encore là, et nous sommes en train de voir avec toutes les structures concernées pour activer l’arrivée de ce bateau et pour avoir une capacité supplémentaire de production d’électricité.
Depuis l’arrivée au pouvoir des militaires du CNRD il y a deux ans et demi, le dialogue est très difficile avec les trois grandes formations politiques du pays, le RPG d’Alpha Condé, l’UFDG de Cellou Dalein Diallo, et l’UFR de Sidya Touré… Que comptez-vous faire pour convaincre ces grands partis de parler avec le pouvoir et avec vous ?
Vous savez, chaque chose en son temps. Dans la première phase, il y avait eu des crispations qui sont nées de manière presque spontanée. Après deux ans et demi maintenant, le temps a permis de ramener la raison au niveau de la plupart des acteurs. Et suite à ma nomination, j’ai reçu les encouragements et les félicitations des acteurs que vous venez de citer, donc nous allons renforcer cette dynamique de décrispation, et nous allons travailler à ce que tout le monde puisse se retrouver autour de la table pour que la Guinée puisse revenir à un ordre constitutionnel normal et par la suite baliser le chemin pour une gouvernance vertueuse, équilibrée, consensuelle, pour en finir avec plusieurs décennies d’errance et de soubresauts qui affectaient la paix sociale et la stabilité du pays.
Et est-ce que vous avez parlé récemment avec votre ancien camarade de parti, Cellou Dalein Diallo ?
72 heures après ma nomination, lui-même a pris l’initiative de m’appeler pour me féliciter et m’encourager.
Et que lui avez-vous répondu ?
Je lui ai répondu que je le remercie, et qu’il est temps que nous tous, nous travaillions pour assurer un retour à un ordre constitutionnel.
Il vous a évidemment demandé si vous étiez favorable à son retour d’exil, qu’en pensez-vous ?
Non, nous n’avons pas évoqué cette question.
Quand vous avez accepté de venir à la primature, vous avez nécessairement demandé aux miliaires du CNRD et au général Mamady Doumbouya combien de temps allait encore durer la transition. Qu’est-ce qu’ils vous ont répondu ?
Je pense que la durée de la transition dépend de ce qui va être fait sur le terrain. Nous avons besoin de finaliser la mise en place du recensement administratif à vocation d’état civil, et de ce fichier d’état civil, il y aura l’extraction pour avoir le fichier électoral. A partir de l’établissement du fichier électoral, le referendum a été déjà indiqué comme étant un objectif majeur par le président du CNRD, le général Mamady Doumbouya. Donc d’ici la fin de l’année, il faut nécessairement que le referendum constitutionnel puisse être tenu. A partir de ce moment-là, les autres processus électoraux vont être déclinés.
Ce qui vous laisse espérer une fin de la transition l’année prochaine, en 2025 ?
J’espère que nous tiendrons le cap, et ce qui est en train d’être fait va dans cette direction.
S’il y a un referendum avant la fin de l’année, peut-on espérer un retour à l’ordre constitutionnel normal d’ici un an ?
Je ne peux pas me prononcer puisqu’il y a beaucoup de contingences. Dans un contexte où nous accusons une fragilité sur le plan économique, sur le plan financier, nous devons travailler à une stabilisation, à une décrispation politique pour avoir la possibilité d’examiner et de faire les étapes des chronogrammes dans une relative sérénité, donc l’objectif c’est de finir cela. Et je pense que 2025 est une bonne période pour couronner l’ensemble du processus, et toujours avec l’aide de dieu, parce que, par exemple, l’explosion du dépôt de carburant a été vraiment un coup très dur et qui impacte l’ensemble des activités de l’Etat aujourd’hui.
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Tue, 12 Mar 2024 - 896 - Titus Edzoa: «Je ne conçois pas qu'on soit privé de sa liberté parce qu'on a une opinion différente»
Au Cameroun, les grandes manœuvres commencent en vue de la présidentielle, prévue en octobre 2025. Du côté du pouvoir, on ne sait pas encore si Paul Biya, qui gouverne depuis plus de 41 ans, sera candidat à un nouveau mandat. Mais le professeur Titus Edzoa plaide pour une transition et se dit prêt à la diriger. Ancien médecin personnel de Paul Biya et ancien secrétaire général de la présidence, Titus Edzoa a payé cher sa volonté d'être candidat en 1997. Il a fait dix-sept ans de prison et vient de fêter les dix ans de sa libération.
RFI : Vous qui avez connu 17 années dans un cachot de 8m², est-ce que vous avez toujours des relations avec les personnalités politiques qui sont toujours en prison ?
Titus Edzoa : Oui, j’ai de leurs nouvelles et je ne cesse de les encourager parce que je sais ce que cela veut dire, et surtout beaucoup sont en prison pour leurs opinions. Donc pour le Cameroun, après tant d’années, c’est une honte. Parce que je ne conçois pas qu’on puisse être privé de sa liberté, tout simplement parce qu’on a une opinion différente de ceux qui sont au pouvoir.
Vous pensez à qui en particulier ?
Ils sont nombreux. Je vais donner quelques noms : Marafa [Marafa Hamidou Yaya], Mebara [Jean-Marie Atangana Mebara], Gilles Belinga [Gilles Roger Belinga], Vamoulké [Amadou Vamoulké], et bien d’autres.
Et les 41 militants du parti d’opposition MRC ?
Oui, ça va dans la même logique, parce que ce sont des comportements absolument abjects et on risque de les oublier, il faut qu’ils tiennent bon.
Parce que, quand vous étiez en prison, vous aviez peur d’être oublié ?
Non seulement peur, mais j’avais été oublié. Vous savez, 17 ans, dans des conditions terribles, c’est ça qui vous taraude, vous n’existez plus, et puis vous avez le temps aussi de penser à vous-même, mais aussi pour les autres. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai continué à faire de la politique, parce que pour moi la politique, c’est un instrument de service et non pas de jouissance, comme on le voit aujourd’hui dans notre pays.
Lors de la présidentielle de l’an prochain, le président Biya aura 92 ans, et pourtant ses partisans l’invitent à se représenter, qu’est-ce que vous en pensez ?
Oh, c’est toujours les mêmes farces, c’est-à-dire que je crois que, si ça se passe encore comme cela, c’est une mascarade de plus, puisqu’on a déjà vécu ça la fois passée.
Vous pensez à 2018 ?
Tout à fait. Vous savez, 2018, tout ce qui a été promis, rien n’a été fait. Les institutions sont bloquées, vous avez la guerre du nord-ouest et du sud-ouest, rien n’a été fait, bien au contraire. Sur cette guerre-là, on a plutôt privatisé la guerre et puis la mort se passe dans des conditions dramatiques, des deux côtés. Donc tout est en statu quo, et le pays se meurt.
Alors dans les cercles du pouvoir, certains poussent Paul Biya à se représenter une énième fois, mais d’autres l’incitent à préparer son fils, Franck, pour lui succéder, quel est à votre avis le scénario le plus probable ?
Je ne suis pas un devin. Je peux dire tout simplement que ni l’une, ni l’autre proposition n’est pas ce qu’attend vraiment le peuple Camerounais. Son fils, je lui avais donné un conseil, d’une façon publique, de se retirer de ces joutes, parce que, si jamais il acceptait, et s’il devenait candidat, ce serait pour lui quelque chose de très nocif, et ce serait pour le Cameroun un autre échec qu’on ajouterait aux échecs précédents.
Alors quelle est la solution pour vous ?
Alors, j’ai proposé une solution, celle de la transition. C’est-à-dire que les forces vives de notre pays se retrouvent et créent ce que j’appelle une période de transition. Et cette transition aura comme mission principale, fondamentalement, de remettre les institutions républicaines en place pour une refondation profonde. Ensuite, procéder à un audit, comptable et non comptable, de tous les secteurs du pays, et bien d’autres propositions qui feront l’objet de cette transition.
Et réformer le code électoral j’imagine ?
Tout à fait. C’est comme si on remettait tout à plat, c’est une période qui n’est pas une option, mais qui est devenue un passage obligatoire.
Une transition de combien de temps ?
Oh, trois, quatre ans… ça dépend. Mais ce serait une période vraiment très intense pour que le pays puisse se retrouver et pour repartir à zéro.
Et une transition dirigée par qui ?
Alors, pas nécessairement par les partis politiques. Bon, j’ai été touché pour diriger cette transition, je leur ai dit : « s’il en est ainsi, j’en prendrai la responsabilité, mais une fois terminé, je peux dire le « job », je quitterai la scène politique. »
Vous avez été contacté par des personnes qui sont actuellement dans le premier cercle du pouvoir ?
Par certains du premier cercle du pouvoir, dont je ne peux pas révéler les noms, et dans la société civile, et beaucoup de partis aussi y adhèrent, c’est une idée qui fait son chemin pour sortir notre pays de l’impasse.
Donc aujourd’hui vous dites que vous êtes disponible pour diriger une éventuelle transition ?
Tout à fait.
Mon, 11 Mar 2024 - 895 - Bobi Wine: «Ce film raconte l'histoire du peuple ougandais qui se bat pour la démocratie»
Bobi Wine, le président du peuple, un film consacré à l'opposant ougandais, est nommé aux Oscars. La 96e cérémonie a lieu ce dimanche 10 mars à Los Angeles. Le documentaire, nommé dans la prestigieuse sélection, retrace le parcours de Robert Kyagulanyi Ssentamu de son vrai nom, depuis ses débuts en tant que musicien engagé jusqu’à sa candidature à la présidence en 2021. Un parcours semé d'embûches pour cette icône de la jeunesse, qui n'a jamais baissé les bras.
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Sun, 10 Mar 2024 - 894 - Dieynaba N'Diom: «Réfléchir à des mécanismes qui permettent aux féministes de ne pas être muselées»
En ce 8 mars 2024, Journée internationale des droits des femmes, notre invitée de ce matin lance une alerte. Il faut, dit-elle, protéger les féministes en Afrique, notamment contre les attaques sur internet et contre le cyberharcèlement. La sociologue mauritanienne Dieynaba N'Diom milite au sein du Réseau des Jeunes Féministes d'Afrique de l'Ouest francophone. Elle se bat notamment pour que les auteurs de violences et de harcèlement à l'égard des femmes soient poursuivis par la justice. En ligne de Nouakchott, elle répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Pourquoi dites-vous que le féminisme, c'est un engagement patriotique ?
Dieynaba N’Diom : Parce que je pense que dans une société où les règles du jeu ne sont pas équitables, où le système social ne met pas tout le monde sur un pied d'égalité, le féminisme devient un engagement. Parce qu’en fait, quand un système est patriarcal, c'est qu'il y a forcément des personnes qui sont lésées.
Et l'un des gros problèmes que vous rencontrez dans ce que vous appelez ce système patriarcal, c'est le vide juridique, dites-vous. Dans quels domaines notamment ?
Notamment sur les questions des violences faites aux femmes et aux filles. On a l'État mauritanien qui a mis des institutions en place pour cela. Il y a, par exemple, un observatoire de l'égalité genre au niveau de l'université de Nouakchott. Mais, pour moi, c'est un non-sens d'avoir toutes ces institutions qui sont là, mais qu’on n'ait pas un instrument juridique qui permette de réguler tout cela.
C'est-à-dire que le pouvoir mauritanien encourage les associations de défense des femmes, mais ne fait pas voter de loi contre les auteurs de violences faites aux femmes ?
Absolument, je le dis. Pourquoi je dis ça ? Parce qu'on a des mouvements d'obédience religieuse et parce qu'on a des personnes très réfractaires à l’émancipation de la femme, qui ont fait une campagne d'intoxication sur ce projet de loi pour, au final, qu'on ait des sit-in et des marches de personnes qui n'ont par ailleurs jamais visité le projet de loi et ne savent pas de quoi ça parle. Donc le gouvernement a fait machine arrière. Alors à chaque fois que ce projet de loi revient à la surface, il y a aussi les réfractaires qui reviennent à la surface. Et je pense que, dernièrement, on a assisté à des fatwas dans des mosquées, où les gens demandaient aux musulmans de sortir manifester, parce que, tout simplement, il y a une loi qui est là, qui essaie de pervertir la société, qui essaie de pervertir nos femmes, qui ceci, cela… On a vraiment une intoxication très forte et les gens sont sortis manifester et c'est comme ça que les gens sont contre la loi, mais personne ne saurait dire ce que dit la loi.
Et donc le pouvoir n'ose pas faire passer à l'Assemblée nationale une loi contre les auteurs de violence et de harcèlement sexuel ?
C’est comme ça que je le perçois, oui.
Vous dites, Dieynaba N’Diom, qu'il y a des pays où maintenant les féministes sont diabolisées. Pourquoi ?
Est-ce qu'il y a un pays où les féministes ne sont pas diabolisées ? Ça, ça m'étonnerait déjà. Mais prenez la Tunisie, qui était pour nous, par exemple, un pays vraiment très en avance sur les droits des femmes, avec les lois révolutionnaires qu’avaient, par exemple, prises Habib Bourguiba sur certaines choses. Aujourd'hui, c'est comme si on régressait en Tunisie. Moi, j'ai rencontré des amies féministes tunisiennes qui, aujourd'hui, ont du mal à prendre la parole dans des espaces féministes, à être filmées, à parler, parce que, tout simplement, elles sont confrontées à leur régime qui est de plus en plus réfractaire aux droits des femmes.
Lors de la réunion de la plate-forme mondiale Women deliver, à Kigali, vous avez appelé à une protection renforcée des féministes dans un contexte de montée des mouvements conservateurs en Afrique de l'Ouest. Est-ce que vous avez subi personnellement des menaces ces derniers temps ?
Oui. Souvent, ce sont les militantes féministes qui sont très exposées, parce que ces militantes n'ont pas la langue dans leur poche, disent ce qu'elles pensent, le disent de manière publique et ça, ça gêne. Et, puisque ça gêne, ce sont les premières qui subissent les harcèlements, ce sont les premières qui subissent la cybercriminalité, ce sont les premières aussi qui sont soumises à des menaces de mort. Donc réfléchir à des mécanismes qui protégeraient, par exemple, ces féministes-là, pour moi, c'est un moyen aussi de permettre aux gens de parler et de ne pas être muselés.
Et les attaques sur Internet, le cyberharcèlement, est-ce que vous arrivez à vous protéger contre cela ?
Oui, on a beaucoup d'amies féministes et je vais parler d'un cas d'une amie féministe qui est Béninoise, qui a vraiment été attaquée, elle et son organisation – je ne vais pas prononcer son nom comme ça, peut-être qu'elle ne le souhaite pas –, sur les réseaux sociaux, mais vraiment attaquée, au vrai sens du terme, où les gens ont utilisé ses photos, utilisé les photos des membres de son organisation, fait des pubs, les ont insultées, les ont traitées de putes, n'importe quoi en fait. Mais vraiment un cyberharcèlement qui a duré un long moment. Mais nous, on a resserré les rangs, on l’a soutenue, on l’a aidée, et finalement, la féministe a porté plainte. Ça a pris le temps que ça a pris, mais au moins, il y a eu condamnation et ça, pour nous, c'est une énorme victoire. Et je sais qu'il y a beaucoup de féministes qui sont soumises à ce genre d'attaques mais qui n'arrivent pas à avoir gain de cause. Il y en a même qui ne portent pas plainte. Mais le fait que, non seulement, il y ait eu plainte, mais le fait aussi que, en plus d'une plainte, il y ait eu condamnation, pour nous, c'est une très grande victoire contre tout ce qu’est la cybercriminalité ou les attaques qui sont venues par-ci par-là – parce que, tout simplement, on apporte des sujets que les gens n'aiment pas entendre sur la place publique.
Fri, 08 Mar 2024 - 893 - Sénégal: «Le Conseil constitutionnel ne pouvait pas renier sa propre jurisprudence»
Au Sénégal, c'est finalement à la fin de ce mois de mars que le 1ᵉʳ tour de la présidentielle aura lieu. La présidence de la République se conforme donc à la volonté du Conseil constitutionnel, qui voulait qu'on vote avant l'expiration du mandat de Macky Sall le 2 avril prochain. Et lors de ce 1ᵉʳ tour, il n'y aura sur la ligne de départ que les 19 candidats prévus initialement. Pas de nouvelles candidatures possibles, comme l'espérait pourtant Karim Wade. Est-ce une surprise ? La réponse de Papa Fara Diallo, qui est maître de conférences en Science politique à l'université Gaston Berger de Saint-Louis.
RFI : Le calendrier s'accélère, le premier tour aura lieu fin mars, quelle est votre réaction ?
Papa Fara Diallo : C'est sans surprise. La décision du Conseil constitutionnel, c'était la décision qui était attendue. Et apparemment, le Conseil constitutionnel a informé l'exécutif et l'exécutif, apparemment, s'est exécuté, ce qui cadre avec l'horizon indépassable du 2 avril.
Vous dites que vous n'êtes pas surpris, mais le président Macky Sall a tout de même essayé de reporter cette élection à bien plus tard dans l'année 2024, est-ce que vous n'êtes pas surpris que, finalement, il accepte la décision du Conseil constitutionnel ?
Alors ce qui n’est pas surprenant, c'est la décision, en soi, du Conseil constitutionnel, parce que le Conseil ne pouvait pas renier sa propre jurisprudence. Maintenant, l'autre élément qui transparaît dans votre question, c'est la décision, finalement, du président de la République d’accepter de suivre les injonctions du Conseil constitutionnel. Oui, pour certains, ça peut être assez surprenant, parce que, clairement, il nous a semblé que le chef de l'État était un peu dans le dilatoire. Il était clair que le chef de l'État était dans une logique de gagner du temps, était dans une logique dilatoire, et la décision ferme du Conseil constitutionnel – de faire valoir son autorité de régulation de la vie démocratique et de l'État de droit –, c'est ça qui lui a permis de fixer une date, là où le chef de l'État prenait son temps pour pouvoir fixer une date et voulait, vraisemblablement, imposer le consensus issu du dialogue national, en fixant une date au 2 juin. Dans ce sens-là, ça peut être, effectivement, une surprise.
Donc on peut imaginer que Macky Sall a espéré faire céder le Conseil constitutionnel, mais que devant la fermeté de celui-ci, il a fini par reculer, c'est ça ?
C’est clairement cela. Le président de la République a été désavoué deux fois par le Conseil constitutionnel. La décision du 15 février, qui annulait son décret, était un premier désaveu. Là aussi, c'est un autre désaveu, parce que le président espérait effectivement attendre d’organiser un dialogue et de soumettre les conclusions du dialogue. Clairement, le chef de l'État espérait que le Conseil allait invoquer le consensus national comme motif de prolonger la durée du mandat, mais c'était sans compter sur la fermeté du Conseil.
Alors l'autre grande information d'hier soir, c'est qu'il n'y aura pas d'élargissement de la liste des 19 candidats à la présidentielle. N'est-ce pas une grosse déception, non seulement pour Karim Wade, mais pour Macky Sall lui-même ?
Oui, clairement. Le Parti démocratique sénégalais [de Karim Wade] a été l'un des artisans du report de l'élection présidentielle, ils l'ont même reconnu lors du dialogue national. Et clairement aussi, le président de la République, en soumettant la décision du dialogue national pour avis au Conseil constitutionnel, espérait que le Conseil allait accepter que la liste des candidats soit revue et que Karim Wade pourrait intégrer cette liste. Mais, là aussi, le Conseil ne pouvait pas renier sa propre jurisprudence, parce que, pour le Conseil constitutionnel, le processus électoral n'est pas annulé, c'est un processus qui a été interrompu. Donc le Conseil a tout simplement décidé que le processus allait reprendre avec les mêmes candidats qui ont été validés, c'est-à-dire les 19.
Côté pouvoir, Amadou Ba quitte la primature pour faire campagne pour le premier tour. Côté opposition, est-ce que la loi d'amnistie, qui est passée hier, ne va pas permettre au candidat du camp Ousmane Sonko, à savoir Bassirou Diomaye Faye, de sortir de prison et de faire campagne, lui aussi, en toute liberté ?
Oui, il me semble que, même sans loi d'amnistie, il était tout à fait possible que Bassirou Diomaye Faye sorte pour pouvoir battre campagne. Parce qu’effectivement, si on empêche monsieur Bassirou Diomaye Faye de battre campagne, ça serait une rupture d'égalité à l'égard des candidats. Maintenant, si la loi a été votée, ça veut dire que tous ceux qui sont en prison pour des délits visés par la loi d'amnistie vont être libérés et monsieur Bassirou Diomaye Faye pourra naturellement battre campagne. L'autre aspect de votre question, c'est le fait que le Premier ministre Amadou Ba a été démis de ses fonctions parce que le gouvernement a été remanié. Donc ça veut dire que, clairement, la majorité a accepté la décision du Conseil constitutionnel de maintenir les mêmes candidats. Et le candidat de la majorité, c'est monsieur Amadou Ba, donc il était naturel qu'il puisse quitter ses fonctions de Premier ministre pour aller battre campagne.
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Thu, 07 Mar 2024 - 892 - Gabon: «il y a eu des erreurs, il faut le reconnaître», dit l’ex-Premier ministre Bilie-by-Nze
Vous l'avez entendu hier mardi matin, Alain-Claude Bilie-By-Nze est sorti de son silence. L'ancien Premier ministre gabonais s'est exprimé pour la première fois depuis le coup d'État du 30 août. L'ex-chef du gouvernement a parlé d'une crise profonde au sein de l'ancien parti présidentiel PDG et a demandé une réunion d'urgence. Alain-Claude Bilie-By-Nze est notre invité ce matin. Il revient sur le putsch, ses causes, en reconnaissant d'ailleurs des erreurs. Il égratigne au passage la transition.
RFI : Vous ne vous étiez pas exprimé dans les médias depuis le putsch. Qu’est-ce qui vous fait prendre la parole aujourd’hui ?
Alain-Claude Bilie-By-Nze : J’avais souhaité prendre un peu de recul, observer le déroulement des événements. Il y a eu un coup d’Etat, nous étions le parti au pouvoir, nous avons perdu le pouvoir, il me paraissait utile d’observer, d’analyser, et de pouvoir prendre du recul. Aujourd’hui je pense que nous avons pris suffisamment de recul. Le moment me semblait opportun pour m’exprimer sur la vie du parti, sur son avenir, et sur la nécessité de le réformer.
Justement vous diffusez une déclaration « pour une solution de sagesse et de rassemblement au PDG », écrivez-vous. Le parti va mal aujourd'hui ?
C'est un truisme que de le dire. Le parti va très mal. Pour la première fois de son histoire, le parti se retrouve sans être au pouvoir. Ce parti, depuis le mois d'août, ne s'est pas véritablement réuni, parce qu'on a du mal avec les différentes absences – l'absence du président du parti, l'absence du secrétaire général. On a un intérimaire qui fait ce qu'il peut, mais nous pensons qu'il faut aller beaucoup plus loin que l'intérim, parce que cela fait six mois maintenant, un intérim ne va pas durer ad vitam æternam. Les militants sont déboussolés et nous pensons que c’est la première force politique du pays, c'est le parti qui est implanté partout sur le territoire. Il est indispensable qu'il soit réorganisé, réformé de fond en comble pour apporter sa contribution à la situation actuelle que traverse notre pays.
Vous demandez que la parole des militants se libère, vous demandez une consultation « inclusive, participative et sans tabou ». Mais n’est-ce pas ce qui vient d’être organisé fin février avec les Assises ?
C’est ce qui était prévu avec les Assises. Il faut bien faire le constat que les Assises n’ont pas atteint les objectifs qui étaient assignés. Les militants ne se sont pas manifestés. J’ai moi-même été sur le terrain. Les militants n’ont pas participé massivement aux Assises. Et donc on ne peut pas se contenter de ce format qui du reste a manqué de concertation préalable. Il faut aujourd’hui se regarder en face, il faut cesser de faire semblant, il faut cesser de faire la politique de l’autruche. Le parti va mal, redonnons la parole aux militants, analysons à froid les raisons pour lesquels nous en sommes arrivés là, et redémarrons l’activité du parti sur de nouvelles bases.
Vous demandez d’organiser en urgence une réunion du bureau politique et du Conseil Consultatif des Sages. Pourquoi ne pas attendre le rapport des Assises qui est prévu le 12 mars, puis le Congrès prévu après en théorie ?
D’abord parce que les Assises sont un élément qui a été voulu pour donner la parole et que la parole n’a pas été donnée aux militants, ou alors les militants ne se sont pas sentis concernés par ce qui a été fait. Ensuite nous avons des instances délibérantes qui existent, c’est le bureau politique, et on a une instance consultative qui est le Conseil Consultatif des Sages, qui doivent être convoqués lorsque le parti connaît une situation de crise. Nous allons naturellement continuer à travailler avec le Secrétariat général pour que la question soit entendue. Nous ne sommes pas dans une situation d’affrontement. Nous voulons qu’il y ait une large concertation. Le parti a aujourd’hui les personnalités en son sein qui sont des hommes et des femmes d’expérience et qui aujourd’hui sont capables de donner un certain nombre de pistes de solutions. La première c’est de faire le constat que depuis le 30 août, le président du parti est en situation d’empêchement d’œuvrer et de travailler de manière politique pour le parti. Il en est de même pour le Secrétaire Général. Déjà cette vacance doit être constatée. Et ensuite mettre en place une direction transitoire ad-hoc pour conduire les activités du parti. C’est ce que nous proposons. Et il me semble qu’aujourd’hui l’ensemble des militants du PDG sera plutôt favorable à cette option-là.
Vous dites « nous ». Et effectivement cette déclaration, vous la signez, mais vous vous exprimez à titre collectif. Est-ce que ça veut qu’on aurait peut-être différents courants, voire des divisions au sein du PDG ?
Il n’y a pas de courants au sein du PDG. Il n’y a pas de division. Il peut y avoir des approches différentes aujourd’hui sur l’analyse de la situation. Je dis « nous » parce que je parcours le pays, je suis à l’écoute des militantes et des militants, mais aussi des cadres du parti qui sont inquiets et nous avons élaboré cette déclaration. Lorsque je dis « nous » c’est parce que je n’en fais pas une question de personne. Ce n’est pas moi. Mais c’est un certain nombre d’idées partagées par des militants du parti.
Est-ce qu’il y a un mal plus profond au PDG ? Un mal qui aurait peut-être pu conduire au coup d’Etat ?
En 2007, le président Omar Bongo avait fait le point après 40 ans de pouvoir. Il avait analysé la situation du pays et donc du parti. Il avait tiré un certain nombre de conclusions. Et il me semble que nous devrions partir de ce discours-là. Le mal il est profond parce qu’il y a des questions de gouvernance, il y a des questions de démocratie interne, il y a des questions de pouvoir assumer ce que nous sommes. C’est un héritage. Et dans chaque héritage il y a de ce qui est de l’actif, donc ce qui est positif, et il y a le passif. Il faut affronter ce passif-là. Je pense qu’aujourd’hui nous devons regarder le PDG, exactement comme on regarde le Gabon, c’est une situation de transition et chaque état-major de parti politique devrait analyser en son propre sein ce qui n’a pas fonctionné. Lorsqu’il y a un coup d’Etat dans un pays, c’est qu’il y a eu un dysfonctionnement majeur des institutions et de la classe politique de manière globale.
Est-ce que parmi les remèdes que vous préconiseriez, il y aurait peut-être un renouvellement des équipes dirigeantes actuelles, notamment peut-être le départ de Luc Oyoubi, Secrétaire général par intérim ?
Nous ne posons pas le problème en termes de personnes. Ce sont les militants qui doivent pouvoir se prononcer. Déjà nous pensons qu’il faut regarder à nouveau en interne le mode de dévolution des fonctions au sein du parti. Est-ce qu’on continue avec des nominations ? Est-ce qu’on va sur la question de l’élection ? Les militants devront se prononcer pour dessiner ensemble les nouvelles structures du parti, le nouveau mode de gouvernance du parti. Et pour nous ce n’est pas une question de personne. Le Secrétaire général adjoint actuel, si les militants estiment qu’il peut continuer, il continuera. Notre problème n’est pas à ce niveau-là.
Est-ce que vous-mêmes à termes, vous vous verriez diriger le PDG ?
Non mais la question n’est pas celle-là. Ce sur quoi nous travaillons aujourd’hui, c’est d’abord nous poser les bonnes questions, faire une introspection réelle. Lorsqu’on a dirigé un pays pendant 56 ans, et qu’on perd le pouvoir, c’est que quelque chose a dysfonctionné. Et il nous faut le regarder en profondeur si nous voulons demain jouer à nouveau un rôle dans notre pays. C’est d’abord cela qui nous préoccupe. La question des personnes, encore une fois, est subsidiaire.
Vous étiez Premier ministre à l'époque, lors du coup d'État, comment l'avez vous vécu ce putsch, personnellement ?
Nous avons connu d'abord une campagne présidentielle qui a été assez particulière. Puisque vous me posez une question personnelle : je suis opposé à tout ce qui est coup d'État, tout ce qui est prise de pouvoir par la force. Mais j'ai pu constater simplement que les Gabonaises et les Gabonais, dans leur majorité, ont salué ce coup d'État pour des raisons qui leur sont propres, mais aussi parce qu’il y avait peut-être des dysfonctionnements importants, l'usure du pouvoir également. Et donc, ce qui importe aujourd'hui, c'est regarder quels vont être les éléments importants pour sortir le pays de l’ornière et pour rebâtir.
Vous pensez que des erreurs ont été commises qui auraient pu amener à cette situation ?
Vous savez il y a un adage gabonais qui dit qu’il « faut éviter de regarder où on tombe, il faut regarder où on a trébuché ». Il me semble important d’avoir un regard rétrospectif. Effectivement, il y a eu des erreurs, il faut le reconnaître aujourd'hui, et ces erreurs-là ont amené à la perte du pouvoir et si nous n'avons pas le courage d'analyser cela, nous ne pourrons pas redémarrer les activités politiques de manière sereine et convenable. Nous pensons qu’il faut doter le pays et le PDG d'un corpus politique solide pour être demain au rendez-vous. Et ceux qui ont continué aujourd’hui et qui ont rallié le Général Brice Oligui, seraient bien inspirés de regarder également le fonctionnement de leur parti. Parce que ces partis politiques-là ont fonctionné un peu de la même manière, parce que la plupart sont issus des cadres qui avaient quitté le PDG. Il est question d'analyser aujourd'hui, trente ans après la conférence nationale : est-ce que les modèles politiques qui existent sont les bons ? C'est important de se poser la question.
Vous-même, ce coup d'État vous a surpris, vous ne l’aviez pas vu venir ?
Je ne sais pas si les militaires eux-mêmes qui ont pris le pouvoir ont vu venir le coup d'État.
Juste après le vote, on s’en souvient, le pouvoir s'est brutalement tendu. Un couvre-feu, coupure d'internet, de plusieurs médias, des annonces faites par le gouvernement… Est-ce que déjà, ça, c'était vraiment justifié à l'époque ? Est-ce que ça n'a pas été une de ces erreurs auxquelles vous faites allusion ?
Cela fait partie des éléments qu’il faut analyser. Il y a eu un certain nombre de décisions qui ont été prises sans concertation, dans la précipitation, c'étaient des erreurs. Il ne fallait pas le faire, cela a été fait, on a eu les conséquences. Il faut donc pouvoir l’analyser pour la suite. Moi, je crois fondamentalement que la vocation d'un parti politique est de se battre pour accéder au pouvoir. Lorsqu’il est au pouvoir, il faut le conserver, mais pas par tous les moyens. Il faut le conserver dans les règles de droit, en faisant d'abord en sorte que la population qui nous a élus soit satisfaite. Il me semble que c'est un des aspects qui nous a manqué.
Brice Clotaire Oligui Nguema avait justifié le coup d'État en parlant d'organisation chaotique des élections générales. Il a parlé d'annonces de résultats tronqués. Franchement, est-ce qu'une triche était organisée à ce moment-là pour faire gagner Ali Bongo ?
Vous savez, je vais vous répondre tout aussi franchement : le gouvernement n'a pas organisé les élections, les élections ont été organisées par un organe indépendant appelé CGE, composé à parité de la majorité et de l'opposition. Et si ces résultats ont été tronqués, il y a quelque chose qui a manqué, quels ont donc été les bons résultats ? Et c'est pour cela que je vous dis qu’il faut regarder cette question avec recul et se dire : il y a eu un coup d'État, OK, mais quels ont été les bons résultats ? En cet instant, c’est au général Brice Oligui à qui vous devriez poser la question.
Comment percevez-vous aujourd'hui cette transition ? Ça fait plus de six mois qu'elle dure, dirigée par les militaires en collaboration avec les civils.
Les Gabonais ont beaucoup espéré dans cette transition et nous tous, nous pensons que la transition est une occasion de refonder nos institutions, de refonder la gouvernance du pays, de refonder nos relations, nos rapports dans notre pays et de regarder comment nous parvenons à développer notre pays en impliquant le maximum de nos concitoyens. Le problème qui se pose aujourd'hui, c'est que malheureusement, il y a une tentation forte à reproduire, les erreurs du passé, la gouvernance du passé, qui est d'ailleurs décriée par les uns et les autres sur les réseaux sociaux. Je vous prends deux exemples : on a beaucoup décrié, le général Oligui Nguema lui-même, la question des nominations copain-coquin. On observe aujourd'hui ces nominations-là. On a décrié la question du népotisme, on observe cela. Donc il y a intérêt à faire attention. Si la révolution mange ses enfants, la transition a tendance également à trahir ses promesses. Il faut être très très très prudent.
Certains craignent un accaparement du pouvoir par les militaires et par Brice Clotaire Oligui Nguema, c'est une crainte que vous partagez aujourd'hui ?
Il y a les éléments de la transition annoncés dès le départ et il y a la gouvernance actuelle et on commence à observer comme un écart entre ce qui avait été annoncé et la gouvernance qui est mise en place. Encore une fois, c'est pour ça que le PDG doit se réunir pour regarder, faire son introspection. Ce qui nous a été reproché par nos compatriotes, nous constatons que cela commence à être reproché aussi à la transition et il ne serait pas bon qu'à l'occasion de la transition, on ait le sentiment que rien n'a changé.
À titre personnel vous êtes prêt à jouer un rôle dans cette transition ?
À titre personnel je joue un rôle dans le cadre du PDG, pour réformer le PDG en interne. C’est ce qui nous préoccupe premièrement.
Officiellement Ali Bongo a été mis à la retraite, il est libre de ses mouvements et de voyager, en théorie. Pourtant il semble assigné à résidence. Que pensez-vous de sa situation ?
L’assignation à résidence est un acte juridique décidé par un juge. Je ne sais pas si Ali Bongo a été notifié d’une assignation. Nous constatons que autant officiellement il a été déclaré libre de ses mouvements, autant il n’a pas pu mener d’activité. Est-ce qu’il n’a pas voulu ? Est-ce qu’il n’a pas été en capacité ? Nous n’en savons rien. Mais toujours est-il qu’effectivement il ne mène pas d’activité publique.
Des enquêtes ont commencé, ont été ouvertes, de nombreux cadres sont en détention. Est-ce qu'à titre personnel, vous craignez d'être inquiété par la justice ?
Je n'ai rien à me reprocher à titre personnel par la justice, mais si la justice veut m'entendre, je serai disponible pour répondre aux questions qu'ils auront à me poser.
Un dialogue national est prévu en avril, vous en serez ?
Nous sommes aujourd’hui préoccupé par la question du PDG. En ce qui concerne le dialogue national, nous ignorons, j’ignore aujourd’hui comment il est organisé, quelles vont être les modalités de participation. Les critères pour y être, j’ignore totalement. Donc je ne peux pas répondre à la question.
Chaque Gabonais a pu envoyer sa contribution au dialogue, son diagnostic de l’état du pays, ses pistes de solutions. Quelles sont vos diagnostic et pistes de solution ?
Nous avons perdu le pouvoir. C’est que certainement des choses nous étaient reprochées. Il faut analyser de fond en comble la situation réelle du pays. Les pistes de solution sont nombreuses. Le PDG a déposé ses contributions. Pour l’heure je me sens solidaire de ce qui a été fait. Et nous verrons à l’analyse, ce qui sortira du dialogue.
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Wed, 06 Mar 2024 - 891 - Succès Masra: «Rien dans la Constitution ne m’empêche d’être candidat à la présidentielle si je le souhaite»
Au Tchad, six jours après la mort par balles de l'opposant Yaya Dillo. le Premier ministre Succès Masra promet sur RFI qu'il y aura « une enquête de type international ». Au moment de la fusillade à Ndjamena, le Premier ministre tchadien était en visite à Washington. Ce mardi, il est de passage à Paris, où il doit être reçu dans l'après-midi par son homologue français Gabriel Attal. Succès Masra sera-t-il candidat face au président Mahamat Idriss Déby lors de la présidentielle du 6 mai prochain ? Le Premier ministre, qui rentre demain mercredi au Tchad, répond aux questions de RFI.
Tue, 05 Mar 2024 - 890 - Sénégal: la tenue de la présidentielle avant le 2 avril «compliquée mais pas impossible»
Ce lundi 4 mars, le président Macky Sall doit recevoir les conclusions du « dialogue national » qui a proposé de reporter la présidentielle au 2 juin et de l’élargir à de nouveaux candidats. Beaucoup guettent la réaction du chef de l’État, mais aussi celle du Conseil constitutionnel, qui avait dit que le vote devait avoir lieu avant le 2 avril. Va-t-on vers de nouvelles tensions ? Entretien avec Mamadou Lamine Sarr qui enseigne les sciences politiques à l'université numérique Cheikh-Hamidou-Kane de Dakar.
RFI : Que pensez-vous d'un report de la présidentielle au 2 juin, comme l'a proposé le dialogue de la semaine dernière ?
Mamadou Lamine Sarr :Je pense qu'une telle proposition est non seulement contre l'ordre institutionnel, mais également, ça va à l'encontre de la récente décision du Conseil constitutionnel qui demandait au président de la République d’organiser les élections dans les meilleurs délais, tout en précisant que le mandat du président ne pouvait pas être ni diminué ni allongé. Donc, cette élection-là devait être organisée avant le 2 avril.
De son côté, le président Macky Sall dit qu'il quittera ses fonctions au terme de son mandat, le 2 avril. Il l'a encore écrit jeudi dans un message sur son compte X. Est-ce que vous pensez qu'on peut le prendre au mot ?
Vous savez, actuellement, il est extrêmement difficile de croire à toutes les déclarations de tous les acteurs politiques au Sénégal, parce qu’il y a une rupture de confiance entre les acteurs politiques – notamment le président de la République – et une grande majorité des Sénégalais. À partir de là, personne ne peut garantir aujourd'hui que ce sera le cas. Je précise que le président a également précisé qu’il est prêt à quitter le pouvoir le 2 avril, mais que si on lui demande [de rester] pour le bien de la nation, il serait prêt à le faire. Donc, il y a encore une ambiguïté dans tout ça. Et, encore une fois, tout cela découle d'une décision qui n'aurait pas dû, à mon avis, être prise le 3 février dernier.
Dans un point de presse jeudi dernier, le ministre de l'Intérieur, Sidiki Kaba, a évoqué l'hypothèse que Macky Sall quitte le pouvoir le 2 avril et que la transition soit assurée par le président de l'Assemblée nationale, Amadou Mame Diop. Qu'en pensez-vous ?
Cette décision-là ne revient pas au ministre. Si une telle décision doit être prise, elle revient au Conseil constitutionnel. Donc pour moi, c'est une supputation qu'on fait selon des intérêts ou une volonté, en tout cas, de replonger le pays dans l'incertitude. Ce qui est sûr, c'est qu'une telle décision appartient aujourd'hui au Conseil constitutionnel.
Alors justement, le président Macky Sall affirme qu'il va demander son avis au Conseil constitutionnel sur les recommandations du dialogue de la semaine dernière. Est-ce que c'est bon signe pour vous ?
Je ne sais pas si c'est bon signe, mais ce qui est certain, c'est que le Conseil constitutionnel est encore une fois, comme le 15 février dernier, devant l'Histoire. C'est-à-dire que si le Conseil constitutionnel valide la proposition issue du dialogue, je considère que cela va à l'encontre de ce qu'il avait préconisé, de ce qu'il avait dit le 15 février dernier. Donc, le Conseil ne peut pas dire deux choses différentes en moins de 15 jours, ça serait inexplicable.
Vous dites que, si le Conseil est cohérent avec lui-même, il doit obliger les élections à se tenir avant le 2 avril, mais en pratique, c'est à peine dans un mois, est-ce qu'on aura le temps de faire deux tours de présidentielle en quelques semaines ?
Il est vrai que tout le calendrier est chamboulé. Maintenant, est-ce qu'on a besoin en ce moment d'avoir une campagne électorale traditionnelle ? Est-ce qu’entre les deux tours, s'il y en a, on a besoin d'attendre 15 jours pour organiser le second tour ? Donc, les élections le 2 avril, c'est compliqué, mais à mon avis, pas impossible.
Autre proposition du dialogue de la semaine dernière, l'élargissement de la liste actuelle des 19 candidats à d'autres candidats qui avaient été recalés. On pense bien sûr à Karim Wade et à Ousmane Sonko. Qu'en pensez-vous ?
Ça également, c'est une autre décision qui, à mon avis, vient affaiblir le Conseil constitutionnel. Il n’y a aucune légitimité juridique ni politique, à mon avis, pour une telle décision. Le Conseil ne peut pas dire le 15 février dernier que l'élection doit se tenir avec les candidats qui ont été retenus et le dialogue élargir cela. Que ce soit Karim Wade, Ousmane Sonko, ce n’est pas ça le problème. Le problème, c'est que le Conseil constitutionnel a déterminé les candidats qui doivent participer à cette élection présidentielle. Cette décision, comme celle de la date, doit être respectée. L'ordre constitutionnel dans un État est extrêmement important, c'est le socle de notre démocratie.
Beaucoup disent à Dakar que Macky Sall a décidé de reporter la présidentielle du 25 février parce qu'il veut réintégrer Karim Wade dans la course, afin d'en faire un allié contre le camp Ousmane Sonko.
Personnellement, je n'ai pas d'éléments pour étayer cette supposition. Ce qui est certain, c'est qu’on ne peut pas s'empêcher de croire effectivement à un deal politique entre le camp présidentiel et le parti démocratique sénégalais de Monsieur Karim Wade, on ne peut pas l'exclure.
On dit que Macky Sall ne serait pas sûr que son dauphin Amadou Ba puisse gagner à lui tout seul et qu'il aimerait qu'il bénéficie du soutien de Karim Wade en cas de deuxième tour…
Ce n'est pas à exclure parce qu’effectivement, d'une part, Monsieur Amadou Ba est quelqu'un qui connaît le fonctionnement de l'État, qui a été dans l'administration étatique publique. Par contre, il n'a pas une légitimité politique, il n'a pas une base politique. Et donc, ce manque de légitimité, ce manque de présence politique, effectivement, font que, dans le camp présidentiel, il y a eu des voix pour contester un peu le choix de Monsieur Amadou Ba. Donc effectivement, vu de ce point-là, on peut penser que le deal politique pourrait porter sur une combinaison, sur un soutien du parti démocratique sénégalais au candidat de Benno Bokk Yakaar.
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Mon, 04 Mar 2024 - 889 - Bénin: «Paulin Hountondji rompt avec une pratique qu'il a appelée ethnophilosophie»
Ce samedi 3 mars ont eu lieu au Bénin les funérailles de Paulin Hountondji, figure majeure de la philosophie en Afrique, décédé à l'âge de 82 ans. Pourquoi Hountondji a-t-il marqué l'histoire de la pensée sur le continent ? Avec quelles idées ? Entretien avec le philosophe sénégalais Bado Ndoye, professeur à l'université Cheikh-Anta-Diop de Dakar et auteur d'un ouvrage sur Hountondji.
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Sun, 03 Mar 2024 - 888 - Tchad: «Nous sommes des candidats à la mort», dit l'opposant Max Kemkoye
Les réactions politiques s’enchainent après la mort de l'opposant Yaya Dillo, tué le 28 février lors de l’assaut donné par l’armée contre le siège de son parti. Le porte-parole du gouvernement a affirmé ce vendredi sur RFI que ce sont les hommes de Yaya Dillo qui ont ouvert le feu et contraint à la riposte. Il assure que s’il s’était rendu, la situation n’aurait pas dégénéré. Les soutiens de l’opposant dénoncent un assassinat. La version officielle ne satisfait pas non plus Max Kemkoye, du groupe de concertation des acteurs politiques, une plateforme d’opposition radicale à la transition, politiquement proche de celle de Yaya Dillo.
RFI : Yaya Dillo et vous, vous étiez des opposants résolus à la transition depuis le début, comment est-ce que vous avez pris ces événements tragiques de la semaine ?
Max Kemkoye : J'ai été atterré, profondément bouleversé. On s'est vus avec Yaya deux jours avant. On s'est appelé 24 heures avant. Au petit matin, j'ai appelé sur ses deux numéros privés. Ça ne sonnait plus, je m'en suis inquiété. Les amis et quelques partenaires qui m'ont approché pour en savoir plus, je leur ai dit ‘moi non plus je n'ai pas la position de Yaya, je ne sais pas s’il est mort ou vivant cette nuit-là’. Quand quelqu'un m'a appelé pour me donner la confirmation de la mort de Yaya, je n’en suis pas revenu, je m'en suis difficilement remis et ça continue encore. Mais, pourquoi je suis réconforté ? Simplement parce qu’il faut honorer la mémoire d'un grand camarade de lutte, comme Yaya Dillo.
Selon les autorités, ce sont les forces de défense et de sécurité qui ont répondu à des tirs venant des gens du PSF. Qu'est-ce que vous pensez de cette version ?
Le gouvernement et les autorités judiciaires se sont lancés dans un narratif, mais c'est un vernis qui cherche à donner un habillage à un gros mensonge. Tous les Tchadiens le savent, y compris les éléments des forces de défense et de sécurité le savent. Nous exigeons d'abord des clarifications, mais des clarifications nettes. Ce sont des narratifs bidons du ministre de la Communication, du procureur de la République qui ne convainc personne. Nous exigeons du Premier ministre ce texte opposant qui a permis que tout ça arrive, qu'il vienne nous donner des explications claires, c'est à lui, le chef du gouvernement et le président de transition. Ils doivent nous donner des clarifications nettes. Ensuite, nous exigeons une enquête indépendante. Mais cette enquête indépendante, ce ne sera pas une enquête locale qui a été toujours biaisée et enterrée, comme des précédentes enquêtes. Et c'est là-dessus que nous attendons les partenaires et amis du Tchad. C'est là-dessus que nous attendons les Nations unies. C'est là-dessus que nous attendons l'Union africaine. Sans quoi nous n'allons pas accepter.
Le ministre dit que si Yaya Dillo s'était rendu, la situation ne serait pas arrivée à une telle extrémité.
Totalement faux. Est-ce que Yaya Dillo a reçu régulièrement une convocation venant du procureur de la République ? Non. Première, deuxième, troisième convocation, comme se veut la procédure et qu'à l'issue, si Yaya refuse d'obtempérer, le procureur de la République a la possibilité – avec les officiers de la police judiciaire, la gendarmerie et la police – d'interpeller ou de prendre Yaya Dillo pour l'astreindre à une contrainte par corps et de l'amener, puisque Yaya Dillo est un civil, il n'est pas militaire. Mais pourquoi procéder par une interpellation d'un civil avec une présence fortement armée, essentiellement des militaires, pour donner l'assaut, pour la reddition d'un civil, en tout cas d'un acteur politique ?
Craignez-vous que cette situation amène des difficultés pour le Tchad, crée des tensions alors qu'on approche des élections ?
La tension aujourd'hui, elle est pour nous qui continuons à parler. Mais nous sommes des candidats à la mort. La tension, elle est déjà là, les troubles sont déjà là. Le cocktail explosif, il est réuni mais ce que nous regrettons, c'est le facilitateur Felix Tshisekedi, qui s'est fendu dans un communiqué incompréhensible qui se permet de décrire une situation dont il n'a même pas les éléments d'appréciation. Pourquoi est-il allé si vite en besogne ? Mais ce n'était pas le cas, puisqu'il est l'appui inconditionnel de la junte au pouvoir. Il en fait usage pour produire son communiqué. Mais pour le reste, les Nations unies sont interpellées et avec en tête, les États-Unis qui apportent leur soutien inconditionnel à cette junte aujourd'hui qui tue les acteurs politiques, cette junte qui a tué déjà 300 jeunes Tchadiens qui sont sortis pour exercer leurs droits et dont on a accordé l'impunité, c'est à dire la licence de tirer pour tuer. Et nous pensons que les États-Unis d'Amérique, la France et au-delà l'ensemble de la communauté internationale incarnée par les Nations unies, ils ont la clé des solutions du problème du Tchad. S’ils en font usage, ils peuvent ouvrir les portes d'une accalmie, d'une stabilité pour avoir un processus conclusif et serein.
À lire aussiAu Tchad, la mort de Yaya Dillo sème le trouble et l'inquiétude dans un contexte pré-électoral
Sat, 02 Mar 2024
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