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Le grand invité Afrique

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RFI

Du lundi au vendredi, Christophe Boisbouvier reçoit un acteur de l'actualité africaine, chef d'État ou rebelle, footballeur ou avocate... Le grand invité Afrique, c'est parfois polémique, mais ce n'est jamais langue de bois.

911 - Révision constitutionnelle au Togo: «Nous avons clairement fait le choix d'un régime parlementaire»
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  • 911 - Révision constitutionnelle au Togo: «Nous avons clairement fait le choix d'un régime parlementaire»

    Au Togo, il n'y aura plus de présidentielle au suffrage universel. L'Assemblée nationale a adopté ce 25 mars une nouvelle Constitution qui donne tous les pouvoirs au chef du parti – désormais « président du conseil des ministres » – qui gagnera les législatives. Est-ce le poste que vise l'actuel président, Faure Gnassingbé, au terme des législatives du mois prochain ? Entretien avec Innocent Kagbara, député du Parti démocratique panafricain et signataire de la proposition de loi constitutionnelle.

    RFI : Innocent Kagbara, la réalité du pouvoir va passer du président de la République au président du Conseil des ministres, mais sur le fond, qu'est ce qui va changer ?

    Innocent Kagbara :Fondamentalement, ça veut dire que nous quittons un régime qui était hybride. On ne savait pas si c'était un régime présidentiel ou semi-présidentiel, mais maintenant, nous avons fait clairement le choix d'un régime parlementaire où le centre du pouvoir est au Parlement. Donc, le parti qui gagne les élections législatives dirige le pays, très simplement. C'est un peu comme ce qu’il se passe en Allemagne ou en Grande-Bretagne. Dorénavant, c'est le Parlement qui sera au cœur de la démocratie togolaise, où le parti qui va gagner les élections aura le choix de nommer le président du Conseil des ministres, et son chef pourra éventuellement devenir le président du Conseil des ministres. Il y a dorénavant une séparation claire de la fonction du président de la République, qui est une fonction représentative, qui est la première personnalité de l'État et qui est la personne qui est garante du bon fonctionnement des institutions de la République, et le cœur du pouvoir exécutif. Évidemment, [ce pouvoir exécutif] reviendra au président du Conseil des ministres.

    Qui sera le chef des armées ?

    Le Président du Conseil des ministres sera dorénavant le chef des armées.

    Et qui conduira les affaires de la nation ?

    C'est le président du Conseil des ministres qui conduira dorénavant les affaires de la nation avec un contrôle renforcé du Parlement. C'est un changement de régime.

    Et qui représentera le Togo dans les conférences internationales, par exemple ?

    C'est le cœur du pouvoir qui est dorénavant le président du Conseil des ministres. Mais rien n'interdit au président de la République, qui est la première personnalité de l'État également, de faire des déplacements hors du pays. Donc le président du Conseil des ministres sera le cœur de l'exécutif, mais le président de la République, quand même, garde son rôle de première institution et de garant des institutions de la République.

    Mais alors, concrètement, Innocent Kagbara, si au terme des législatives du 20 avril prochain, le parti au pouvoir Unir reste majoritaire, est-ce que le chef de ce parti, Faure Gnassingbé, deviendra président du Conseil des ministres ?

    Ce que nous savons, le texte le dit clairement, c’est que le parti qui gagne les élections, le chef du parti, sera de factoproposé pour occuper le poste du président du Conseil des ministres.

    Et dans six ans, après les législatives de 2030, ce sera le même système, ce sera le chef du parti vainqueur qui deviendra président du Conseil des ministres ?

    Oui, tout à fait. Dans ce système, ce qui est intéressant, c'est que les partis doivent aller les uns envers les autres, puisque parfois, à l'issue des élections, il faut une coalition pour pouvoir diriger le pays. C'est un système qui oblige les gens à se parler, à avoir un véritable programme de société, à diriger, si possible, le pays ensemble. Donc, en 2030, si c'est Unir qui gagne les élections, il reviendra toujours à Unir de proposer le poste du président du Conseil des ministres.

    Alors, si la Constitution actuelle avait été conservée, Faure Gnassingbé aurait été atteint par la limitation des mandats. Il aurait dû quitter le poste de président de la République au plus tard en 2030. Avec la nouvelle Constitution, il peut donc devenir président du Conseil des ministres ad vitam æternam, non ?

    Non, pas du tout. Je pense que la loi est impersonnelle. Nous n'avons pas fait une Constitution par rapport à une famille ou à par rapport à une certaine catégorie. Elle est impersonnelle et n'importe quel Togolais peut prétendre devenir le président du Conseil des ministres, ce qui est tout à fait normal.

    Mais tout de même, Monsieur le député, est-ce que ce passage à un système parlementaire ne permet pas au régime actuel d'échapper à la limitation des mandats présidentiels et de pouvoir se perpétuer indéfiniment ?

    Non, parce que ceux qui nous font le procès du ad vitam æternam, je voudrais simplement dire que maintenant, si on est dans le schéma de l'ancienne Constitution et si vous dites, par exemple, que le parti au pouvoir va gagner les élections de 2025, rien n'empêche ce parti d'avoir son candidat pour 2030 et au-delà de 2030.

    Oui, mais à condition de changer de candidat, puisque, dans ce schéma, Faure Gnassingbé serait atteint par la limitation des mandats en 2030...

    Alors, cette question revient au parti Unir, qui doit dégager son candidat. Moi je gère, je dirige un parti. Il ne me revient pas de me prononcer sur les affaires concernant un autre parti. Ce que vous dites, je le comprends. Mais la question de la limitation de mandats, il ne faut pas oublier que, dans certains pays, les gens ont touché une virgule à la Constitution et les compteurs sont revenus à zéro.

    Mais tout de même, Monsieur le député, avec ce système parlementaire, il n'y a plus d'élections présidentielles. Donc, le chef de l'exécutif échappe désormais à toute règle de limitation des mandats présidentiels, sommes-nous bien d’accord ?

    La limitation des mandats présidentiels, je tiens à vous le rappeler, c'est nous qui l'avons introduite en 2019 quand nous sommes arrivés au Parlement. Avant notre arrivée au Parlement, il n'y avait pas de limitation de mandat au Togo. Maintenant, si nous passons à un régime parlementaire, nous qui sommes panafricanistes, qui avons depuis des années sorti des ouvrages et prôné la démocratie parlementaire, nous voulons faire en sorte que le Parlement puisse décider des affaires de la nation, sans regarder forcément si on doit faire une loi contre une personne. Donc, je comprends aisément ce que vous êtes en train de dire. C'est vrai, je comprends. Mais je tiens à rappeler que c'est nous qui avons mis la limitation de mandat en 2019.

    Dans la nouvelle Constitution, le président du Conseil des ministres sera élu par les députés pour une durée de 6 ans, mais est-ce qu'il pourrait être éventuellement renversé en cours de mandat par une motion de censure ?

    Oui, la nouvelle Constitution permet, à travers des mécanismes, de pouvoir renverser ou désigner un autre président du Conseil des ministres s'il y a une motion de défiance, s'il y a une motion de censure. C'est également établi dans la nouvelle Constitution.

    Prenons donc un exemple : si demain, le parti au pouvoir Unir n'a pas la majorité des sièges à lui tout seul dans la future Assemblée nationale, s'il doit nouer des alliances, le président du Conseil des ministres pourra être renversé en cours de mandat si un changement d'alliance intervient. C'est cela ?

    Oui, comme dans toutes les démocraties parlementaires, ceux qui ont la majorité, que ça soit un seul parti ou plusieurs partis, dès que vous constituez votre majorité, tous ces scénarios peuvent être envisagés.

    Donc, le futur président du Conseil des ministres sera responsable devant l'Assemblée nationale durant toute la durée de son mandat ?

    Tout à fait, il est dorénavant responsable devant le Parlement et il doit pouvoir engager sa responsabilité. Ça renforce également l'action des parlementaires dorénavant.

    Et s'il y a un changement d'alliance en cours de législature, le futur président du Conseil des ministres ne sera pas sûr de garder son poste ?

    Voilà, le futur président du Conseil des ministres n'est pas sûr de finir ses six ans s'il y a une autre majorité qui se dégage au niveau du Parlement. Donc, s'il y a une autre majorité, il y aurade facto un nouveau président du Conseil des ministres.

    Et le chef de l'exécutif, aura-t-il le pouvoir de dissoudre l'Assemblée nationale ?

    Il y a aussi le mécanisme de dissolution de l'Assemblée nationale, sur proposition du président du Conseil des ministres, qui doit être soumis ou transmis au président de la République.

    Selon la loi togolaise, les élections législatives se déroulent tous les cinq ans. Or, elles ne se sont pas tenues au mois de décembre 2023 dernier, comme prévu. Elles ont été reportées au 20 avril 2024. Est-ce que les députés, dont vous-même, Innocent Kagbara, qui ont adopté cette nouvelle Constitution, ne sont pas hors délai ? Et du coup, est-ce que leur vote n'est pas illégitime ?

    Non, pas du tout. Dans cette matière, je pense qu'il y a jurisprudence. Depuis 2013 et 2018, les élections ne se sont jamais tenues à date et l'ensemble des législatures sont restées jusqu'à la prise de fonction effective de la nouvelle Assemblée. Donc, ça s'est passé en 2013, ça s'est passé en 2018 et ça se passe en 2024. Et ceux qui étaient là avant nous ont fonctionné jusqu'à notre prise de fonction effective et personne n’a jamais contesté les décisions ou bien les lois qui ont été votées au niveau du Parlement togolais. Donc, nous avons eu un petit décalage de trois ou quatre mois et les élections vont se tenir le 20 avril 2024. Pour une fois, nous nous réjouissons parce que l'ensemble de la classe politique et l'ensemble des acteurs seront présents pour ces élections du 20 avril 2024.

    Suite au boycott des dernières législatives de 2018 par les principaux partis d'opposition, la nouvelle Constitution a été adoptée ce lundi 25 mars par une Assemblée nationale presque monocolore. Du coup, les évêques du Togo appellent le président Faure Gnassingbé à surseoir à sa promulgation et à débuter un dialogue inclusif. Qu'est-ce que vous en pensez ?

    Ils sont dans leur rôle. C'est une demande qui a été faite au chef de l'État, attendons de voir la réponse que le chef d'État fera à cette demande des évêques.

    Tout de même, Innocent Kagbara, le choix d'une nouvelle loi fondamentale, ça ne mérite pas qu'on essaye de faire un débat consensuel ?

    Oui, l'article 144 de la Constitution est clair là-dessus : l'initiative de la réforme vient soit du chef de l'État, soit du Parlement. Dans ce cas de figure, c'est le Parlement. C'est une proposition qui est venue de 21 députés au niveau de l'Assemblée nationale. Donc, je tiens simplement à dire : oui, l'initiative vient du Parlement, le débat a été ouvert au niveau du Parlement, il y a eu beaucoup d'amendements et ce texte est beaucoup plus consensuel. Mais il n'empêchait pas qu'il puisse y avoir un débat sur le plan national. Je tiens à rappeler également que les modifications constitutionnelles, le vote des lois organiques ou des lois ordinaires, cela rentre dans les prérogatives du Parlement.

    Et la promulgation de cette nouvelle Constitution, c'est pour quand ?

    C’est dans la prérogative du chef de l'État, donc je ne saurais répondre à cette question, mais il a la latitude de promulguer la nouvelle Constitution d'ici 15 jours. Dans les 15 jours qui suivent le jour du vote.

    Oui, le vote ayant eu lieu ce 25 mars, faut-il s'attendre à une promulgation d'ici le 11 ou le 12 avril 2024 ?

    Je crois que j'ai déjà répondu à la question, il a la possibilité de pouvoir promulguer durant 15 jours. Donc, si le vote a été fait, vous pouvez faire le décompte.

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    Thu, 28 Mar 2024
  • 910 - Pape Ibrahima Kane: «Je ne suis pas sûr que la sortie du Sénégal du franc CFA sera rapide»

    « Je suis porteur d'un panafricanisme de gauche », a déclaré le nouveau président sénégalais après l'annonce de sa victoire lundi 25 mars. Avec Bassirou Diomaye Faye au pouvoir, qu'est-ce qui va changer entre le Sénégal et ses voisins d'Afrique de l'Ouest d'un côté, entre le Sénégal et la France de l'autre côté ? Le chercheur sénégalais Pape Ibrahima Kane est un spécialiste des questions régionales en Afrique. Pour lui, cette alternance au Sénégal permet d'espérer un retour du Mali, du Burkina et du Niger dans la Cédéao. 

    RFI : Dans les quatre-vingts pages du projet de Bassirou Diomaye Faye, le mot souveraineté apparaît 18 fois. Sur le plan économique d'abord, quelles sont les conquêtes de souveraineté que vise le nouveau président ?

    Pape Ibrahima Kane : Mais je pense que la première souveraineté qu'il veut conquérir, c'est la souveraineté de l'État sur ses ressources naturelles. On a le gaz, on a le pétrole. Il dit vouloir renégocier les contrats. Et on a aussi les phosphates, on a le zircon. L'agenda est vraiment de faire en sorte que le Sénégalais puisse jouir le maximum possible des ressources naturelles qui se trouvent sur son territoire.

    Alors, dans le domaine du gaz et du pétrole offshore, le président sortant, Macky Sall, affirme que l'État sénégalais est déjà majoritaire dans tous ses contrats avec les compagnies internationales comme British Petroleum et la compagnie américaine Kosmos Energy. Qu'est ce qui va changer, demain, avec le nouveau président ?

    Mais, ces contrats-là, Macky Sall a dit que le Sénégal était majoritaire, mais on attend de voir. Il n’y a pas l'information qui permet de vérifier tout cela. En plus, dans certains domaines, on partage le pétrole et le gaz avec un voisin, la Mauritanie, et l'on sait que les négociations ont été très rudes avec certaines compagnies comme BP, et peut-être que cette nouvelle présidence va nous permettre d'en savoir plus sur le dossier. Et comme eux-mêmes, ils disent qu'ils vont vouloir renégocier des contrats qu'ils considèrent comme léonins, on va certainement voir quel va être leur marge de manœuvre pour renégocier tous ces contrats.

    Dans le domaine de la pêche, le nouveau président veut revoir les permis accordés aux acteurs étrangers. Qu'est-ce qu'il peut faire de ce côté-là ?

    Ah là, il peut faire beaucoup de choses parce que beaucoup de ces contrats en réalité ont été octroyés à des Sénégalais qui les ont après sous-loués à des compagnies chinoises, en tout cas asiatiques de façon générale. Là, l'État a la possibilité en constatant que ce n'est pas celui qui a signé le contrat qui en est l'exécutant et donc peut remettre en cause beaucoup de ces contrats. D'autant plus que beaucoup de pêcheurs sénégalais se plaignent de la raréfaction du poisson à cause de ces compagnies qui disposent de matériel hautement sophistiqué. Donc, si l'État veut satisfaire, en tout cas, les demandes de ces dizaines de milliers de pêcheurs, il faudra faire quelque chose dans ce domaine. Et je pense que c'est possible pour le gouvernement de remettre un peu d'ordre dans ce secteur-là.

    Sur le plan politique, « il faut sortir du néocolonialisme », disent les nouveaux dirigeants du Sénégal. Quelles mesures pourraient prendre Dakar vis-à-vis de Paris ?

    Certainement, la plus facile à réaliser, c'est peut-être de demander la fermeture des bases militaires qui sont, Sonko l’a rappelé plusieurs fois, qui sont vraiment l'exemple de présence néocoloniale sur le territoire sénégalais. Et je pense également aux accords de défense, vouloir les renégocier et faire en sorte que le Sénégal ne soit plus dépendant de ses relations avec la France lorsqu'il s'agit de sécurité. Je dois même ajouter que [les nouveaux dirigeants du Sénégal] insistent sur la France, mais le Sénégal a aussi signé des accords avec les Américains. Vont-ils renégocier ces accords-là ? Vont-ils demander à la petite unité des forces américaines qui se trouve à l'aéroport de Yoff de quitter le territoire ? Ça, les semaines à venir nous diront ce que les autorités vont décider.

    Donc, il faut s'attendre au départ des militaires français qui sont à Dakar depuis l'indépendance depuis 1960 ?

    Certainement et la fermeture des deux grandes bases qui se trouvent à Dakar, la base maritime qui se trouve au port de Dakar et peut-être ce qu'on appelle les éléments français de Dakar, qui se trouvent à Ouakam. Ça, je pense, d'un point de vue symbolique, ça va montrer que l'État a commencé à agir dans la reprise de la souveraineté sénégalaise sans beaucoup de conséquences, parce que les Français, eux-mêmes, sont en train de réfléchir sur leur présence militaire sur le continent et donc ça peut aller très vite.

    Le 15 mars dernier, en conférence de presse, Ousmane Sonko a déclaré : « Il y a un problème avec le franc CFA, cette monnaie ne colle pas avec nos impératifs de développement. 90% des pays du monde ont leur monnaie et ils s'en sortent. » Est-ce qu'on va, Pape Ibrahima Kane, vers une sortie rapide du Sénégal du franc CFA ?

    Je ne suis pas sûr que la sortie sera rapide parce que, hier [lundi 25 mars], en conférence de presse, le nouveau président a précisé sa pensée en disant que, oui, la monnaie est un élément important de la souveraineté économique, mais que le Sénégal avait déjà pris un certain nombre d'engagements, notamment au niveau de la Cédéao pour la création de l'Eco, qui est la monnaie sous-régionale. Il dit engager les dialogues avec la Cédéao et les autres États pour accélérer le processus de la mise en place de cette monnaie. C'est seulement si ce processus-là est lent ou s'il n'aboutit pas que le Sénégal va envisager la création de sa propre monnaie. Donc, vous voyez que déjà, de ce point de vue-là, il y a un peu plus de réalisme dans le discours. Mais ce que je peux ajouter, c'est que le fait que le Sénégal remette en cause la monnaie CFA, cela veut dire que ça isole davantage la Côte d'Ivoire qui, avec le Sénégal, étaient les deux pays qui vraiment faisaient tout pour que les États continuent à utiliser le CFA. Et donc, si le Sénégal bascule, ça veut dire que les jours du franc CFA sont comptés. Peut-être d'ici un an, un an et demi, on verra plus clair là-dedans.

    Depuis la naissance du franc CFA, le Sénégal abrite le siège de la Banque centrale de cette monnaie, à savoir la BCEAO. Alors, si demain l'Afrique de l'Ouest crée une nouvelle monnaie commune comme l'Eco, est-ce que le Sénégal ne va pas devoir laisser partir la future Banque centrale qui pourrait déménager naturellement vers le pays poids lourds de cette future monnaie, à savoir le Nigeria ?

    Oh, ça, c'est peut-être les négociations qui nous le diront. Peut-être que le Sénégal va perdre le siège de la Banque centrale, mais peut-être qu’il va, en contrepartie, obtenir des positions, pourquoi pas gouverneur de cette banque. De toute façon, à partir de l'instant où on mettra en place cet Eco, ce sont les économies les plus puissantes de la région qui vont nécessairement imposer leurs vues et leurs stratégies. Et là, de ce point de vue-là, il y a la Côte d'Ivoire, il y a le Ghana et le Nigeria qui vont jouer les grands rôles. Mais le fait qu'on ait un bâtiment de la Banque centrale aussi immense à Dakar, qui abrite le siège de la BCEAO, le Sénégal pourrait éventuellement bénéficier de certains avantages au niveau du partage des responsabilités dans cette nouvelle monnaie.

    Alors, s'il y a un pays qui doit se réjouir particulièrement de la victoire de Bassirou Diomaye Faye, c'est le Mali. On se souvient du soutien public qu'Ousmane Sonko a apporté plusieurs fois au régime militaire d’Assimi Goïta. À l'heure où le Mali annonce son départ de la Cédéao, est-ce que le nouveau chef d'État sénégalais ne va pas essayer de retenir son ami malien dans la Cédéao à laquelle il semble tenir, lui, Bassirou Diomaye Faye ?

    Tout à fait, je pense que c'est cette démarche qui va être déclenchée. Hier, Bassirou Diomaye Faye a réitéré l'ancrage du Sénégal dans la Cédéao, a réitéré le panafricanisme de la politique étrangère sénégalaise et, surtout, il a insisté sur l'intégration au niveau sous-régional dans le cadre de la Cédéao. Le Pastef, de façon générale, n'a pas seulement des amis au Mali, il a aussi des amis au Burkina Faso. Et j'espère que le président Diomaye Faye va vraiment utiliser tous ses atouts en matière de diplomatie pour ramener ces deux pays, plus le Niger, à la maison, parce que c'est important que, nous tous, nous partions ensemble vers cette intégration-là. Et je pense qu'il a, surtout avec le Mali, des arguments assez massues à mettre en exergue parce que le plus grand partenaire du Mali, c'est le Sénégal, et cela peut aider à vraiment faciliter le dialogue pour un retour de ces pays-là dans la maison-mère, d'autant que Bassirou Diomaye Faye a insisté sur une réforme de la Cédéao.

    Oui, parce qu'il veut donner plus de pouvoir aux parlementaires et aux juges de la Cédéao, c'est ça ?

    Tout à fait, pas seulement aux parlementaires, aux juges de la Cédéao, mais il veut aussi rendre la commission de la Cédéao beaucoup plus fonctionnelle, capable de bien faire fonctionner la maison de manière plus efficace pour le bénéfice et des populations et des États parties.

    Et la Russie, est-ce qu'il faut s'attendre à un renversement d'alliance et au remplacement de la France par la Russie comme partenaire privilégié du Sénégal ?

    Je ne le pense pas. Le Sénégal a déjà d'excellents rapports avec la Russie. Beaucoup ne le savent pas, mais la Russie est l'un des grands partenaires commerciaux du Sénégal. Nous importons pratiquement [tout] notre blé de la Russie, nous achetons de l'armement militaire à la Russie. Donc, je ne vois pas, parce qu’il y a eu changement de personnes à la tête de l'État sénégalais, que le Sénégal fasse ce « shift »-là pour aller vers la Russie. Et cela irait même à l'encontre de l'idée qu'il défend, de l'idée de souveraineté, parce que la souveraineté, ça veut dire « on prend en charge son propre destin, on n'est pas à la remorque d'autres pays, aussi puissants soient-ils ». Et mon avis personnel est que, dans le domaine de la diplomatie, il y aura une continuité parce que l'héritage que lui laissent le président Macky Sall et les anciens présidents est un héritage qu'il faudra vraiment renforcer. Le Sénégal est un petit pays, mais diplomatiquement un pays très fort, un pays vraiment respecté en Afrique. Je pense que le nouveau président gagnerait plus à utiliser le personnel diplomatique qui est là, à continuer dans le cadre de la diplomatie, dont les lignes ont été tracées par ses prédécesseurs pour davantage mieux placer le Sénégal dans le concert des nations. Juste un dernier point que je soulignerai à ce niveau-là, la diplomatie sénégalaise a toujours été faible dans nos rapports avec nos voisins. Nous avons toujours eu des problèmes avec nos voisins, que ce soit la Mauritanie, la Gambie, la Guinée-Bissau, avant l'arrivée de Macky Sall, et la Guinée Conakry. De ce point de vue-là, je pense qu'il a beaucoup d'efforts à faire, d'autant plus qu'il n'est pas bien connu, il ne connaît pas ces chefs d'État, et ce sont ces rapports-là qui peuvent vraiment renforcer les liens entre le Sénégal et ses voisins. Quand on est en paix avec ses voisins, on peut envisager le panafricanisme, on peut envisager le renforcement de la Cédéao, mais si ça ne l'est pas, ça va être difficile pour lui de vraiment mener une politique diplomatique digne de ce nom.

    Il y a deux ans, lors de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, le Sénégal s'est abstenu lors des votes à l'ONU. Est-ce que vous vous attendez à un changement de position ?

    Non, je ne pense pas que le Sénégal de ce point de vue-là va changer de position parce que, justement, on a une diplomatie qui est très respectée. Vous avez parlé de cette décision d'abstention, c'était lié au fait que le Sénégal avait justement beaucoup de rapports économiques avec la Russie et il ne voulait pas s'aliéner ses relations économiques-là, et il a pris le parti de s'abstenir et même de faire en sorte que les États africains refusent de prendre position dans ce conflit-là. Le non-alignement du Sénégal, je ne pense pas que ça soit quelque chose qui va être revisité par le nouveau gouvernement. Parce que, tout à l'heure, on en a parlé, il y a quand même au moins un ou deux dossiers importants à gérer rapidement comme le dossier du retour des pays de l'AES à la maison-mère, et ça, si on ne peut pas agir dans ce domaine-là en prenant des positions plus ou moins radicales, ça n'arrange ni les uns ni les autres.

    Est-ce que ces grandes questions, comme l'éventuel retour de l'Alliance des États du Sahel (AES) dans la maison Cédéao et la question du franc CFA, est-ce que toutes ces questions seront gérées plutôt par Bassirou Diomaye Faye ou plutôt par Ousmane Sonko ?

    Ah ! Le président de la République au Sénégal, d'après la Constitution, c'est lui qui détermine la politique étrangère du pays. Je pense que la direction de la diplomatie restera entre les mains du président de la République et lui seul.

    Et quel rôle jouera Ousmane Sonko à l'avenir, à votre avis ?

    Ça va se déterminer, je pense, à partir d'octobre, novembre, au moment où on aura une nouvelle Assemblée nationale, peut-être que Sonko pourrait valablement trouver sa place en tant que président de l'Assemblée nationale ou en tout cas jouer un rôle déterminant dans ce domaine. Peut-être bien aussi qu'on pourrait le nommer Premier ministre. Il y a toutes ces possibilités-là qui s'offrent. Je ne pense pas, avec l'expérience que le Sénégal a vécu en 1962, que l'on soit dans une dynamique de dyarchie à la tête de l'État.

    Vous pensez au conflit entre Senghor et Mamadou Dia ?

    Exactement, et ça, ça a laissé beaucoup de traces dans la vie politique sénégalaise et je suis sûr qu’ils ne vont pas répéter ces erreurs-là.

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    En votant dimanche dernier dans son village natal, Bassirou Diomaye Faye a promis « la rupture ». Alors qu'est-ce qui va changer, maintenant qu'il vient d'être élu président du Sénégal ? Y aura-t-il une nouvelle monnaie ? Y aura-t-il des renversements d'alliance ? Mamadou Lamine Sarr enseigne les sciences politiques à l'université numérique Cheikh-Hamidou-Kane de Dakar. En ligne de la capitale sénégalaise, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier. 

    RFI : Mamadou Lamine Sarr, êtes-vous surpris par cette victoire annoncée de Bassirou Diomaye Faye dès le premier tour ? 

    Mamadou Lamine Sarr: Pas tout à fait. Les dernières tendances avant le scrutin nous laissaient un peu présager, n'est-ce pas, de cette victoire. On pouvait s'attendre peut-être à une victoire au second tour, mais cette victoire au premier tour n'est pas du tout surprenante au vu, justement, de la mobilisation générale de l'électorat. 

    À cause du bilan de la majorité sortante ?

    Oui, c'est un facteur explicatif effectivement, un bilan qui n'est pas satisfaisant aux yeux de nombreux Sénégalais. Le premier point, on a une accentuation des inégalités économiques et sociales. C'est une société où, de plus en plus, on a de grandes difficultés et une société où les gens vivent au quotidien le fait que les choses ne sont pas réparties de manière égale dans la population. Et ces inégalités, qui se sont incluses ces dernières décennies, notamment sous la présidence Wade et sous la présidence de Macky également, ont participé à ça. Et les gens, ils continuent à avoir de grandes espérances en matière de lutte contre les inégalités. Ça, c'est le premier point. Le deuxième point est plutôt relatif à la sauvegarde de nos institutions. Les Sénégalais sont des gens qui sont très attachés à leur culture politique, à leurs institutions, et, depuis l'alternance de 2000, les gens ont cette habitude-là, cette culture-là, de patienter, d'être endurant, je dirais même, dans l'épreuve, en se disant que l'élection présidentielle va arriver, ce sera l'occasion pour nous de renouveler ou bien d’exprimer notre volonté de changement ou autre. Et donc, quand on touche aux institutions, quand la séparation des pouvoirs n'est plus claire, quand le président est omniprésent, quand le Parlement ne joue plus son rôle, quand la société civile a un espace un peu plus réduit, à un moment, le peuple sanctionne. Et ça, ce n'est pas par rapport à Macky Sall, ça, tout président aujourd'hui qui passe aura ces questions-là. Et ces questions vont se poser justement au nouveau président, monsieur Bassirou Diomaye Faye.

    Est-ce qu'on peut dire qu'après 40 ans de socialisme, avec Léopold Sédar Senghor et Abdou Diouf, et 24 ans de libéralisme de droite, avec Abdoulaye Wade et Macky Sall, on revient à une période socialiste ?

    C'est difficile d'avoir cette lecture-là au Sénégal parce que je ne sais pas si Abdoulaye Wadeétait tout à fait libéral. Peut-être... Et je ne sais pas si Macky Sall l'était également. Donc, c'est difficile d'avoir cette lecture qu'on a en Occident, par exemple, entre libéraux, socialistex, sociaux-démocrates et cetera. La lecture qu'on peut par contre avoir, c'est qu'on a en face de nous un président et ses amis qui sont donc, en particulier, Ousmane Sonko et les autres de la grande coalition, qui, à mon avis, ont compris les attentes des jeunes en matière de panafricanisme, d'intégration régionale, d'intégration continentale, en matière de relation avec les plus anciennes puissances coloniales, notamment la France. Tous ces grands enjeux-là, les jeunes se l'approprient. Donc, je ne pense pas que cette lecture-là puisse se faire, mais ce qui est sûr, c'est que c'est une rupture, effectivement, entre Senghor et Abdou Diouf d'une part, Wadeet Macky Sall d’autre part, ça, c'est une évidence, oui.

    Sur le plan tactique, est-ce que les atermoiements de Macky Sall, ces dernières semaines, quand il a voulu reporter la présidentielle à la fin de l'année, ça a compté dans le vote des Sénégalais ?

    Oui, tout à fait. Fondamentalement, je pense que ça a été l'élément déclencheur. Autant quand, par exemple, Ousmane Sonko a été emprisonné, il y a eu quelques heurts, les gens se sont dits, on va attendre l'élection, mais autant, lorsque le président a pris la décision, le 3 février, de reporter les élections, là, pratiquement tous les acteurs, ça va de la société civile aux syndicats, aux universitaires que nous sommes, aux jeunes, l'ensemble pratiquement de la couche sociale et politique du pays s'est opposé à ce report-là. Et je pense que le président ne s'attendait pas, peut-être, à ça. Et les Sénégalais l'ont fait, mais ils l'ont fait toujours dans le respect de la culture démocratique. Ça a toujours été quelque chose de fondamental pour les Sénégalais de revendiquer cela dans la paix, pour ne pas envenimer la situation. Et, à un moment donné, même le camp du pouvoir, à mon avis, était perdu dans ce bouleversement politico-judiciaire.

    D'autant, peut-être, que Macky Sall a donné l'impression de vouloir changer de dauphin et peut-être de ne pas garder Amadou Ba comme dauphin de Benno Bokk Yakaar.

    Oui, moi, personnellement, j'ai toujours cru que la première erreur, c'est facile de dire ça maintenant mais moi je l'ai toujours perçu ainsi, la première erreur du camp présidentiel, c'est d'avoir confié le choix du dauphin au président. Je pense qu’il fallait organiser des primaires au sein du parti pour avoir la légitimité de la personne qui allait représenter le parti et faire un bloc derrière lui. Mais dès que le président a fait le choix d’Amadou Ba, on a eu tout de suite les premières divisions au sein même du bloc Benno Bokk Yakaar. Et on n’a pas senti, peut-être, dans les derniers jours de campagne, que le président ou bien que la mouvance présidentielle était tout à fait à 100% derrière le candidat Amadou Ba. Maintenant, est-ce que ça aurait changé quelque chose ? Personnellement, je ne le pense pas, mais la réalité, elle est là, la base du groupe Benno Bokk Yakaar n'a pas su, à mon avis, apporter le soutien qu'il fallait à monsieur Amadou Ba.

    La consigne de vote du PDS de Karim Wade en faveur de Diomaye Faye, c'était vendredi 22 mars, ça a pesé dans le vote ou pas ?

    Pour répondre à cette question-là, moi je préférerais attendre un peu pour voir les zones où le Parti démocratique sénégalais fait historiquement des scores dans certaines zones urbaines comme à Dakar ou dans les grandes villes du pays, Thiès et cetera, dans quelques couches rurales également, mais je pense que, même si le PDS avait apporté son soutien à Amadou Ba ou s'était abstenu, et cetera, je pense que le camp Diomaye aurait quand même eu la victoire, peut-être pas dans les marges d’aujourd'hui, mais aurait quand même eu la victoire. Parce que, encore une fois, c'est un sentiment, c'est une volonté affichée vraiment de la population dans son ensemble, en particulier encore les jeunes, de vouloir bouleverser, de vouloir changer les choses. Je pense que le PDS a bien fait de s'aligner, en tout cas, pour monsieur Diomaye.

    Alors, les Sénégalais ont exprimé leur rejet de la politique de Macky Sall et de son Premier ministre. Mais il y avait 15 autres candidats de l'opposition et pas n'importe qui : Khalifa Sall, Idrissa Seck... Pourquoi ont-ils porté leur choix sur Diomaye Faye ?

    Parce que, par exemple, les deux que vous avez cités, les gens les perçoivent entre guillemets comme « les gens du système », comme des gens qui étaient là, qui ont toujours gravité autour du système étatique, qui ont été à des responsabilités, mais qui n'ont pas mené le pays là où la population espère que ce pays soit. Donc, vous avez comme ça des candidats, effectivement, malgré leur expérience, malgré leur connaissance peut-être de l'État, du fonctionnement de l'État, les jeunes n'ont pas fait de ces critères-là quelque chose de déterminant. Et ça, je pense que l'élite politique est en complet déphasage souvent avec la jeunesse. Ces questions d'expérience, et cetera, les jeunes n'ont pas fait de ça un point important. Pour eux, c'était un changement et ce changement-là devait être porté, voire même par quelqu'un qui n'a jamais été dans les arcanes du pouvoir. Et donc, les Khalifa Sall, Idrissa Seck, Thierno Alassane Sall et cetera ont perdu en tout cas l'élection, entre autres, à cause de ce point-là.

    Du côté de Benno Bokk Yakaar, Amadou Ba a essayé de jouer sur la peur des Sénégalais face aux violences générées par les manifestations de 2021 et 2023. Il a traité Diomaye Faye et Ousmane Sonko d'aventuriers, de populistes. Pourquoi ça n'a pas marché ? 

    Mais parce que ce discours-là, ça fait quelques moments que les Sénégalais l'entendent de la part des cadres du pouvoir et donc ce n'est pas tout à fait la vérité. Ça serait trop simpliste de dire qu’Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye sont des aventuriers, et cetera. Et il y a certains jeunes, quand on a l'occasion de discuter un peu avec nos étudiants, de participer à certaines manifestations, certains vous disent même qu'ils préfèrent cela. C'est-à-dire que c'est un rejet complet du système actuel qui fait que les jeunes vous disent « nous avons besoin de quelqu'un qui n'a jamais été au pouvoir, qui n'a jamais touché à tout ça, dont les droits ont été bafoués, qui nous ressemble, qui sait nous parler ». Et donc, tout cela a contribué justement à fortifier l'assise de ces deux-là. Il faut rajouter qu’eux aussi, ils ont mis en place une stratégie également électorale depuis maintenant quelques années, qui a fonctionné, qui a marché parce qu'ils savent les enjeux et donc, à mon avis, ça a contribué à la victoire du candidat Bassirou Diomaye Faye.

    Quel est, dans le programme de l'ancien parti Pastef, le point le plus fort qui a emporté l'adhésion des électeurs ?

    Fondamentalement, c'est la proposition de changer le mode de gouvernance. Ça, c'est quelque chose auquel l'électorat tient. C'est en changeant le mode de gouvernance, en apportant des modifications très importantes sur comment l'État est géré, qui gère l'État, qu'on va s'attaquer à de grands maux de la société sénégalaise, la corruption, les inégalités économiques et sociales, les fameuses transhumances politiques, et cetera. Donc, la manière dont les deniers publics sont gérés.

    Et peut-être aussi un meilleur partage des revenus à venir, du gaz et du pétrole…

    Oui, ça englobe cela. C'est-à-dire que dans cette gouvernance-là, c'est une répartition des ressources ou des fruits issus de ces ressources-là, que ce soit le pétrole ou le gaz, mais pas seulement. Dans le domaine agricole, dans le domaine foncier, on a eu de grands scandales également dans ces dimensions-là. Le foncier hors de Dakar, par exemple. Le domaine agricole, l'élevage, la question de la pêche, par exemple, avec les pêcheurs qui accusent l'État sénégalais d'avoir donné certaines autorisations, certains permis, à des groupes étrangers pour pouvoir pêcher dans les eaux sénégalaises. Toutes ces questions-là sont liées à justement cette gouvernance de l'État du Sénégal qui est le point d’ancrage à mon avis.

    La promesse de quitter le franc CFA, ça a joué ou pas ?

    Oui, ça contribue, mais fondamentalement les jeunes maintenant, qui sont nés lors des deux dernières décennies, par exemple, avec le discours anticolonial ou anti-néocolonial, avec le discours contre le franc CFA un peu partout en Afrique de l'Ouest, ce n’est pas seulement au Sénégal, adhèrent à cela. Mais les Sénégalais savent également qu’une sortie programmée du franc CFA ne se ferait pas du jour au lendemain, que ce serait quelque chose qui se ferait dans le temps, qui ne serait pas aussi facile que ça. Les Sénégalais sont assez conscients de ça, mais fondamentalement, la souveraineté monétaire est un élément extrêmement important pour l'électorat de monsieur Bassirou Diomaye Faye.

    Et qu'est-ce qui va changer à votre avis dans la relation du Sénégal avec la France ?

    Je pense que si le Pastef, en tout cas l'ex-Pastef, se tient à sa ligne, je pense que, dans les grandes lignes, il n’y aura peut-être pas de grands changements. On aura toujours des axes de coopération dans divers domaines. Ce qui va changer, c'est la relation parce qu'il y a d'autres acteurs qui sont présents, qui seront de plus en plus présents. Les puissances émergentes, les États-Unis d'Amérique, on peut citer d'autres États, et parce qu’également les Africains de l'Ouest en général sont demandeurs de cela.

    Et la Russie ? Pensez-vous possible un renversement d'alliance au détriment de la France et au profit de la Russie ?

    Je ne pense pas. Très sincèrement. Parce que ce n’est pas dans le programme du Pastef et il n’y a pas une grande alliance ou quelque chose qui a été manifesté par Bassirou Diomaye Fayeou bien par l'ex-Pastef ou par Ousmane Sonko de se rapprocher davantage de la Russie. Ce qui est revendiqué, c'est une plus grande diversification des partenaires économiques, politiques, diplomatiques du pays, ce qui est tout à fait légitime, on peut le comprendre, mais je ne pense pas qu'on puisse assister à un grand bouleversement, un remplacement, comme vous dites, de la France par la Russie, je ne pense pas à cela. Mais ce qui est sûr, c'est qu’une diversification, c'est une possibilité effectivement.

    Si le candidat avait été Ousmane Sonko, est-ce qu'il aurait fait le même score ?

    Très certainement. Je pense même plus, personnellement, parce que, quoi qu'on dise, il a une aura, il a une présence, il a une relation différente de Bassirou Diomaye Faye avec la population sénégalaise. Et je pense que, certainement, une partie de l'électorat serait beaucoup plus mobilisée, que des gens qui ont voté pour d'autres candidats allaient peut-être voter pour lui. Je pense qu'avec Ousmane Sonko, le score serait peut-être beaucoup plus élevé.

    Et justement, que va devenir Ousmane Sonko ?

    Ah ça, c'est la grande question ! Est-ce qu'il sera un Premier ministre, est-ce qu'il sera dans l'État, est-ce qu'il va se mettre de côté ? Mais vu la relation entre les deux, vu l'importance de l'un pour l'autre, ça ne serait pas surprenant de le voir à un poste assez stratégique, que ce soit dans le gouvernement, que ce soit en tant que conseiller, que ce soit si jamais par exemple l'Assemblée est renouvelée, est-ce que, si on va vers des élections anticipées pour le Parlement, est-ce que ce dernier étant élu sera président de l'Assemblée ? Tous les scénarios sont possibles, mais ce qui est certain, c'est qu'effectivement il y a de très, très fortes chances pour qu’Ousmane Sonko soit aux côtés de Bassirou Diomaye Faye, ce qui serait logique de toute façon.

     

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    Tue, 26 Mar 2024
  • 908 - Procès Zogo au Cameroun: «Ce serait bien que le public suive les débats», estime Christophe Bobiokono

    C’est un crime qui a bouleversé tout le Cameroun. Qui a tué le journaliste Martinez Zogo en janvier 2023 à Yaoundé ? Et qui a commandité cet assassinat ? Ces deux questions sont au cœur du procès qui doit s’ouvrir ce lundi 25 mars devant le tribunal militaire de Yaoundé. Au Cameroun, Christophe Bobiokono est le directeur de publication de Kalara, le journal spécialisé dans le traitement des affaires judiciaires. En ligne de Yaoundé, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

    RFI : Dans le box des accusés, il va y avoir dix-sept personnes, dont l’homme d’affaires Jean-Pierre Amougou Belinga et les deux anciens patrons de la DGRE, c’est-à-dire des services secrets camerounais, Maxime Eko Eko et Justin Danwe. De quoi sont-ils soupçonnés ?

    Christophe Bobiokono :M. Jean-Pierre Amougou Belinga et M. Eko Eko apparaissent, au terme de l’enquête, comme de probables commanditaires de ce qui s’est passé. M. Jean-Pierre Amougou Belinga est poursuivi comme quelqu’un qui aurait aussi financé l’opération. Mais il y a une troisième personne qui est dans la peau d’un commanditaire, c’est M. Martin Savom, maire d’une localité que l’on appelle Bibey dans la région du Centre au Cameroun. C’est la dernière personne à avoir été inculpée, mais qui apparait comme ayant même été présente sur la scène du crime, au moment où l’homme de médias a été tué.

    L’un des principaux accusés, c’est Justin Danwe, l’ex-numéro 2 des services secrets (DGRE). Il serait passé aux aveux, il aurait dit ne jamais avoir eu l’intention de tuer Martinez Zogo, « il fallait lui faire peur » aurait-il dit. Est-ce que c’est crédible ?

    C’est difficile que ce soit crédible, dans la mesure où M. Danwe est finalement la pièce maîtresse de tout : il est au contact de toutes les personnes qui se sont retrouvées impliquées dans la filature, dans l’enlèvement, dans le traitement, voire l’assassinat de la personne, donc c’est lui qui organise finalement tout. Je le dis sur la base de ses propres déclarations et sur les témoignages de certains des mis en cause.

    Quand Justin Danwe dit qu’il n’avait pas du tout l’intention de tuer Martinez Zogo, est-ce que vous le croyez ? Ou est-ce que vous ne le croyez pas ?

    Disons que, si on se base sur l’ordonnance de renvoi, donc le rapport d’instruction du juge qui les renvoie en jugement, on peut dire que cette déclaration-là est douteuse. Dans la mesure où c’est bien lui qui renvoie sur les lieux du crime les trois personnes qui sont supposées avoir donné la mort à Martinez Zogo.

    Comme l’homme d’affaires Jean-Pierre Amougou Belinga est réputé avoir été un proche de l’actuel ministre de la Justice, Laurent Esso, la presse s’est étonnée, l’année dernière, que ce ministre n’ait jamais été entendu par un juge. Qu’est-ce que vous en pensez ?

    Sur la base des informations que nous avons vues, le nom du ministre de la Justice n’est pas ressorti comme un acteur des actes de filature, d’enlèvement et d’assassinat ou de torture. Donc je trouve tout à fait normal que le ministre de la Justice n’ait pas été inquiété. Mais je peux vous dire que l’influence du ministre s’est fait grandement sentir au début de l’enquête, M. Amougou Belinga a bénéficié d’un traitement de faveur. D’ailleurs, il n’est interpellé que trois semaines après l’enlèvement de Martinez Zogo. Ce qui nous paraît quand même énorme ! Le président de la République a dû recourir à une commission mixte police-gendarmerie pour mettre entre parenthèse l’institution judiciaire telle qu’elle fonctionne normalement pour mener l’enquête policière. C’est dire si, depuis le sommet de l’État, on savait que l’influence du ministre de la Justice pouvait fausser certaines choses.

    Certains disent que l’assassinat de Martinez Zogo est la manifestation la plus spectaculaire et la plus tragique de la lutte des clans qui se durcit actuellement au sommet de l’État camerounais. Qu’en pensez-vous ?

    Je pense que c’est vrai. Je crois avoir lu dans les documents que j’ai consultés que M. Eko Eko, qui était patron de la DGRE à l’époque des faits, a lui-même souligné ce contexte-là, en disant qu’il y avait des clans qui se battaient. En pointant de manière très claire des clans où on trouverait, d’une part, peut-être des personnes de la présidence de la République et, d’autre part, peut-être le ministre de la Justice et le ministre des Finances, pour ne pas parler de tous les autres…

    Plusieurs avocats, dont Charles Tchoungang, le défenseur de M. Amougou Belinga, demandent que le procès soit retransmis en direct à la radio et à la télévision. Est-ce qu’il y a un précédent et qu’en pensez-vous ?

    Ici, au Cameroun, je ne me souviens pas… Je suis chroniqueur judiciaire depuis une vingtaine d’années, je n’ai pas couvert de procès qui a été retransmis comme cela. Ce serait bien que les débats se fassent de façon à ce que le public qui veut les suivre puisse les suivre. Il faut savoir que, lors de l’enquête menée par la commission mixte police-gendarmerie, il y a bien des choses qui sont apparues dans cette enquête, mais qui semblent avoir disparu en cours de route. Par exemple, on découvre aujourd’hui qu’il y a eu, lors des saisies pratiquées ici et là, des téléphones qui ont été saisis, mais qui n’ont pas été soumis à l’expertise judiciaire. Cela fait qu’il y a un maquillage des faits par rapport à la procédure.

    Pensez-vous que, si ce procès est retransmis en direct à la radio et à la télévision, il y aura plus de transparence et moins de pression sur les juges ?

    Oui, cela peut participer à limiter la pression sur les juges. Dans un environnement opaque, il y a toujours plus de possibilités de faire pression parce que le public n’aura pas suivi ce qu’il s’est dit pendant les débats.

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    Mon, 25 Mar 2024
  • 907 - Adam Shatz revisite le psychiatre Fanon en Algérie: «Frantz Fanon, Une vie en révolutions»

    Redécouvrir Frantz Fanon : le personnage, sa pensée et son époque... C'est ce que propose une biographie que viennent tout juste de publier les éditions La Découverte. L'ouvrage est intitulé « Frantz Fanon, Une vie en révolutions». On y voit le penseur mûrir ses idées anticoloniales et s'engager aux côtés des indépendantistes algériens, avec pour arrière-plan les débats intellectuels et les luttes d'influence de son époque. Une grande fresque, donc, dont nous parle son auteur, l'essayiste et journaliste américain Adam Shatz.  

    Sun, 24 Mar 2024
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