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Le grand invité Afrique

Le grand invité Afrique

RFI

Du lundi au samedi, Christophe Boisbouvier reçoit un acteur de l'actualité africaine, chef d'État ou rebelle, footballeur ou avocate... Le grand invité Afrique, c'est parfois polémique, mais ce n'est jamais langue de bois.

939 - Au Niger, «les États-Unis préservent mieux l'avenir que d'autres partenaires»
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  • 939 - Au Niger, «les États-Unis préservent mieux l'avenir que d'autres partenaires»

    Au Niger, cela fait neuf mois, ce vendredi 26 avril, que le putsch a eu lieu et que le président Mohamed Bazoum est séquestré, avec son épouse, par les militaires qui l'ont renversé. Le fait marquant de ces dernières semaines, c'est le tournant anti-américain et pro-russe qu'ont pris les militaires du CNSP à Niamey. Est-ce à dire que les Américains ont perdu la partie au Niger ? « Ce n'est pas si simple», répond Jean-Hervé Jézéquel, qui est directeur du projet Sahel à l'International Crisis Group.

    RFI : Neuf mois après, est-ce qu’on y voit plus clair ? Est-ce que l’ancien président Mahamadou Issoufou a joué un rôle dans ce putsch ?

    Jean-Hervé Jézéquel : Alors, il y a eu beaucoup de rumeurs sur le rôle de l’ancien président Issoufou, du fait de sa proximité notamment avec le général Tiani qui était le chef de sa garde. Je n’ai vu aucun élément probant sur son implication… Et pour tout dire, je trouvais curieux qu’un président, qui s’est si longtemps méfié de ses propres forces de sécurité, leur confie aujourd’hui son avenir, au risque de ruiner un petit peu son héritage et notamment le parti politique qu’il a construit sur plus de quatre décennies et qui aujourd’hui est complètement déchiré. Par contre, ce qui est troublant, c’est la proximité qu’il affiche aujourd’hui avec une partie du CNSP [la junte au pouvoir au Niger]. Alors le président Issoufou a voulu jouer les médiateurs dans les jours qui ont suivi le coup d’Etat, il semble aujourd’hui se ranger à la raison du plus fort, et cela n’aide peut-être pas à construire une transition qui assurerait un meilleur équilibre entre civils et militaires. Aujourd’hui, l’essentiel du pouvoir d’Etat est aux mains des hommes en uniforme et, dans un tel système, un démocrate n’a pas beaucoup d’avenir.

    Pourquoi les pays de la sous-région de la Cédéao, ont renoncé à leur plan militaire contre la junte ?

    Bon, la Cédéao n’en avait pas les moyens militaires d’une part, et puis, d’autre part, les opinions ouest-africaines n’y étaient pas favorables. Mais je crois que les pays de la Cédéao ont très vite compris qu’une telle intervention était non seulement hasardeuse, mais aurait pu aussi se retourner contre ses initiateurs. Au fond, je pense que la Cédéao a haussé le ton trop brutalement, trop vite, a un peu confondue vitesse et précipitation. Une fois le coup consommé, il n’y avait plus retour en arrière possible. Ce sur quoi il aurait fallu se concentrer à ce moment-là, mais c’est sûr que c’est facile de le dire aujourd’hui, c’est plutôt sur la forme de la transition. Négocier peut-être un meilleur équilibre entre civils et militaires, assurer une meilleure participation des forces politiques et de la société civile. Au Mali, lors de la première transition, en août-septembre 2020, la Cédéao avait plutôt su bien négocier… Là, en 2023, elle s’est avérée beaucoup moins efficace.

    Est-ce que les Américains ont joué un rôle dans la décision des pays de la Cédéao de renoncer à toute intervention militaire ?

    Les Etats-Unis n’ont soutenu au fond que du bout des lèvres l’action de la Cédéao, il était clair qu’ils ne croyaient pas non plus à la possibilité d’une intervention, passés les premiers jours, en tout cas pas d’une intervention réussie, et donc ils se sont engagés dans une approche accommodante à l’égard du CNSP, des nouvelles autorités, essayant, au fond, de préserver des relations, et puis de préserver aussi leurs bases. Au départ, ce n’était pas nécessairement un pari idiot, mais il est évident qu’il n’a pas fonctionné. Donc les Etats-Unis sont quand même rentrés en tension avec le CNSP, d’abord autour de son rapprochement avec des acteurs comme l’Iran et la Russie, et puis aussi du fait du refus du CNSP de fixer un calendrier de sortie de transition sous pression. Et donc cela a fini à conduire à l’impasse actuelle… Aussi, je pense qu’il semblerait que le CNSP est resté très méfiant à l’encontre de certains de ses voisins de la sous-région, et aussi de la France. Il soupçonne ces acteurs de vouloir soutenir des actions de déstabilisation, et donc, face à cette menace réelle ou pas, le CNSP a plus confiance dans l’allié russe que dans l’allié américain. Pour autant, on ne peut pas dire que les Etats-Unis ont été chassés du pays, ils maintiennent une présence, non-militaire. Ils maintiennent une présence à travers des programmes de développement et d’aide humanitaire, ils ont toujours un ambassadeur, présent à Niamey, ils réussissent à éviter une sorte de politique des blocs qui voudrait qu’on retourne à une forme de politique de la guerre froide où un pays est soit votre allié, soit votre adversaire. Et je trouve qu’en faisant cela, même si, à court terme, les Etats-Unis n’ont pas réussi dans la stratégie d’accommodement, ils préservent mieux l’avenir que d’autres partenaires.

    Voilà neuf mois que le président Mohamed Bazoum refuse de signer sa destitution et paye ce courage de la prison dans laquelle il est enfermé avec son épouse… Est-ce qu’il n’y a plus aujourd’hui aucun espoir de libération pour lui ?

    On espère que si. Son bilan était de loin le plus intéressant dans la région sur les quinze dernières années. Il refuse de démissionner sans doute parce que c’est un reflet de son parcours de démocrate, de démocrate convaincu, mais c’est aussi cela qui le maintien en détention jusqu’à aujourd’hui.

    Et quel intérêt pour les militaires de vouloir le juger comme ils en montrent l’intention ?

    Peut-être aussi, il s’agit de trouver un nouveau bouc émissaire. Ce qu’on peut surtout noter, c’est que pour l’instant le CNSP n’a pas véritablement mis en place un programme de transition, et qu’en dehors des choix dans le domaine sécuritaire, il n’a pas véritablement mis en place des signes de rupture positive pour le pays.

    Est-ce qu’une solution négociée est encore possible pour la libération de président Bazoum, peut-être avec une médiation internationale ?

    Oui peut-être. Beaucoup l’ont tenté ces derniers mois, on a vu plusieurs puissances, plusieurs pays de la sous-région essayer de jouer les médiateurs, jusque-là sans succès. Voilà, on espère qu’ils vont continuer, et qu’ils obtiendront une libération du président Bazoum, qui ne mérite pas à l’évidence le sort qui est le sien aujourd’hui.

    Fri, 26 Apr 2024
  • 938 - Pedro Pires: la lutte armée en Guinée fut «un des facteurs de changement du régime au Portugal»

    C’était il y a 50 ans, jour pour jour. Le 25 avril 1974, de jeunes capitaines se sont soulevés au Portugal, ont fait tomber la dictature et ont ouvert la voie à l’indépendance des dernières colonies africaines. Du coup, aujourd’hui, plusieurs chefs d’État africains sont à Lisbonne pour célébrer cet anniversaire avec les Portugais. Leur présence est d’autant plus justifiée que ce sont les indépendantistes africains de l’époque qui ont fait chuter le régime dictatorial et colonialiste de Lisbonne. Pedro Pires a été successivement un commandant militaire du PAIGC d’Amilcar Cabral, puis le président du Cap-Vert.

    RFI : Est-ce que la chute de la dictature portugaise aurait eu lieu sans le combat du PAIGC pour l’indépendance du Cap-Vert et de la Guinée-Bissau ?

    Pedro Pires : Je crois que ce combat et la lutte dirigée par le PAIGC ont eu un rôle très important dans la création des conditions de la chute du régime installé au Portugal. Tenant compte qu’en 1973, nous avons eu des victoires militaires très importantes et, en même temps, nous avons eu des victoires politiques, diplomatiques très importantes. Le régime colonial au Portugal était dépassé, isolé. Le pays était en crise politique et militaire, les guerres coloniales ont eu un effet très pervers dans l’économie et, de mon point de vue, le pays n’était pas dans des conditions pour continuer la guerre. Il y avait des risques d’effondrement de l’armée coloniale. Mais on ne peut pas dire que les mouvements de libération étaient les seuls responsables de la chute du régime, car, en même temps, au Portugal, il y a eu des résistances contre la guerre coloniale, contre le régime. Mais, en effet, les luttes armées de libération nationale ont été le facteur le plus important pour la chute et le changement de régime au Portugal.

    C’est-à-dire que les jeunes Portugais ne voulaient plus faire un service militaire de quatre ans, au risque de mourir en Guinée-Bissau ?

    Pas seulement en Guinée-Bissau ! Ce qui s’est passé, c’est que la jeunesse portugaise n’était pas tellement engagée dans cette guerre. Il y avait des fuites des jeunes vers les autres pays d’Europe, il y avait des désertions importantes… Mais le facteur le plus important dans la chute du régime, c’était, en effet, la résistance et les combats des mouvements de libération et, particulièrement, du PAIGC. C’est vrai que, en Guinée, c’est là où le mouvement de libération dirigé par Amilcar Cabral a eu les plus grands succès qui ont provoqué les plus grandes déroutes pour l’armée portugaise. Donc, le PAIGC a eu un rôle très important pour le changement de régime au Portugal.

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    Ce combat pour l’indépendance, monsieur le président, il débute dès les années 1960. L’armée portugaise s’accroche au terrain et lance même un raid sur Conakry, la base arrière du PAIGC en novembre 1970. Cette opération Mar Verde, est-ce qu’elle a servi la cause du Portugal ou, au contraire, celle du Guinéen Sekou Touré et du Bissau-Guinéen Amilcar Cabral ?

    De mon point de vue, cette opération a démontré que le régime voulait trouver la solution à l’extérieur, avec cette invasion à Conakry, pour gagner la guerre qu’il avait déjà perdue à l’intérieur du pays. Ils voulaient essayer de trouver une victoire à l’extérieur quand la victoire à l’intérieur était impossible. C’est le signe du désespoir de l’armée portugaise, de la direction militaire et politique du Portugal. À la fin, le régime portugais était le perdant parce qu’il était plus isolé que jamais. Il y a eu une mobilisation internationale d’appuis, surtout africains, à la République de Guinée et au PAIGC.

    Le chef des opérations militaires du Portugal en Guinée-Bissau, c’était le général Spinola. C’était un homme intraitable sur le terrain, mais c’était en même temps un homme politique intelligent qui a publié, deux mois avant la Révolution portugaise, un livre prémonitoire sur la nécessité d’ouvrir un dialogue politique avec vous, les maquisards indépendantistes. Est-ce qu’à l’époque, vous l’aviez rencontré secrètement ?

    Non, le général Spinola, c’était un officier vedette qui se présentait comme victorieux, comme capable de vaincre le PAIGC, qui vendait son image politique, son image militaire… Qui, en effet, a changé la stratégie militaire en Guinée, qui a modernisé l’armée coloniale, c’est vrai, qui a fait une politique pour les populations, pour acheter les consciences des populations. Et qui avait essayé d’imiter ce que faisait le PAIGC. Donc, de mon point de vue, ce n’était pas un grand chef de guerre, mais il faisait sa promotion à l’intérieur du pays et à l’extérieur du pays. Et, en même temps, il a perdu la guerre en Guinée. Parce que nous, l’armée du PAIGC, nous avons eu des victoires très importantes sur l’armée portugaise à plusieurs reprises. Et il a lui-même reconnu dans une publication du 15 mai 1973 que l’armée portugaise n’était pas dans la condition d’affronter le PAIGC et que le PAIGC avait acquis des armes très puissantes, qui pouvaient mettre en cause la continuation de la guerre coloniale. En ce qui concerne l’aspect politique, la solution Spinola, c’était une espèce de fédération – ou quelque chose de pareil – mais qui ne prenait pas en compte ce que nous avions déjà fait. Parce que, nous-mêmes, nous avions déjà proclamé la République de Guinée-Bissau le 4 septembre 1973 ! Il a essayé de trouver une solution politique pour un cas perdu en présentant une solution néocoloniale. C’était peut-être très important pour la société portugaise, mais pour nous, cela n’avait aucune importance.

    50 ans après les indépendances, le Cap-Vert est une vraie démocratie qui a connu plusieurs alternances, alors que la Guinée-Bissau est un pays très instable, qui a déjà connu quatre coups d’État meurtriers et 17 tentatives de putschs. Comment expliquez-vous que ces deux pays, qui étaient liés de façon aussi forte par le PAIGC d’Amilcar Cabral, connaissent aujourd’hui deux destins aussi différents ?

    Nous, au Cap-Vert, on a essayé de mettre sur pied les vraies institutions crédibles, solides d’un État de droit, c’est le point de départ, avec la participation des citoyens. La différence, peut-être, c’est celle-ci. On a essayé et on a mis sur pied un État de droit où les gens, chacun a la parole.

    Mais un mot, tout de même, sur la Guinée-Bissau : c’est le seul pays d’Afrique de l’Ouest qui a conquis son indépendance par la lutte armée. Est-ce que ce n’est pas la raison, au fond, pour laquelle les militaires, à commencer par le général Ansoumane Mané, il y a 25 ans, ont occupé et occupent toujours une telle place dans la politique de ce pays ?

    La lutte armée en Guinée, il faut le reconnaître, vous-même, vous avez dit que c’était un facteur du changement de régime au Portugal. C’est vrai. La lutte armée en Guinée était victorieuse et héroïque. La question qui se pose, c’est la gestion après tout cela. Les changements qu’il fallait faire… Peut-être, je dis bien « peut-être », les dirigeants n’étaient pas tellement préparés pour voir quel serait le chemin à suivre, quelles seraient les réformes politiques et sociales à faire. Mais, vraiment, du point de vue des pays où les indépendances ont été acquises par la lutte armée, les armées ont eu un rôle très important. Et le problème, je crois que cela se maintient, c’est le danger de la nature du régime. C’est-à-dire, passer d’un régime avec certaines caractéristiques militaires où les armées jouent un rôle ou pas, en ce qu’elles sont les gardiens de l’indépendance du pays. Mais changer cela de telle nature que, au lieu de l’armée qui commande, c’est le peuple qui commande, c’est très difficile. Regardez un peu partout !

    Thu, 25 Apr 2024
  • 937 - Charles Michel (UE): «Les investisseurs et les businessmen espèrent de la stabilité en tous points»

    Le président du Conseil européen, Charles Michel, est en tournée en Afrique de l’Ouest. Après le Sénégal où il a rencontré le nouveau président élu, Bassirou Diomaye Faye lundi soir, Charles Michel est ce mercredi en Côté d’Ivoire avant de se rendre demain au Bénin. Une tournée placée sous le signe de la relance de la coopération économique mais aussi sécuritaire.

    Wed, 24 Apr 2024
  • 936 - Biennale: Romuald Hazoumé place le féminisme béninois au cœur de Venise

    Pour sa première participation à la Biennale de Venise, le Bénin a choisi le célèbre plasticien Romuald Hazoumé. À la 60ème édition de l’évènement sur l’art contemporain, l’artiste descendant de la royauté yoruba y présente une installation monumentale composée de plus de 500 de ses fameux masques-bidons, appelée « Ashé » qui signifie le pouvoir. 

    RFI: Le Bénin, hisse pour la première fois son drapeau à la Biennale de Venise. Le jour de gloire est arrivé ?

    Romuald Hazoumé : Je ne crois pas, parce que si on dit que le jour de gloire est arrivé, ça veut dire qu'on est arrivé. Mais personne n'est arrivé, parce que nous, les artistes, on cherche à faire mieux chaque fois. Parce que là, après Venise, beaucoup de gens vont nous attendre, encore, ils nous connaissent déjà, mais la peur, c'est d'arriver à faire mieux ou, au moins, d'arriver au niveau où on est là, maintenant.

    Que ressentez-vous, quand même ?

    Une satisfaction d'être là, mais en même temps, j'ai beaucoup d’appréhension par rapport au monde qu'il y a. Il y a une grande sollicitation, donc ça me gêne un peu.

    Fier, non ?

    Oui, parce que c'est le côté qui manquait à ma biographie. C’est-à-dire que, le fait d'être à la Biennale de Venise, tout le monde sait que c'est une décision politique : c'est un pays qui prend un pavillon et qui décide qui y va. Et là, ça s’est fait. 

    Le pavillon béninois défend « Tout ce qui est fragile et précieux ». Éclairez-nous 

    Oui, tout ce qui est fragile et précieux, c'est-à-dire que nous avons oublié d'où nous venons. Nous avons oublié notre culture, qui est une culture bien ancrée, bien pure, bien forte, mais qui reste fragile, parce qu'elle va totalement disparaître – ça veut dire que nous allons disparaître aussi. Et cette culture-là est gérée par la femme, parce que quand on va en profondeur dans le thème, la spiritualité est protégée par les femmes. Ce sont les femmes qui sont les gardiennes du vaudou. C'est pour ça que le culte Guélédé est géré en l'occurrence par ces ashés, des femmes qui ont le pouvoir. Donc ma pièce s'appelle « Ashé » pour cette raison-là.

    Ensuite, quand on prend les Amazones, ce sont des femmes, et la première qui a créé le corps des Amazones, c'est la Tassi Hangbé, qui a été l'une des reines du royaume du Dahomey. Donc c'est pour cette raison-là que, dans la pièce, je fais diffuser des panégyriques de la Tassi Hangbé, de quelques femmes célèbres, comme la Gnon Kogui du royaume de Nikki.

    De l'autre côté, il y a 520 visages de personnalités béninoises. Chaque individu qui est dans cette installation devient une personnalité, parce que chacun porte ou une couleur ou un signe ostentatoire qui donne son appartenance à une culture donnée, à cette culture que nous tous fuyons, mais qu'on ne fuit pas : on reste hypocrites dessus, parce qu'on est des catholiques tropicaux, on est des musulmans tropicaux. Mais le soir, on sait où on se retrouve tous. Donc, en rentrant dans cette pièce, on salue déjà nos morts sur lesquels on passe, parce qu’ils sont enterrés là. Et, en relevant la tête, il y a plein d'étoiles dans le ciel qu'on regarde, ce sont aussi nos saints qui sont là-haut et qui veillent sur nous. Mais, quand on arrive juste au centre de la pièce, tous les masques nous regardent, c'est-à-dire que l'individu devient le centre du monde, c'est-à-dire qu'on ne pense pas à l'IA, on ne pense pas à sa voiture, on ne pense pas aux vêtements qu'on porte, on ne pense à rien du tout. Tout le monde te regarde : c'est toi, l'humain, qui est important. Et cet humain-là, c'est la femme. 

    Des thèmes que vous défendez depuis plus de 20 ans déjà, alors que personne ne croyait à l'existence même d’un art contemporain venant du Bénin ?

    Oui, le Bénin a une particularité : quand on voit les gouvernements successifs qui l’ont dirigé, il y a eu le gouvernement de Mathieu Kérékou, où c'étaient plutôt des cathos, cathos, cathos... Des cathos tropicaux surtout, et qui ont complètement perdu le Nord. C'est-à-dire qu’on pense à notre culture, mais il faut l'effacer. Il faut aller prier dans l'Église parce qu'on s'appelle Mathieu ou Pierre… Et quand on revoit l'autre gouvernement qui a suivi, ce sont des évangélistes tropicaux aussi. Et quand on voit le gouvernement [du président Patrice] Talon aujourd'hui, qui redonne de la valeur à notre culture, parce que c'est la seule chose que nous ayons à partager – parce qu'on n'a pas de pétrole, on n'a pas d'or –, ça nous remet les pieds sur terre, ça nous remontre qui nous sommes.

    Et je peux vous assurer que les pièces qui ont été rendues par la France, c'est vraiment une revalorisation de notre culture. Nous regardons moins l'Occident et ça nous apporte énormément, comme, depuis 20 ans, ça m'apporte beaucoup. 

    Romuald Hazoumé, justement, créer pour recréer un monde auquel on a volé ses racines ?

    Non, la finalité n'est pas de revendiquer vraiment quelque chose ou de dénoncer quelque chose. La finalité, c'est que je me sente bien avec ce que moi, je fais. Voilà.

    Quelle est la seule vérité qui compte à vos yeux d'artiste et d'homme libre ?

    C'est de ne pas se mentir à soi-même !

    À lire aussiL’artiste béninois Romuald Hazoumè: «De l’Occident vers l’Afrique, je renvoie de l’intelligence»

    Tue, 23 Apr 2024
  • 935 - En Libye: «Sans pression extérieure, il n’y aura pas de solution politique à moyen terme»

    La démission, mardi 16 avril, d'Abdoulaye Bathily, qui était à la tête de la Mission des Nations unies en Libye (Manul) remet en lumière un conflit qui dure depuis 2011, mais qui est presque tombé dans l'oubli. Avec la dégradation de la situation internationale et la multiplication des conflits, la Libye n'est plus la principale préoccupation de la communauté internationale. Cette démission - qui n'est pas la première à ce poste - révèle l'aspect quasiment inextricable de cette mission de l'ONU, confrontée aux divisions internationales et internes qui prédominent en Libye, comme l'affirme Kader Abderrahim, chercheur et auteur du recueil Géopolitique de la Libye, édité en mars chez Bibliomonde. Il répond aux questions d'Houda Ibrahim.

    RFI : Peut-on considérer aujourd'hui, après la démission d’Abdoulaye Bathily, que la situation est totalement bloquée ?

    Kader Abderrahim :Elle l'était avant la nomination d’Abdoulaye Bathily, puisque après la démission de son prédécesseur, Jan Kubis, il a fallu plusieurs mois afin que l'ONU et les pays rivaux se mettent d'accord sur un nouvel émissaire. Donc la situation de blocage préexistait. Et, aujourd'hui, je dirais qu’elle n’est pas pire, ni meilleure, d'ailleurs. C'est cela qui est inquiétant, parce que je crois qu'il faudra encore plusieurs mois pour nommer un successeur à Abdoulaye Bathily, compte tenu des intérêts contradictoires : d'abord des Libyens, mais également des pays qui s'ingèrent dans cette situation et dans ce chaos libyen. 

    On remarque que le seul envoyé spécial africain (sur neuf), Abdoulaye Bathily, n'a pas été aidé par les démocraties occidentales. Pourquoi, à votre avis ?

    Encore une fois, c'est parce que je crois qu'il y a des intérêts contradictoires et que, dans le fond, notamment pour les pays qui ont participé à la guerre en 2011. Pour la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis, via l'Otan - ce qui était une manière de contourner aussi le Conseil de sécurité, mais surtout l'Union africaine -, leurs intérêts sont contradictoires. Mais, également, ils considèrent que le statu quo, dans la mesure où le conflit ne déborde pas des frontières libyennes, leur convient parfaitement. Alors c'est à géométrie variable, parce que parfois le conflit déborde, et notamment sur la question migratoire qui est un enjeu extrêmement important pour la politique intérieure des États européens. Rien n'a été fait effectivement pour soutenir la démarche d'Abdoulaye Bathily, qui a eu beaucoup de mal et qui, dans la conférence de presse qu'il a faite pour annoncer sa démission, a aussi exprimé sa grande déception à l'égard du multilatéralisme.

    Que signifie alors ce nouvel échec pour l'ONU en Libye ? 

    C'est la preuve que, dans le fond, lorsque les grandes puissances ne trouvent pas de terrain de convergence, de compromis, les conflits s'enlisent. Et on préfère un conflit gelé - c'est le cas en Libye -, à un conflit ouvert, qui nécessiterait évidemment des mesures plus énergiques : on l'a vu récemment entre l’Israël et l'Iran, on le voit à propos de l'Ukraine. Il semblerait que le conflit en Libye, qui n’est aujourd’hui pas seulement politique, mais qui est aussi un sujet de défense et de sécurité, puisse être contenu dans les frontières libyennes. Et tant qu'il ne déborde pas, finalement, les Européens et les Américains considèrent que leurs intérêts sont épargnés et que, dans le fond, ils peuvent se satisfaire d'une situation qu'ils ont eux-mêmes créée avec la guerre en Libye en 2011.

    Quels sont les scénarios à venir pour ce pays ? Les États-Unis, via la numéro deux de la Manul, vont-ils prendre les manettes de ce dossier ? Et quelles implications cela suppose ? 

    D'abord, ça permet aux États-Unis de garder la main sur le dossier. Et, deuxièmement, encore une fois, cela permettra aux Américains de dicter ou d’orienter globalement les propositions que pourrait faire la successeure. Ceci étant, il y a aussi d'autres enjeux puisque, à travers les États-Unis, ceux qui agissent en seconde main, ce sont notamment les pays du Golfe, avec les Émirats arabes unis, avec l'Égypte, qui ont des intérêts stratégiques importants. C'est un pays frontalier de la Libye et que les alliés des Américains seront sans doute confortés par cette nomination à venir. Évidemment, il faut qu'elle soit confirmée. 

    Mon, 22 Apr 2024
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