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- 939 - Au Niger, «les États-Unis préservent mieux l'avenir que d'autres partenaires»
Au Niger, cela fait neuf mois, ce vendredi 26 avril, que le putsch a eu lieu et que le président Mohamed Bazoum est séquestré, avec son épouse, par les militaires qui l'ont renversé. Le fait marquant de ces dernières semaines, c'est le tournant anti-américain et pro-russe qu'ont pris les militaires du CNSP à Niamey. Est-ce à dire que les Américains ont perdu la partie au Niger ? « Ce n'est pas si simple», répond Jean-Hervé Jézéquel, qui est directeur du projet Sahel à l'International Crisis Group.
RFI : Neuf mois après, est-ce qu’on y voit plus clair ? Est-ce que l’ancien président Mahamadou Issoufou a joué un rôle dans ce putsch ?
Jean-Hervé Jézéquel : Alors, il y a eu beaucoup de rumeurs sur le rôle de l’ancien président Issoufou, du fait de sa proximité notamment avec le général Tiani qui était le chef de sa garde. Je n’ai vu aucun élément probant sur son implication… Et pour tout dire, je trouvais curieux qu’un président, qui s’est si longtemps méfié de ses propres forces de sécurité, leur confie aujourd’hui son avenir, au risque de ruiner un petit peu son héritage et notamment le parti politique qu’il a construit sur plus de quatre décennies et qui aujourd’hui est complètement déchiré. Par contre, ce qui est troublant, c’est la proximité qu’il affiche aujourd’hui avec une partie du CNSP [la junte au pouvoir au Niger]. Alors le président Issoufou a voulu jouer les médiateurs dans les jours qui ont suivi le coup d’Etat, il semble aujourd’hui se ranger à la raison du plus fort, et cela n’aide peut-être pas à construire une transition qui assurerait un meilleur équilibre entre civils et militaires. Aujourd’hui, l’essentiel du pouvoir d’Etat est aux mains des hommes en uniforme et, dans un tel système, un démocrate n’a pas beaucoup d’avenir.
Pourquoi les pays de la sous-région de la Cédéao, ont renoncé à leur plan militaire contre la junte ?
Bon, la Cédéao n’en avait pas les moyens militaires d’une part, et puis, d’autre part, les opinions ouest-africaines n’y étaient pas favorables. Mais je crois que les pays de la Cédéao ont très vite compris qu’une telle intervention était non seulement hasardeuse, mais aurait pu aussi se retourner contre ses initiateurs. Au fond, je pense que la Cédéao a haussé le ton trop brutalement, trop vite, a un peu confondue vitesse et précipitation. Une fois le coup consommé, il n’y avait plus retour en arrière possible. Ce sur quoi il aurait fallu se concentrer à ce moment-là, mais c’est sûr que c’est facile de le dire aujourd’hui, c’est plutôt sur la forme de la transition. Négocier peut-être un meilleur équilibre entre civils et militaires, assurer une meilleure participation des forces politiques et de la société civile. Au Mali, lors de la première transition, en août-septembre 2020, la Cédéao avait plutôt su bien négocier… Là, en 2023, elle s’est avérée beaucoup moins efficace.
Est-ce que les Américains ont joué un rôle dans la décision des pays de la Cédéao de renoncer à toute intervention militaire ?
Les Etats-Unis n’ont soutenu au fond que du bout des lèvres l’action de la Cédéao, il était clair qu’ils ne croyaient pas non plus à la possibilité d’une intervention, passés les premiers jours, en tout cas pas d’une intervention réussie, et donc ils se sont engagés dans une approche accommodante à l’égard du CNSP, des nouvelles autorités, essayant, au fond, de préserver des relations, et puis de préserver aussi leurs bases. Au départ, ce n’était pas nécessairement un pari idiot, mais il est évident qu’il n’a pas fonctionné. Donc les Etats-Unis sont quand même rentrés en tension avec le CNSP, d’abord autour de son rapprochement avec des acteurs comme l’Iran et la Russie, et puis aussi du fait du refus du CNSP de fixer un calendrier de sortie de transition sous pression. Et donc cela a fini à conduire à l’impasse actuelle… Aussi, je pense qu’il semblerait que le CNSP est resté très méfiant à l’encontre de certains de ses voisins de la sous-région, et aussi de la France. Il soupçonne ces acteurs de vouloir soutenir des actions de déstabilisation, et donc, face à cette menace réelle ou pas, le CNSP a plus confiance dans l’allié russe que dans l’allié américain. Pour autant, on ne peut pas dire que les Etats-Unis ont été chassés du pays, ils maintiennent une présence, non-militaire. Ils maintiennent une présence à travers des programmes de développement et d’aide humanitaire, ils ont toujours un ambassadeur, présent à Niamey, ils réussissent à éviter une sorte de politique des blocs qui voudrait qu’on retourne à une forme de politique de la guerre froide où un pays est soit votre allié, soit votre adversaire. Et je trouve qu’en faisant cela, même si, à court terme, les Etats-Unis n’ont pas réussi dans la stratégie d’accommodement, ils préservent mieux l’avenir que d’autres partenaires.
Voilà neuf mois que le président Mohamed Bazoum refuse de signer sa destitution et paye ce courage de la prison dans laquelle il est enfermé avec son épouse… Est-ce qu’il n’y a plus aujourd’hui aucun espoir de libération pour lui ?
On espère que si. Son bilan était de loin le plus intéressant dans la région sur les quinze dernières années. Il refuse de démissionner sans doute parce que c’est un reflet de son parcours de démocrate, de démocrate convaincu, mais c’est aussi cela qui le maintien en détention jusqu’à aujourd’hui.
Et quel intérêt pour les militaires de vouloir le juger comme ils en montrent l’intention ?
Peut-être aussi, il s’agit de trouver un nouveau bouc émissaire. Ce qu’on peut surtout noter, c’est que pour l’instant le CNSP n’a pas véritablement mis en place un programme de transition, et qu’en dehors des choix dans le domaine sécuritaire, il n’a pas véritablement mis en place des signes de rupture positive pour le pays.
Est-ce qu’une solution négociée est encore possible pour la libération de président Bazoum, peut-être avec une médiation internationale ?
Oui peut-être. Beaucoup l’ont tenté ces derniers mois, on a vu plusieurs puissances, plusieurs pays de la sous-région essayer de jouer les médiateurs, jusque-là sans succès. Voilà, on espère qu’ils vont continuer, et qu’ils obtiendront une libération du président Bazoum, qui ne mérite pas à l’évidence le sort qui est le sien aujourd’hui.
Fri, 26 Apr 2024 - 938 - Pedro Pires: la lutte armée en Guinée fut «un des facteurs de changement du régime au Portugal»
C’était il y a 50 ans, jour pour jour. Le 25 avril 1974, de jeunes capitaines se sont soulevés au Portugal, ont fait tomber la dictature et ont ouvert la voie à l’indépendance des dernières colonies africaines. Du coup, aujourd’hui, plusieurs chefs d’État africains sont à Lisbonne pour célébrer cet anniversaire avec les Portugais. Leur présence est d’autant plus justifiée que ce sont les indépendantistes africains de l’époque qui ont fait chuter le régime dictatorial et colonialiste de Lisbonne. Pedro Pires a été successivement un commandant militaire du PAIGC d’Amilcar Cabral, puis le président du Cap-Vert.
RFI : Est-ce que la chute de la dictature portugaise aurait eu lieu sans le combat du PAIGC pour l’indépendance du Cap-Vert et de la Guinée-Bissau ?
Pedro Pires : Je crois que ce combat et la lutte dirigée par le PAIGC ont eu un rôle très important dans la création des conditions de la chute du régime installé au Portugal. Tenant compte qu’en 1973, nous avons eu des victoires militaires très importantes et, en même temps, nous avons eu des victoires politiques, diplomatiques très importantes. Le régime colonial au Portugal était dépassé, isolé. Le pays était en crise politique et militaire, les guerres coloniales ont eu un effet très pervers dans l’économie et, de mon point de vue, le pays n’était pas dans des conditions pour continuer la guerre. Il y avait des risques d’effondrement de l’armée coloniale. Mais on ne peut pas dire que les mouvements de libération étaient les seuls responsables de la chute du régime, car, en même temps, au Portugal, il y a eu des résistances contre la guerre coloniale, contre le régime. Mais, en effet, les luttes armées de libération nationale ont été le facteur le plus important pour la chute et le changement de régime au Portugal.
C’est-à-dire que les jeunes Portugais ne voulaient plus faire un service militaire de quatre ans, au risque de mourir en Guinée-Bissau ?
Pas seulement en Guinée-Bissau ! Ce qui s’est passé, c’est que la jeunesse portugaise n’était pas tellement engagée dans cette guerre. Il y avait des fuites des jeunes vers les autres pays d’Europe, il y avait des désertions importantes… Mais le facteur le plus important dans la chute du régime, c’était, en effet, la résistance et les combats des mouvements de libération et, particulièrement, du PAIGC. C’est vrai que, en Guinée, c’est là où le mouvement de libération dirigé par Amilcar Cabral a eu les plus grands succès qui ont provoqué les plus grandes déroutes pour l’armée portugaise. Donc, le PAIGC a eu un rôle très important pour le changement de régime au Portugal.
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Ce combat pour l’indépendance, monsieur le président, il débute dès les années 1960. L’armée portugaise s’accroche au terrain et lance même un raid sur Conakry, la base arrière du PAIGC en novembre 1970. Cette opération Mar Verde, est-ce qu’elle a servi la cause du Portugal ou, au contraire, celle du Guinéen Sekou Touré et du Bissau-Guinéen Amilcar Cabral ?
De mon point de vue, cette opération a démontré que le régime voulait trouver la solution à l’extérieur, avec cette invasion à Conakry, pour gagner la guerre qu’il avait déjà perdue à l’intérieur du pays. Ils voulaient essayer de trouver une victoire à l’extérieur quand la victoire à l’intérieur était impossible. C’est le signe du désespoir de l’armée portugaise, de la direction militaire et politique du Portugal. À la fin, le régime portugais était le perdant parce qu’il était plus isolé que jamais. Il y a eu une mobilisation internationale d’appuis, surtout africains, à la République de Guinée et au PAIGC.
Le chef des opérations militaires du Portugal en Guinée-Bissau, c’était le général Spinola. C’était un homme intraitable sur le terrain, mais c’était en même temps un homme politique intelligent qui a publié, deux mois avant la Révolution portugaise, un livre prémonitoire sur la nécessité d’ouvrir un dialogue politique avec vous, les maquisards indépendantistes. Est-ce qu’à l’époque, vous l’aviez rencontré secrètement ?
Non, le général Spinola, c’était un officier vedette qui se présentait comme victorieux, comme capable de vaincre le PAIGC, qui vendait son image politique, son image militaire… Qui, en effet, a changé la stratégie militaire en Guinée, qui a modernisé l’armée coloniale, c’est vrai, qui a fait une politique pour les populations, pour acheter les consciences des populations. Et qui avait essayé d’imiter ce que faisait le PAIGC. Donc, de mon point de vue, ce n’était pas un grand chef de guerre, mais il faisait sa promotion à l’intérieur du pays et à l’extérieur du pays. Et, en même temps, il a perdu la guerre en Guinée. Parce que nous, l’armée du PAIGC, nous avons eu des victoires très importantes sur l’armée portugaise à plusieurs reprises. Et il a lui-même reconnu dans une publication du 15 mai 1973 que l’armée portugaise n’était pas dans la condition d’affronter le PAIGC et que le PAIGC avait acquis des armes très puissantes, qui pouvaient mettre en cause la continuation de la guerre coloniale. En ce qui concerne l’aspect politique, la solution Spinola, c’était une espèce de fédération – ou quelque chose de pareil – mais qui ne prenait pas en compte ce que nous avions déjà fait. Parce que, nous-mêmes, nous avions déjà proclamé la République de Guinée-Bissau le 4 septembre 1973 ! Il a essayé de trouver une solution politique pour un cas perdu en présentant une solution néocoloniale. C’était peut-être très important pour la société portugaise, mais pour nous, cela n’avait aucune importance.
50 ans après les indépendances, le Cap-Vert est une vraie démocratie qui a connu plusieurs alternances, alors que la Guinée-Bissau est un pays très instable, qui a déjà connu quatre coups d’État meurtriers et 17 tentatives de putschs. Comment expliquez-vous que ces deux pays, qui étaient liés de façon aussi forte par le PAIGC d’Amilcar Cabral, connaissent aujourd’hui deux destins aussi différents ?
Nous, au Cap-Vert, on a essayé de mettre sur pied les vraies institutions crédibles, solides d’un État de droit, c’est le point de départ, avec la participation des citoyens. La différence, peut-être, c’est celle-ci. On a essayé et on a mis sur pied un État de droit où les gens, chacun a la parole.
Mais un mot, tout de même, sur la Guinée-Bissau : c’est le seul pays d’Afrique de l’Ouest qui a conquis son indépendance par la lutte armée. Est-ce que ce n’est pas la raison, au fond, pour laquelle les militaires, à commencer par le général Ansoumane Mané, il y a 25 ans, ont occupé et occupent toujours une telle place dans la politique de ce pays ?
La lutte armée en Guinée, il faut le reconnaître, vous-même, vous avez dit que c’était un facteur du changement de régime au Portugal. C’est vrai. La lutte armée en Guinée était victorieuse et héroïque. La question qui se pose, c’est la gestion après tout cela. Les changements qu’il fallait faire… Peut-être, je dis bien « peut-être », les dirigeants n’étaient pas tellement préparés pour voir quel serait le chemin à suivre, quelles seraient les réformes politiques et sociales à faire. Mais, vraiment, du point de vue des pays où les indépendances ont été acquises par la lutte armée, les armées ont eu un rôle très important. Et le problème, je crois que cela se maintient, c’est le danger de la nature du régime. C’est-à-dire, passer d’un régime avec certaines caractéristiques militaires où les armées jouent un rôle ou pas, en ce qu’elles sont les gardiens de l’indépendance du pays. Mais changer cela de telle nature que, au lieu de l’armée qui commande, c’est le peuple qui commande, c’est très difficile. Regardez un peu partout !
Thu, 25 Apr 2024 - 937 - Charles Michel (UE): «Les investisseurs et les businessmen espèrent de la stabilité en tous points»
Le président du Conseil européen, Charles Michel, est en tournée en Afrique de l’Ouest. Après le Sénégal où il a rencontré le nouveau président élu, Bassirou Diomaye Faye lundi soir, Charles Michel est ce mercredi en Côté d’Ivoire avant de se rendre demain au Bénin. Une tournée placée sous le signe de la relance de la coopération économique mais aussi sécuritaire.
Wed, 24 Apr 2024 - 936 - Biennale: Romuald Hazoumé place le féminisme béninois au cœur de Venise
Pour sa première participation à la Biennale de Venise, le Bénin a choisi le célèbre plasticien Romuald Hazoumé. À la 60ème édition de l’évènement sur l’art contemporain, l’artiste descendant de la royauté yoruba y présente une installation monumentale composée de plus de 500 de ses fameux masques-bidons, appelée « Ashé » qui signifie le pouvoir.
RFI: Le Bénin, hisse pour la première fois son drapeau à la Biennale de Venise. Le jour de gloire est arrivé ?
Romuald Hazoumé : Je ne crois pas, parce que si on dit que le jour de gloire est arrivé, ça veut dire qu'on est arrivé. Mais personne n'est arrivé, parce que nous, les artistes, on cherche à faire mieux chaque fois. Parce que là, après Venise, beaucoup de gens vont nous attendre, encore, ils nous connaissent déjà, mais la peur, c'est d'arriver à faire mieux ou, au moins, d'arriver au niveau où on est là, maintenant.
Que ressentez-vous, quand même ?
Une satisfaction d'être là, mais en même temps, j'ai beaucoup d’appréhension par rapport au monde qu'il y a. Il y a une grande sollicitation, donc ça me gêne un peu.
Fier, non ?
Oui, parce que c'est le côté qui manquait à ma biographie. C’est-à-dire que, le fait d'être à la Biennale de Venise, tout le monde sait que c'est une décision politique : c'est un pays qui prend un pavillon et qui décide qui y va. Et là, ça s’est fait.
Le pavillon béninois défend « Tout ce qui est fragile et précieux ». Éclairez-nous ?
Oui, tout ce qui est fragile et précieux, c'est-à-dire que nous avons oublié d'où nous venons. Nous avons oublié notre culture, qui est une culture bien ancrée, bien pure, bien forte, mais qui reste fragile, parce qu'elle va totalement disparaître – ça veut dire que nous allons disparaître aussi. Et cette culture-là est gérée par la femme, parce que quand on va en profondeur dans le thème, la spiritualité est protégée par les femmes. Ce sont les femmes qui sont les gardiennes du vaudou. C'est pour ça que le culte Guélédé est géré en l'occurrence par ces ashés, des femmes qui ont le pouvoir. Donc ma pièce s'appelle « Ashé » pour cette raison-là.
Ensuite, quand on prend les Amazones, ce sont des femmes, et la première qui a créé le corps des Amazones, c'est la Tassi Hangbé, qui a été l'une des reines du royaume du Dahomey. Donc c'est pour cette raison-là que, dans la pièce, je fais diffuser des panégyriques de la Tassi Hangbé, de quelques femmes célèbres, comme la Gnon Kogui du royaume de Nikki.
De l'autre côté, il y a 520 visages de personnalités béninoises. Chaque individu qui est dans cette installation devient une personnalité, parce que chacun porte ou une couleur ou un signe ostentatoire qui donne son appartenance à une culture donnée, à cette culture que nous tous fuyons, mais qu'on ne fuit pas : on reste hypocrites dessus, parce qu'on est des catholiques tropicaux, on est des musulmans tropicaux. Mais le soir, on sait où on se retrouve tous. Donc, en rentrant dans cette pièce, on salue déjà nos morts sur lesquels on passe, parce qu’ils sont enterrés là. Et, en relevant la tête, il y a plein d'étoiles dans le ciel qu'on regarde, ce sont aussi nos saints qui sont là-haut et qui veillent sur nous. Mais, quand on arrive juste au centre de la pièce, tous les masques nous regardent, c'est-à-dire que l'individu devient le centre du monde, c'est-à-dire qu'on ne pense pas à l'IA, on ne pense pas à sa voiture, on ne pense pas aux vêtements qu'on porte, on ne pense à rien du tout. Tout le monde te regarde : c'est toi, l'humain, qui est important. Et cet humain-là, c'est la femme.
Des thèmes que vous défendez depuis plus de 20 ans déjà, alors que personne ne croyait à l'existence même d’un art contemporain venant du Bénin ?
Oui, le Bénin a une particularité : quand on voit les gouvernements successifs qui l’ont dirigé, il y a eu le gouvernement de Mathieu Kérékou, où c'étaient plutôt des cathos, cathos, cathos... Des cathos tropicaux surtout, et qui ont complètement perdu le Nord. C'est-à-dire qu’on pense à notre culture, mais il faut l'effacer. Il faut aller prier dans l'Église parce qu'on s'appelle Mathieu ou Pierre… Et quand on revoit l'autre gouvernement qui a suivi, ce sont des évangélistes tropicaux aussi. Et quand on voit le gouvernement [du président Patrice] Talon aujourd'hui, qui redonne de la valeur à notre culture, parce que c'est la seule chose que nous ayons à partager – parce qu'on n'a pas de pétrole, on n'a pas d'or –, ça nous remet les pieds sur terre, ça nous remontre qui nous sommes.
Et je peux vous assurer que les pièces qui ont été rendues par la France, c'est vraiment une revalorisation de notre culture. Nous regardons moins l'Occident et ça nous apporte énormément, comme, depuis 20 ans, ça m'apporte beaucoup.
Romuald Hazoumé, justement, créer pour recréer un monde auquel on a volé ses racines ?
Non, la finalité n'est pas de revendiquer vraiment quelque chose ou de dénoncer quelque chose. La finalité, c'est que je me sente bien avec ce que moi, je fais. Voilà.
Quelle est la seule vérité qui compte à vos yeux d'artiste et d'homme libre ?
C'est de ne pas se mentir à soi-même !
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Tue, 23 Apr 2024 - 935 - En Libye: «Sans pression extérieure, il n’y aura pas de solution politique à moyen terme»
La démission, mardi 16 avril, d'Abdoulaye Bathily, qui était à la tête de la Mission des Nations unies en Libye (Manul) remet en lumière un conflit qui dure depuis 2011, mais qui est presque tombé dans l'oubli. Avec la dégradation de la situation internationale et la multiplication des conflits, la Libye n'est plus la principale préoccupation de la communauté internationale. Cette démission - qui n'est pas la première à ce poste - révèle l'aspect quasiment inextricable de cette mission de l'ONU, confrontée aux divisions internationales et internes qui prédominent en Libye, comme l'affirme Kader Abderrahim, chercheur et auteur du recueil Géopolitique de la Libye, édité en mars chez Bibliomonde. Il répond aux questions d'Houda Ibrahim.
RFI : Peut-on considérer aujourd'hui, après la démission d’Abdoulaye Bathily, que la situation est totalement bloquée ?
Kader Abderrahim :Elle l'était avant la nomination d’Abdoulaye Bathily, puisque après la démission de son prédécesseur, Jan Kubis, il a fallu plusieurs mois afin que l'ONU et les pays rivaux se mettent d'accord sur un nouvel émissaire. Donc la situation de blocage préexistait. Et, aujourd'hui, je dirais qu’elle n’est pas pire, ni meilleure, d'ailleurs. C'est cela qui est inquiétant, parce que je crois qu'il faudra encore plusieurs mois pour nommer un successeur à Abdoulaye Bathily, compte tenu des intérêts contradictoires : d'abord des Libyens, mais également des pays qui s'ingèrent dans cette situation et dans ce chaos libyen.
On remarque que le seul envoyé spécial africain (sur neuf), Abdoulaye Bathily, n'a pas été aidé par les démocraties occidentales. Pourquoi, à votre avis ?
Encore une fois, c'est parce que je crois qu'il y a des intérêts contradictoires et que, dans le fond, notamment pour les pays qui ont participé à la guerre en 2011. Pour la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis, via l'Otan - ce qui était une manière de contourner aussi le Conseil de sécurité, mais surtout l'Union africaine -, leurs intérêts sont contradictoires. Mais, également, ils considèrent que le statu quo, dans la mesure où le conflit ne déborde pas des frontières libyennes, leur convient parfaitement. Alors c'est à géométrie variable, parce que parfois le conflit déborde, et notamment sur la question migratoire qui est un enjeu extrêmement important pour la politique intérieure des États européens. Rien n'a été fait effectivement pour soutenir la démarche d'Abdoulaye Bathily, qui a eu beaucoup de mal et qui, dans la conférence de presse qu'il a faite pour annoncer sa démission, a aussi exprimé sa grande déception à l'égard du multilatéralisme.
Que signifie alors ce nouvel échec pour l'ONU en Libye ?
C'est la preuve que, dans le fond, lorsque les grandes puissances ne trouvent pas de terrain de convergence, de compromis, les conflits s'enlisent. Et on préfère un conflit gelé - c'est le cas en Libye -, à un conflit ouvert, qui nécessiterait évidemment des mesures plus énergiques : on l'a vu récemment entre l’Israël et l'Iran, on le voit à propos de l'Ukraine. Il semblerait que le conflit en Libye, qui n’est aujourd’hui pas seulement politique, mais qui est aussi un sujet de défense et de sécurité, puisse être contenu dans les frontières libyennes. Et tant qu'il ne déborde pas, finalement, les Européens et les Américains considèrent que leurs intérêts sont épargnés et que, dans le fond, ils peuvent se satisfaire d'une situation qu'ils ont eux-mêmes créée avec la guerre en Libye en 2011.
Quels sont les scénarios à venir pour ce pays ? Les États-Unis, via la numéro deux de la Manul, vont-ils prendre les manettes de ce dossier ? Et quelles implications cela suppose ?
D'abord, ça permet aux États-Unis de garder la main sur le dossier. Et, deuxièmement, encore une fois, cela permettra aux Américains de dicter ou d’orienter globalement les propositions que pourrait faire la successeure. Ceci étant, il y a aussi d'autres enjeux puisque, à travers les États-Unis, ceux qui agissent en seconde main, ce sont notamment les pays du Golfe, avec les Émirats arabes unis, avec l'Égypte, qui ont des intérêts stratégiques importants. C'est un pays frontalier de la Libye et que les alliés des Américains seront sans doute confortés par cette nomination à venir. Évidemment, il faut qu'elle soit confirmée.
Mon, 22 Apr 2024 - 934 - Présidentielle au Tchad: «Si je suis élu, je n’exercerai qu’un seul mandat», affirme l’opposant Pahimi Padacké
Le 6 mai prochain, les Tchadiens vont élire leur président pour cinq ans. Après les interviews sur RFI et France 24 du président-candidat Mahamat Idriss Déby et du Premier ministre-candidat Succès Masra, voici celle de l’opposant Albert Pahimi Padacké, qui est arrivé officiellement deuxième à la présidentielle d’avril 2021 et qui dirige le parti RNDT Le Réveil. Sa stratégie ? Essayer de se distinguer du président et du Premier ministre, qui, à ses yeux, ont conclu « un arrangement » et ne se livrent qu’un « match amical ». Il a accordé cette interview à Ndjamena à nos envoyés spéciaux Christophe Boisbouvier, de RFI, et Marc Perelman, de France 24.
RFI/France24 : C'est donc votre quatrième candidature. Les fois précédentes, vous avez crié à la fraude. Cette élection est organisée par le régime du nouveau président de Transition. Pensez-vous que, cette fois, le scrutin sera bel et bien transparent ?
Albert Pahimi Padacké : Il serait trop tôt de dire que nous croyons à la transparence de cette élection. Malheureusement, nous avons eu le référendum [constitutionnel du 17 décembre 2023] qui a montré que nous ne sommes pas sur la voie de la transparence électorale, puisque le peuple a boycotté. Les résultats ont été en décalage avec les résultats des bureaux de vote. Là, nous allons à une présidentielle avec une nouvelle constitution, quelles que fussent les conditions de son adoption. Avec l'Ange – l'administration électorale mise en place par le pouvoir – nous constatons qu'il y a monopole d'un camp, d'un parti : celui du candidat-président de la Transition. Les autres partis, avec lesquels nous sommes aujourd'hui en compétition, sont exclus de toute l'administration électorale. Donc, nous ne pouvons pas gager sur la transparence de cette élection, dans laquelle nous sommes engagés. Et dans son organisation, nous en sommes exclus.
Pour cette élection du 6 mai, beaucoup annoncent un duel entre le président-candidat Mahamat Idriss Déby et le Premier ministre-candidat Succès Marsa, parce qu’ils disposent tous les deux des facilités et des réseaux qui sont liés à leurs fonctions. Alors, Albert Pahimi Padacké, ne craignez-vous pas de ne jouer qu'un rôle de figurant ?
Il y a deux choses. Ceux qui pensent que ce serait un duel, je leur dirais plutôt que c'est un match amical entre le président et son Premier ministre, parce qu'aucun Tchadien ne croit que le Premier ministre est véritablement candidat face au président. C'est inimaginable. Pourquoi ? Nous savons que ce système fait que, si vous exprimez une opinion contraire à ce que veut le pouvoir, vous êtes pourchassé, vos collaborateurs chassés de l'administration publique et c'est le cas du RNDT-Le Réveil. Lorsque nous avions décidé de boycotter un référendum mal organisé, nos camarades, nos militants ont été chassés de l'administration du territoire, même en pleine campagne. Personne ne peut croire qu'un Premier ministre soit candidat face au président en exercice et qu'il reste en poste, même dans les grandes démocraties, chez vous.
C'est dans le cadre de la cohabitation que Mitterrand et Chirac ont pu aller en compétition ensemble [en France, en 1988]. Mais sur ce cas de figure, c'est parce que le Premier ministre n'était pas le choix du président, il était imposé par l'Assemblée nationale. Ici, il ne peut pas y avoir un duel entre les deux. C'est un arrangement, un match amical. Et la deuxième chose, c’est que nous, nous ne jouons pas les figurants dans cette élection. Nous connaissons l'état d'esprit de notre peuple : la population tchadienne a besoin de changement. Elle vit aujourd'hui une vie de misère. Pour la première fois depuis des décennies, le Tchad ne produit que 30 mégawatts d'électricité et on vient de finir un ramadan sans électricité. Le peuple tchadien en a marre et donc nous sommes en harmonie avec les attentes de notre peuple.
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Vous venez d'évoquer, donc, ce qui semble être les contours d'un accord secret entre le président de Transition et son Premier ministre. En êtes-vous sûr et pensez-vous que cet accord signifie qu’une fois l'élection passée, cet attelage va rester en place ?
Je ne peux pas vous parler avec certitude. J'ai des appréhensions, les appréhensions qui sont celles du peuple tchadien. Appréhensions portant sur les dessous de l'accord de Kinshasa [accord signé le 31 octobre 2023 entre le gouvernement tchadien et le parti Les Transformateurs]. Nous savons très bien d'où les choses sont parties. Des jeunes ont été massacrés [le 20 octobre 2022] au nombre de 300, aux dires même du président des Transformateurs. Aujourd'hui, on revient, on ne parle plus de ces enfants tués. On est nommé Premier ministre et on est candidat – sans démissionner – et le président et le Premier ministre sont d'accord pour continuer. Les appréhensions sont sérieuses, les suspicions sont fortes. Il y a une entente entre le président et son Premier ministre. L'un est candidat, certainement pour garder son poste de président, l'autre est candidat pour garder son poste de Premier ministre. C'est un match amical.
Venons-en aux questions régionales. Le régime soudanais a accusé devant les Nations unies le Tchad d'avoir pris fait et cause pour le général Hemetti – chef des Forces de soutien rapide (FSR) – en les armant. Même si Ndjamena a nié, pensez-vous que c'est une erreur d’avoir choisi un des camps dans cette guerre civile qui dure depuis maintenant un an ?
Si le gouvernement tchadien a pris fait et cause pour un des belligérants au Soudan, je considère cela comme une erreur grave. Nous n'avons pas besoin de nous mêler de ce qui se passe au Soudan, sauf si nous avons la possibilité d'aider ces frères à se mettre ensemble et se réconcilier. Mais nous n'avons pas intérêt, en tant que peuple tchadien, de prendre parti dans un conflit interne au Soudan.
Le gouvernement a-t-il pris parti ?
Je n'ai pas la confirmation, je dis simplement que le Tchad n'a pas intérêt à prendre parti dans cette guerre.
En janvier dernier, le président Mahamat Idriss Déby est allé voir son homologue russe Vladimir Poutine à Moscou et a dit que le Tchad était un « pays frère » de la Russie. Le pensez-vous tenté par un changement d'alliance militaire au profit de la Russie ? Et si vous étiez élu, envisageriez-vous la même option ?
Si nous sommes élus, nous travaillerons avec nos partenaires traditionnels, sans renier la possibilité de nous ouvrir à d'autres partenaires, dans l'intérêt de notre peuple. Nous avons besoin de développer notre pays et, pour le développer, nous avons besoin des ressources extérieures. Dans ce cadre-là, je pense qu'il faut nouer des relations avec tous les pays. Mais ces relations doivent se développer dans l'intérêt de notre peuple. Et parmi les intérêts de notre peuple, il y a la démocratie. Nous avons besoin des pays qui vont nous aider, également, dans la construction démocratique de notre pays, pour éviter de retomber dans ce cycle infernal de guerre que nous avons connu.
De façon très concrète, il y a environ 1 000 soldats français et trois bases militaires françaises sur le sol tchadien. Est-ce que ça veut dire moins de soldats et moins de bases, si vous êtes élu ?
Cette question, telle que les politiques la posent, que ce soit en Afrique comme en France, je pense que c'est en décalage total avec la réalité. Pour nous, la question des rapports avec la France n'est pas une question de base militaire. Ce n'est pas le sujet. Le sujet est que, depuis 60 ans, les populations africaines sont en décalage d'intérêt avec leurs gouvernants, lesquels gouvernants sont vus par les populations comme étant soutenus par l'Élysée. Ce qu'il faut donc faire, c'est de ramener la coopération entre la France et l'Afrique dans l'intérêt des populations. Il faut que les politiques français cessent de miser sur des personnes, mais sur le peuple.
Albert Pahimi Padacké, vous avez bien connu Mahamat Idriss Déby à son arrivée au pouvoir il y a trois ans, puisque vous étiez son Premier ministre. À l'époque, il avait promis qu'il ne se présenterait pas et finalement, il a fait le contraire. Aujourd'hui, il promet la démocratie. Craignez-vous qu'il veuille mettre en place une nouvelle dynastie sur le continent ?
Je ne sais pas. D'abord, je ne suis pas de ceux qui pensent, honnêtement, que c'est parce qu'il serait le fils du Maréchal [Idriss Déby Itno], qu’il porte le patronyme Déby qu'il ne devrait pas être candidat. Je ne raisonne pas comme ça. Pour moi, il peut être candidat, pourvu que les conditions d'élections soient les conditions les plus transparentes, mettant à égalité tous les candidats. Dans ces conditions, je me sens capable de le battre. Est-ce qu'il amènera la démocratie ? Je suis candidat, justement, pour restaurer la démocratie dans mon pays, parce que je considère aujourd’hui que le président-candidat Mahamat Idriss Déby est une menace pour la démocratie, au vu de la qualité du référendum que nous avons connu, au vu de l'organisation de l'actuelle présidentielle.
C'est pour ça que j'annonce : un, dans mon programme, pour habituer le Tchad à la passation pacifique du pouvoir, je n'exercerai qu'un seul mandat pour organiser le retour au jeu démocratique réel. Deux, je remettrai en jeu la Constitution actuelle, qui est mal adoptée, et je soumettrai la question de la forme de l'État à un référendum, avec un projet sur la forme fédérale et un projet sur la forme unitaire, pour que le peuple puisse décider. Trois, je dissoudrai l'administration électorale actuelle – qui est inique, l'Ange – pour mettre en place une administration électorale équitable. Le Code électoral sera révisé totalement pour y remettre les conditions de transparence. En tout cas, toute l'architecture juridique et institutionnelle permettra d'organiser des élections transparentes, libres et inclusives dans notre pays et d’éviter le retour aux cycles de violences.
Fri, 19 Apr 2024 - 933 - Afrique: «Evgueni Prigojine meurt, l’intérêt Wagner demeure»
Nos invités sont nos confrères Benjamin Roger et Mathieu Olivier. Les journalistes de Jeune Afrique sont spécialistes du continent et viennent de publier aux éditions Les Arènes : Wagner, l'histoire secrète des mercenaires de Poutine. Une plongée en investigation sur les ramifications africaines d'un système de mercenaires de mieux en mieux établis sur le continent.
RFI : On vous reçoit aujourd'hui pour parler d'une bande dessinée que vous venez de faire paraître avec votre camarade de dessin, qui s'appelle Thierry Chavant. Le titre, c'est Wagner, l'histoire secrète des mercenaires de Poutine. C'est ce dont on va parler, bien sûr. Mais tout d'abord, expliquez-nous pourquoi vous avez choisi le support de la bande dessinée, c'était pour rendre les choses plus pédagogiques, plus accessibles ?
Mathieu Olivier : Oui, il y a un intérêt à toucher un public qui est plus grand sur des affaires africaines, qui n’attirent pas forcément beaucoup le regard à la base. Donc, nous, étant journalistes à Jeune Afrique, on a l'habitude de s'adresser à des spécialistes. Là, c'était l'occasion de parler de la Centrafrique, du Cameroun, du Mali à un public beaucoup plus large. Et puis, nous, on est des lecteurs de bande dessinée et de bande dessinée d'investigation. Donc ça, ça nous a paru assez vite, très logique.
Donc, le groupe Wagner a une histoire pas si secrète que ça, puisque vous en parlez régulièrement dans les pages de Jeune Afrique, bien sûr. Et vous établissez une chronologie de l'évolution du groupe, d'abord, évidemment, en Ukraine et en Europe, mais surtout très rapidement en Afrique. La première expérience en Afrique, c'était où ?
M.O. : La première grosse expérience, c'est au Soudan et surtout en Centrafrique, ensuite. C'est pour ça qu'on a appelé ça, nous, le laboratoire centrafricain. On s'est rendu compte que Wagner testait finalement tout son système, c'est-à-dire son offre de sécurité au président Touadéra, c'est son système d'entreprise dans le bois, dans l'or… Enfin, voilà, c'est devenu très tentaculaire, donc en fait, ce système mafieux qu'on a voulu raconter tout au long de la BD, il s'est mis en place en Centrafrique et ensuite, il est venu s'exporter au Mali. Voilà, on a vraiment voulu montrer cette première expérience centrafricaine qui, en plus, vient dans un contexte de sentiments anti-français où on a vu le recul de la diplomatie française, des intérêts des entreprises françaises. Ce jeu de propagande entre Moscou et Paris, c'est tout ça que raconte finalement Wagner et Evgueni Prigojine en Afrique, quoi.
Ce qui est assez marquant d'ailleurs, dans la bande dessinée, puisque vous en parlez, c’est la sorte de candeur ou d'innocence du ministère des Affaires étrangères français quand il voit arriver Wagner en Centrafrique et puis ensuite au Mali. Les ambassadeurs, les relais français en Afrique émettent des alertes et finalement, on prend ça un peu par-dessous la jambe ?
Benjamin Roger : C'est aussi un peu ce qu'on raconte dans ce livre et dans cette BD. C'est d'abord le succès assez fulgurant finalement, en quelques années, des Russes à travers Wagner en Afrique. Et en creux, c'est aussi évidemment l'échec des autorités françaises depuis plusieurs années qui n’ont pas vu ou qui n'ont pas voulu voir et qui, petit à petit, des signaux s'amoncelaient de la Centrafrique jusqu'au Mali. Et aujourd'hui, il y a le Burkina Faso, maintenant, il y a le Niger. Tout au long de ces années, il y a eu plusieurs signaux. Alors les Français ont fini par voir, par comprendre, mais toujours avec un train de retard.
Sur le modèle économique, puisque Wagner en Afrique est un business model, il y a la façon de se rémunérer. Donc, c'est de l'or bien sûr, on en a parlé, du café, de la brasserie, tout un tas d'activités en Afrique. Ce qu'on sait moins, c'est qu'une fois que ces ressources sont exploitées, elles transitent par Douala ou par Dubaï. Ça, c'est quelque chose dont on parle un petit peu moins.
BR :Wagner, est évidemment connu comme un groupe de mercenaires, mais en fait, c'est bien plus que ça. C'est une énorme nébuleuse de différentes sociétés, dans différents domaines, et notamment des sociétés écrans. Il y a un modèle de prédation, clairement, où on va aller se servir directement sur la bête, entre guillemets. Par exemple dans les mines en Centrafrique, c'est ce qu'ils essayent de faire au Mali en ce moment, ils sont là avec l’orpaillage artisanal. Au Soudan, pareil, c'était dans des mines. On voit les différents secteurs et business dans lesquels ils sont, après ce qui est très difficile : c’est à chiffrer. Concrètement, combien de kilos de tonnes d'or ont-ils réussi à sortir en 2023 de Centrafrique, du Mali, et qu'est-ce que ça représente concrètement en argent ? Alors, il y a eu deux, trois études, des rapports faits par des organismes internationaux, des ONG, mais ce sont des estimations, c'est très difficile à chiffrer, mais on parle là de plusieurs dizaines, voire centaines de millions de dollars.
Prigojine est décédé. Wagner s'appelle désormais Africa Corps. Est-ce que cela veut dire que vous préparez un deuxième volume de votre BD ?
MO : Il pourrait y en avoir un. Effectivement, c'est ça qui est assez extraordinaire, c'est-à-dire que Wagner n’a pas disparu. Les hommes de Wagner et les hommes qui étaient les hommes de Prigojine sont pour la plupart toujours en poste avec une tutelle plus importante du renseignement militaire russe. Donc, c'est une reprise en main depuis la mort de Prigojine, de la part du Kremlin et du ministère de la Défense russe. Mais les activités demeurent, que ce soit en Centrafrique, on voit que, malgré quelques tentatives du côté des Américains de venir gêner les activités Russes à Bangui, les héritiers de Wagner sont toujours omniprésents autour de Faustin-Archange Touadéra. Au Mali, on voit qu’ils sont toujours omniprésents autour d'Assimi Goita. Leur influence est de plus en plus importante au Burkina Faso. C'est ce qu'on voulait aussi raconter, en fait. En racontant Wagner, on racontait pourquoi Wagner allait survivre à Evgueni Prigojine, c'est-à-dire Evgueni Prigojine meurt, l’intérêt Wagner demeure.
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Fri, 19 Apr 2024 - 932 - Tchad: le Premier ministre Succès Masra demande aux électeurs «cinq ans pour mettre fin à 60 ans d’obscurité»
Au Tchad, le président Mahamat Idriss Déby Itno et le Premier ministre Succès Masra sont tous deux candidats à la présidentielle du 6 mai. Après l’interview du chef de l’État, voici celle du Premier ministre, qui promet, s’il est élu, « un paquet minimum de dignité » intégrant éducation, santé et logement pour chaque Tchadien. Craint-il la fraude ? Que répond-il à ceux qui le considèrent comme un « traitre » ? Quel sort réservera-t-il, s’il est élu, aux bases militaires françaises ? Succès Masra répond aux questions de nos envoyés spéciaux à Ndjamena, Christophe Boisbouvier de RFI, et Marc Perelman de France 24.
RFI/France 24 : Vous êtes candidat mais, depuis que vous êtes Premier ministre, on a quand même vu des développements inquiétants pour la population : la hausse du carburant de 40 %, on a vu des délestages, on a vu des grèves. Est-ce que tous ces mécontentements ne risquent pas de vous handicaper pour atteindre votre but, c'est-à-dire la présidence de la République ?
Non, au contraire. Je suis arrivé à la tête du gouvernement, les enfants étaient en grève depuis trois mois. La première chose que nous avons faite, c'est de remettre les enfants à l'école, c'était le premier acte. Ensuite, nous arrivons à la tête du gouvernement dans un pays pratiquement en banqueroute, qui est dernier sur l'indice du développement humain et qui a des défis de développement cumulés depuis des décennies. Je suis arrivé à la tête du gouvernement, 90 % des Tchadiens n'ont jamais vu l'électricité depuis l’indépendance. Et donc, ce sont des citoyens matures et lucides, qui savent que je viens avec un projet de gouvernement, que tout le monde avait d'ailleurs approuvé. Leur seule inquiétude était de savoir si j'avais suffisamment de temps pour le mettre en œuvre. C'est l'occasion de demander le temps - cinq ans - aux Tchadiens, pour mettre fin à 60 ans d'obscurité. Ce n'est pas en 60 jours, et ça aussi, ils le savent. Mais nous avons besoin d'un peu de temps. C'est ça que nous allons leur demander et ils en sont conscients.
Vous dites que vous veillerez à ce que la présidentielle du 6 mai soit transparente. Mais l'opposition dit que les organes qui vont arbitrer ce scrutin, à commencer par l’Agence nationale de gestion des élections (Ange) et le Conseil constitutionnel, sont contrôlés par la présidence qui en a nommé tous les membres. Est-ce que vous ne vous bercez pas d'illusions ?
Non, au contraire. Dans les élections précédentes, un chef d'État pouvait nommer les membres d'un organe chargé des élections, puis les « virer » - si vous me permettez l'expression - à la veille de la proclamation des résultats. Aujourd'hui, nous avons des membres de ces organes qui sont nommés de manière inamovible, dont le mandat est plus long que celui du président de la Transition et donc, demain, celui du président de la République qui sera élu. Ces organes vont organiser deux élections [présidentielles, cette année et dans cinq ans, NDLR]. En réalité, nous avons des institutions meilleures que celles que nous avions jusqu'à présent. C'est valable pour ces organes, c'est valable pour la Constitution, qui nous donne aujourd'hui les droits et les devoirs qui nous permettent, là, d'être autour de la table. Donc, en réalité, nous sommes en meilleure condition aujourd'hui.
Vous savez, en 2021, le président Idriss Déby Itno - paix à son âme - n'a pas osé m'affronter à une élection. Il a même introduit dans la Constitution une clause « anti-Masra » - c’est comme ça que les Tchadiens l'appellent - [instaurant un âge minimum] de 40 ans, parce qu'il ne voulait pas que je sois candidat, parce qu'il savait que je pouvais gagner et que j'avais beaucoup de chances de gagner. Aujourd'hui, je suis en meilleure condition de l'emporter, sans doute dès le premier tour. Et donc je ne me berce pas d'illusions. Je fais partie de ceux qui organisent pour que ça soit transparent pour tout le monde.
Pour beaucoup de Tchadiens, votre retour au pays, votre nomination comme Premier ministre, votre candidature maintenant, tout ça ferait partie d'un accord secret passé entre vous et le président de la Transition Mahamad Idriss Déby Itno. Les termes de l'accord seraient qu’il gagnerait l'élection présidentielle et qu’il vous reconduirait comme Premier ministre. Que répondez-vous à ceux qui pensent cela ?
Vous savez, je suis là d'abord au nom de la réconciliation nationale. Ce n’est pas un mot, c'est une attitude, ce sont des actes.
Cela peut être un accord aussi.
Mais je suis là aussi parce que je représente une force politique, que je considère même majoritaire dans ce pays, et donc nous sommes dans une cohabitation qui ne dit pas son nom. Voyez-vous, je suis là au nom d'une Constitution de la République dont je suis chef de gouvernement, qui me donne des droits et des devoirs, qui donne des droits et des devoirs aussi au président de Transition. C'est une première dans l'histoire de notre pays, peut-être même sur le continent africain. Un Premier ministre, mais nous sommes en transition, et un président de Transition peuvent présenter leur projet de société. Nos différences sont connues, tout comme nos complémentarités. Et nous allons devant le peuple parce queVox populi, vox Dei (« la voix du peuple est la voix de Dieu »- NDLR).
Vous savez, je connais le prix de la démocratie et je veux contribuer au difficile accouchement de la démocratie. Il m'a fallu quatre ans pour avoir le droit que le parti Les Transformateurs puisse exercer. Il m'a fallu cinq ans pour avoir le droit d'organiser des meetings. Vous avez vu par quoi nous sommes passés : le droit de marcher, ça s'est fait dans la douleur, même dans le sang, si vous le permettez. Donc, moi je suis là au nom de la démocratie. Je suis rentré dans l'avion de la transition pour m'assurer qu'il y ait un atterrissage à l'aéroport de la démocratie.
Parce qu'à la fin de la transition, les Tchadiens vont choisir ceux qui vont - si vous me permettez l'expression - organiser le prochain décollage. Et je souhaite être le pilote principal de ce prochain décollage-là, pour conduire les Tchadiens à la destination « terre promise des opportunités pour chaque Tchadien, chaque Tchadienne ». Voilà l'enjeu. Donc, nous nous battons pour que la démocratie soit une règle dans ce pays. Et c'est au nom de cela que nous sommes là, en tout cas.
Vous n’avez pas répondu... Y’a-t-il eu un accord secret ?
Vous êtes des grands journalistes. S'il y a un accord, présentez-le. Au début, on a dit que l'accord de Kinshasa [du 31 octobre 2023] n'était pas visible parce que ça comporterait des choses horribles. Lorsque l'accord de Kinshasa a été présenté, tous ceux qui avaient dit ça se sont rendu compte qu'en réalité, il n'y avait rien d'horrible. J’ai signé un accord qui garantit mes droits, mes devoirs, mes droits politiques, qui permet au Tchad de s'inscrire sur le chemin de la réconciliation nationale.
Vous imaginez qu’on dise à Nelson Mandela, quand il serre la main à Frederik de Klerk, qu'il a abandonné sa lutte pour la justice et pour l'égalité ? Non, au contraire, il faut réconcilier. Et si l’on m'en donne l'onction, ceux qui gèrent aujourd'hui la transition à mes côtés auront leur place, y compris le président de Transition. Demain, moi président, il aura sa place à mes côtés pour m'aider, par exemple, à réformer l'armée de notre pays, qui en aura besoin. C'est un projet de société réconciliant, suffisamment grand, je pense, pour embarquer tout le monde, parce qu'il faut avancer avec l'ensemble des Tchadiens. Voilà l'esprit central de ce qui nous guide aujourd'hui.
Alors, même s'il n'y a pas eu d'accord secret entre le président Mahamad Idriss Déby et vous-même, vous vous êtes «réconciliés » - comme vous dites - avec le chef d'État qui a présidé à la répression du 20 octobre 2022, qui a fait entre 73 et 300 morts, c'est considérable. Beaucoup de victimes étaient vos partisans, vos militants... Par conséquent, après la réconciliation, après l’amnistie générale et l’impunité pour les auteurs de cette répression, beaucoup de vos anciens amis, vous ont considéré comme traître. Ne craignez-vous pas, Monsieur le Premier ministre, que tous ces partisans déçus ne se tournent vers d'autres candidats à cette présidentielle, comme par exemple l'ancien Premier ministre Albert Pahimi Padacké ?
Je crois dans la réconciliation, je crois dans la justice. La justice, ce n'est pas la vengeance. Êtes-vous en train de dire que j'ai fait beaucoup de concessions pour privilégier un Tchad réconcilié ? Oui, j'ai fait des concessions pour privilégier un Tchad réconcilié. Je vais donner un autre exemple, celui de mes amis qui sont arrivés au pouvoir au Sénégal. Au Sénégal, un pays qui a connu plusieurs alternances démocratiques, il y a eu des gens qui sont morts. Savez-vous ce qui a permis à Ousmane Sonko et à Bassirou Diomaye Faye de sortir ? Il y a eu une amnistie. Moi, je me suis préoccupé des vivants. Il y avait les morts dont la mémoire doit être honorée.
Mais il y avait des jeunes de 25 ans, de 30 ans, qui étaient condamnés à vie et qui avaient une sorte d'épée de Damoclès sur leurs têtes. Pendant un an, ceux auxquels vous faites allusion, qu'ont-ils fait pour enlever ces fausses condamnations ? Moi, je me suis assuré que ces vivants-là, ces jeunes-là ne vivent pas la prison à vie. Et donc, ils ont eu leurs fausses condamnations, d'une certaine manière, enlevées. Est-ce que si c'était à refaire, je l'aurais refait ? Oui, je l'aurais refait. Parfois, c'est aussi ça être un homme d'État, voyez-vous ?
Vous ne craignez pas de perdre des voix...
Non, au contraire !
... avec tous ceux qui estiment qu'ils sont trahis par vous ?
J'en ai plutôt engrangé. La plupart de ceux qui disent ça ne peuvent même pas réunir cent personnes. Les Tchadiens savent que j'étais hors du pays avec un poste de responsabilité à la Banque africaine de développement. J'ai abandonné, je suis rentré. Je suis chef du gouvernement, mais je ne n'utilise pas le salaire de Premier ministre. Je donne ces exemples-là pour illustrer le fait que, dans le cœur de ce peuple, ils sont convaincus de mon engagement sincère pour faire en sorte que dans chaque foyer tchadien, il y ait un paquet minimum de dignité : électricité, éducation, santé, eau. Et puis un minimum de droits décents et de possibilités de sécurité. Ce sont des choses simples sur lesquelles les Tchadiens ont besoin de résultats. Pour les 22 000 villages où il y a 70 % de nos populations qui vivent, pour les milieux urbains où les 200 000 jeunes tchadiens qui rentrent sur le marché de l'emploi chaque année ont besoin d'emplois. Sur ces choses, nous avons un projet de société clair, co-construit avec ces Tchadiens et c’est ce projet-là qui est majoritaire.
Et d'après vous, le choix du peuple serait la victoire dès le premier tour ?
Nous en sommes convaincus.
Parlons de la France, des questions très concrètes. Si vous êtes élu, il y a plus de 1 000 soldats français stationnés au Tchad, il y a 3 bases militaires. Est-ce que vous dites « Continuons comme ça », sachant que dans d'autres pays du Sahel, l'armée française est partie ? Ou vous dites « Non, il faut revoir ça, nous n’avons pas besoin d'autant de soldats français, nous sommes en 2024 ». Est-ce que, de façon très concrète, vous réduisez la voilure ?
Je voudrais aider la France elle-même à regagner sa dignité.
L'a-t-elle perdue ?
Ça me fait de la peine que la France, les forces de défense et de sécurité françaises aient l'impression d'être devenue des SDF [sans domicile fixe - NDLR] sur le continent africain. On pourrait éviter à la France cette image, où on conseille à un chef des armées français : « Déménagez d'ici, allez dans ce pays, c'est sûr ». Et puis, deux mois plus tard, ce n'est plus sûr dans ce pays. Au minimum, cela veut dire que ce chef des armées français a été induit en erreur. Au pire, l'approche n'est pas la bonne.
Je souhaite être à la tête d'un État du Tchad solide, partenaire sûr, avec lequel la France peut travailler. Et dans ce partenariat sûr que j'entends développer, il y a des choses qui relèvent des choses du siècle passé. Je crois que même l'approche française aujourd'hui est appelée à évoluer là-dessus. Est-ce que maintenir de manière durable ad vitam æternam des troupes étrangères sur un sol est quelque chose de défendable ? On peut être au même niveau d'efficacité, mais peut-être faire différemment : mutualiser les forces, avoir des écoles de guerre communes, partager les renseignements, avoir des approches de formation rapide, séquencées sur un temps court, mutualiser nos énergies. Cela, ce sont des pistes que nous n'avons pas suffisamment explorées.
Donc, je ne suis pas un dogmatique, je vais être très pragmatique sur la question et, en regardant vraiment page par page l'ensemble de ces accords, nous sommes capables de dire quelle est la part de modernité qui manque à cela pour nous permettre d'avancer. Cela sera mon approche et cela va être au cas par cas. Avec la France, mais pas que : avec les autres partenaires aussi, de manière à ce que nous soyons capables de dépoussiérer les partenariats du XXe siècle des éléments qui ne les ont pas amenés à rentrer totalement dans le XXIe siècle.
Wed, 17 Apr 2024 - 931 - JO 2024: les athlètes africains «se sentent très bien, et nous avons de très grandes ambitions»
Moustapha Berraf est le président de l’Association des comités nationaux olympiques d’Afrique (Acnoa) depuis 2018, mais également membre du Comité international olympique (CIO). À 100 jours des Jeux olympiques, il est actuellement au Nigeria pour une réunion du comité exécutif de son organisation. Au micro de Kaourou Magassa, il revient sur les préparatifs des Jeux olympiques pour les athlètes africains.
RFI : À 100 jours des Jeux, dans quel état d'esprit sont les athlètes africains avec qui vous êtes en contact ?
Moustapha Berraf : Les Jeux olympiques sont une étape très importante pour l'athlète, extrêmement importante, et je crois que beaucoup d'athlètes africains sont conscients de cela et essayent de tout mettre en œuvre avec tous les moyens adéquats aujourd’hui pour réussir à se qualifier aux Jeux olympiques. C'est vraiment un grand défi.
De nombreux athlètes africains francophones s'entraînent en France et en Europe. Cette situation n'illustre-t-elle pas encore une fois le manque d'infrastructures sur le continent ?
Il y a un manque de moyens matériels au sein du continent parce que beaucoup de pays du continent ont d'autres priorités. Vous savez qu'il y a des problèmes énormes de santé publique, qu'il y a des problèmes énormes de travail. Et le sport n'est pas une des priorités, sauf quand il y a des médailles. Donc nous avons lancé un programme depuis longtemps qui s'appelle « Olympafrica », en étroite collaboration avec le CIO. Nous avons cinquante centres où nous recueillons des jeunes, des enfants, qui allient leur formation à une préparation physique et une préparation technique à la hauteur. Donc, je pense que - comme vous dites, le fait qu'il n'y ait pas suffisamment d'infrastructures, que les conditions de préparation ne sont pas partout dans d'excellentes conditions -, certains athlètes vont vers l'Europe.
Au moment où on se parle, quel bilan peut-on faire de la préparation des athlètes africains ?
Les athlètes concernés par les Jeux olympiques sont dans des programmes que nous avons initiés au niveau de l’Acnoa et pour les potentiels médaillables. Il y a un travail qui est en train de se faire qui permet aux athlètes qui en ont les potentiels de bénéficier de bourses pour pouvoir se préparer convenablement, surtout avec l'apport du programme de Solidarité olympique du CIO, qui n'a lésiné sur aucun moyen pour permettre à nos athlètes d'obtenir des médailles.
Aux dernières olympiades, l'Afrique a obtenu dans sa globalité 37 médailles dont 11 en or. Quels sont les objectifs fixés pour cette année ? La grande majorité des médailles africaines sont en athlétisme. D'autres disciplines peuvent-elles pourvoir le continent en médailles ? Doit-on s'attendre à des surprises ?
Nous pensons réussir au cours des jeux de Paris un résultat qui sera supérieur de 15% par rapport aux anciens résultats que nous avons obtenus jusque-là. L'athlétisme, effectivement, est l'un des grands pourvoyeurs de médailles. Mais nous voyons une grande amélioration concernant le taekwondo, concernant certaines disciplines de sport de combat, la boxe, etc. Je pense qu'il y aura quand même des résultats peut-être inattendus. Nos athlètes se sentent très bien et nous avons dans nos perspectives de très grandes ambitions.
La semaine dernière, les handballeuses camerounaises n'ont pas pu participer à un tournoi de qualification en Hongrie, faute de visa. Avez-vous pris des mesures pour garantir une participation de toutes les personnes qualifiées pour ces Jeux ?
Effectivement, j'ai appris cela et nous en avons vraiment été grandement offusqués. D'ailleurs, j'ai appelé ce matin même mon ami le président du Comité olympique national français pour voir avec lui quelles pourraient être les difficultés à rencontrer pour les athlètes africains qui vont participer aux Jeux olympiques. Je pense que, comme vous le savez, nous avons un accord de coopération et d'échange avec le Comité national olympique français qui nous gratifie de toute sa bonne volonté et de toute sa disponibilité.
Mais pouvons-nous être sûrs que les différents athlètes africains seront présents aux jeux de Paris ? Je pense notamment aux pays comme le Mali, le Burkina Faso ou le Niger, où il y a des difficultés au niveau des ambassades pour avoir des visas, par exemple.
Soyez certain que nous prenons à bras le corps cette question et que nos interlocuteurs en France sont très conscients de la situation. Les athlètes du Mali, du Niger et du Burkina Faso seront présents aux Jeux olympiques de Paris. Les Jeux sont apolitiques et nous ferons en sorte à ce que cela reste apolitique. Honnêtement, je crois que la question des visas, la question de la participation a été réglée. Je peux vous dire que depuis moins d'une année, je me suis permis d'adresser une correspondance à son Excellence Monsieur le président de la République et nous avons vu une évolution très positive depuis. Donc, Monsieur Macron, je suis sûr, n'acceptera aucun dépassement et n'acceptera aucune tendance à faire preuve de discrimination ou de racisme de la part de qui que ce soit.
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Wed, 17 Apr 2024 - 930 - Mahamat Idriss Déby, président tchadien: «Le Tchad n’est pas dans le principe d’un esclave qui veut changer de maître»
Sa parole est rare. Pour la première fois depuis sa rencontre du 24 janvier dernier à Moscou avec son homologue russe Vladimir Poutine, le président de la transition tchadienne s’exprime, et c’est sur Radio France internationale et France 24. Veut-il chasser les militaires français de son pays et les remplacer par des militaires russes ? Veut-il fonder une dynastie au pouvoir ? Il répond aux questions de Christophe Boisbouvier et de Marc Perelman.
RFI/France 24 : L’élection présidentielle est prévue le 6 mai 2024, très bientôt. Pour beaucoup, cette élection est déjà jouée d’avance. Une certaine partie de l’opposition parle d’une mascarade, en affirmant que vous contrôlez tous les leviers : le Conseil constitutionnel, l’organe de supervision des élections ANGE. Est-ce que c’est une élection ou un simulacre d’élection qui va avoir lieu, ici, au Tchad ?
Mahamat Idriss Déby : Je crois qu’on a fait un long chemin. Ce long chemin, on l’a fait avec l’ensemble de la classe politique et aussi une grande partie aussi des ex-politico-militaires [les ex-rebelles, NDLR]. Et toutes les institutions qui sont issues de la nouvelle Constitution sont des institutions indépendantes. Notamment l’institution qui est la plus importante, à laquelle vous faîtes référence, c’est l’Agence nationale de gestion des élections, ANGE. Pour la première fois dans l’histoire de notre pays, l’ANGE est créée par la loi fondamentale, donc, adoptée par le peuple tchadien. Et, aujourd’hui, l’ANGE est indépendante.
Donc, je crois que ceux qui disent que c’est une mascarade ou bien que c’est une élection qui est déjà jouée d’avance, bon, je les comprends : c’est aussi ça, la politique, c’est de bonne guerre. Mais moi, je fais confiance à cette agence qui va jouer pleinement ce rôle de manière indépendante. Et vous allez voir que, le 6 mai prochain, les Tchadiens vont choisir, vont élire le président qui va diriger ce pays pendant les cinq prochaines années. Et le choix du peuple sera respecté.
Le 28 février 2024, l’opposant Yaya Dillo a été tué dans un assaut de l’armée tchadienne contre le siège de son parti, à Ndjamena. « C’est une exécution à bout portant », affirme son parti. « Le corps de Yaya Dillo porte l’impact d’une seule balle dans la tempe », précise l’ONG Human Rights Watch. Que répondez-vous à ceux qui affirment que vous avez fait éliminer votre opposant le plus farouche ?
Écoutez, je voudrais dire en quelques mots ce qu’il s’est passé. Monsieur Yaya Dillo et ses militants ont attaqué le siège des services de renseignement avec des armes de guerre. Est-ce qu’un parti politique a le droit des armes ? Est-ce que les militants d’un parti politique ont le droit d’avoir des armes ? C’est ça, la question. Donc, pendant cette attaque macabre, il y a eu des morts : des morts du côté des forces de défense et de sécurité, et aussi parmi les militants du PSF [Parti socialiste sans frontières, NDLR]. Donc, il était tout à fait normal pour un État que celui qui a conduit cette attaque doive être arrêté pour répondre de ce qu’il a fait, de ses actes. Et la police est intervenue pour l’arrêter. Il n’a pas voulu obtempérer. Au contraire, il a tiré sur les forces de l’ordre et les forces de l’ordre ont répliqué. Il y a eu des morts des deux côtés. Maintenant, l’affaire est entre les mains de la justice. Nous allons attendre la décision de la justice. Et nous avons dit très clairement que nous sommes aussi ouverts à une enquête indépendante, ce qui veut dire que nous n’avons rien à cacher sur cette histoire.
Vous êtes ouvert à une enquête…
Internationale.
Dans combien de temps ?
Dès le début, nous avons fait un communiqué pour expliquer à l’opinion nationale et internationale ce qu’il s’est passé. Et nous avons aussi demandé une enquête indépendante.
Cette campagne est un peu atypique parce que vous allez affronter plusieurs candidats, notamment votre Premier ministre, qui a longtemps été un farouche ennemi : Succès Masra. Est-ce qu’il y a un accord entre vous – beaucoup le pensent – pour que, par exemple si vous gagnez (comme beaucoup le pensent), vous le reconduisiez automatiquement comme Premier ministre ? Est-ce qu’il y a un deal avec Succès Masra ?
Écoutez, dans la logique d’une transition apaisée, nous avons toujours tendu la main pendant ces trois ans de transition. Et Succès Masra est un Tchadien, chef de parti politique. Il a fait des erreurs et a reconnu ses erreurs. Il a voulu rentrer au Tchad. Donc, il est passé par des facilitateurs désignés [par la Communauté économique des États de l’Afrique centrale, NDLR], notamment le président de la RDC Félix Tshisekedi. Nous avons accepté la main tendue et nous avons signé un accord pour qu’il revienne au pays. Maintenant, il est candidat, je suis candidat. Il n’y a aucun accord entre nous.
Au Soudan, pays voisin, cela fait un an que la guerre civile fait rage entre le camp du président Abdel Fattah al-Burhan et celui du général Hemedti. Ce 9 mars, aux Nations Unies, le représentant du président al-Burhan vous a accusé d’approvisionner en armes les troupes du général Hemedti – et je vois que ça vous fait sourire – de concert avec les Émirats arabes unis. Que répondez-vous à cette accusation ? Et, peut-être de façon plus globale, pourquoi ne condamnez-vous pas cette rébellion du général Hemedti qui s’appuie notamment sur les milices janjawids qui ont beaucoup fait souffrir les habitants du Darfour depuis 20 ans ?
Ce qui me fait sourire, c’est que c’est archi-faux, ce que vous dîtes. Un peu d’histoire, revenons en arrière : je crois que le Tchad n’a jamais agressé le Soudan. Maintenant, par rapport à ce qu’il se passe au Soudan, dès les premières heures de la transition [à partir d'avril 2021, NDLR], nous avons tout fait pour éviter cette guerre. La preuve : nous avons invité le président al-Burhan, ici, à Ndjamena, et nous avons invité le vice-président Hemedti à Ndjamena, pour leur prodiguer des conseils, pour leur dire que la guerre n’est pas une solution. Maintenant, ce qui se passe au Soudan, c’est d’abord qui a créé les janjawids ? Qui est responsable des 300 000 morts [estimation du nombre de victimes civiles durant la guerre du Darfour, NDLR] ? C’est le régime soudanais qui les a créés. Qui a créé les FSR [Forces de soutien rapide, groupe paramilitaire soudanais dirigé par le général Hemedti, NDLR] ? C’est le régime soudanais qui a créé les FSR.
Donc, le régime soudanais est en train de récolter en quelque sorte ce qu’il a semé. Ce qui se passe au Soudan, c’est une guerre soudano-soudanaise. Nous, ça ne nous regarde pas. Et malheureusement, jusqu’à présent, la guerre continue et je vais profiter de votre micro pour appeler les deux généraux à cesser immédiatement la guerre et privilégier le dialogue. Cette guerre, ceux qui en souffrent le plus, c’est d’abord le peuple soudanais. Ensuite, c’est le Tchad qui en souffre : depuis 2003, nous abritons sur notre sol plus de 600 000 réfugiés soudanais. Aujourd’hui, on compte plus de 2 millions de réfugiés. Donc, cela crée non seulement l’insécurité, des problèmes humanitaires et aussi des problèmes environnementaux. Donc, je crois que ce qui se passe au Soudan, c’est un problème soudano-soudanais et ça ne nous regarde pas du tout, ça ne regarde pas le Tchad.
Vous avez fait une visite très remarquée à Vladimir Poutine, fin-janvier 2024. Vous avez dit que la Russie est un « pays frère». Est-ce que vous envisagez une coopération militaire avec Moscou du même type à celle que votre voisin, le Niger, vient d’engager ? Est-ce que Vladimir Poutine vous l’a proposé ?
Nous avons eu des échanges très fructueux avec le président Poutine, dans le respect mutuel, et sur des sujets sur lesquels nous nous entendons. Sur des sujets qui nous concernent, entre deux États souverains.
Y compris sur la coopération sécuritaire ? Est-ce que c’est sur la table ?
Il n’y a pas que la coopération militaire. Il y a d’autres coopérations. Pourquoi toujours parler de coopération militaire quand il s’agit de pays africains ? Il y a d’autres coopérations : il y a les coopérations économiques qui sont très importantes aujourd’hui pour nos pays. On a parlé de beaucoup de sujets : on a parlé de coopération militaire, de coopération économique, de coopération diplomatique. Il y a une panoplie de sujets sur lesquels, avec le président Poutine, nous avons discuté. Et je peux vous dire que je suis satisfait de cette visite.
Est-ce que vous envisagez un changement d’alliance militaire ? Est-ce que vous envisagez de lâcher votre alliance avec la France pour nouer une alliance avec la Russie ? Ou est-ce que vous comptez conserver votre alliance militaire avec la France au vu de ce qu’a dit l’envoyé personnel du président français, Jean-Marie Bockel, à la sortie d’une audience que vous lui avez accordé il y a un mois (« Il faut rester au Tchad et, bien sûr, nous resterons») ?
Écoutez, le Tchad est un pays indépendant, libre et souverain. Nous ne sommes pas dans le principe d’un esclave qui veut changer de maître. Nous avons l’intention de travailler avec toutes les nations de monde, toutes les nations qui nous respectent et qui veulent travailler avec nous en se respectant mutuellement.
Ce qui veut dire que, concrètement, le contingent français de plus de 1 000 hommes et les trois bases militaires françaises qui sont actuellement installées au Tchad vont être maintenues ?
En ce qui concerne la France, comme vous l'avez dit tout à l'heure, Monsieur Bockel [l'envoyé personnel d'Emmanuel Macron pour l'Afrique, NDLR] a fait une visite au Tchad. Avec lui, nous avons eu des discussions sur le futur de nos coopérations. Nous avons eu des échanges, nous allons continuer nos échanges et ensemble, souverainement, nous allons décider de nos futures coopérations. Et ces coopérations ne doivent pas se limiter seulement à la défense. Il y a d'autres coopérations aussi, notamment la coopération économique. C'est la coopération économique qui nous tient le plus à cœur aujourd'hui, plus que la coopération de défense.
Il se pose une question à travers cette élection. Est-ce que vous vous engagez à vous présenter seulement pour un ou deux mandats ou est-ce que, comme craignent certains, une « dynastie Déby » est en train de s'installer ?
[Rire] D'abord, il faut savoir que moi je suis un candidat et j'ai un programme qui est ambitieux, que je vais présenter au peuple tchadien. Maintenant, c'est au peuple tchadien de décider, même si je suis confiant. Je suis confiant dans mon programme par rapport à tous les actes que j'ai faits, par rapport au respect des engagements que j'ai pris pour la transition : notamment organiser le dialogue national inclusif, organiser le référendum constitutionnel. Les Tchadiens savent que je suis un homme d'action et un homme de parole.
Si je suis élu, je vais faire mon mandat de cinq ans et à la fin de mon mandat, ce sera au peuple de me juger. Ce sera au peuple tchadien de me juger par rapport à ce que j'ai proposé. Quant à la dynastie à laquelle vous faites référence, notre Constitution est très claire. Un candidat ne peut pas faire plus de deux mandats successifs. Et je voudrais rassurer le peuple tchadien que je vais respecter et que tout le monde va respecter la Constitution qui a été adoptée et votée par le peuple tchadien.
Mon, 15 Apr 2024 - 929 - Au Soudan: «Nous voulons l’aide de la communauté internationale pour engager un dialogue réel»
Il y a un an, des affrontements éclataient à Khartoum et ouvraient un cycle de guerre entre l'armée du général Al Burhan et les paramilitaires du général Hemedti, forçant à l'exode des millions de Soudanais. Les élites politiques et de la société civile soudanaises se sont elles aussi dispersées dans un premier temps, mais s'efforcent depuis de faire entendre une autre voix que celle des militaires. Parmi elles, une coalition nommée « Taqaddum », la Coordination des forces civiles démocratiques, dirigée par l'ancien Premier ministre Abdallah Hamdok. Alors que Paris accueille ce lundi une conférence humanitaire sur le Soudan, notre grand invité Afrique ce matin est l'un des cadres de Taqaddum, le diplomate Nureldin Satti.
RFI : Qui est responsable de la situation dans laquelle se trouve le Soudan, un an après l'éclatement de la guerre ?
Nureldin Satti : Ce sont les Forces armées soudanaises et les Forces de soutien rapide, qui ont perpétré le coup d'État du 25 octobre 2021, qui ont décidé d'arrêter le processus de transition démocratique, qui avait commencé deux ans auparavant.
Donc, pour vous, la descente aux enfers a commencé avec le coup d'État des militaires ?
Absolument. Ce qui se passe là est impensable. La guerre a atteint un degré incroyable, une sauvagerie inimaginable. Il faut trouver des solutions dans le fond de la société elle-même. C'est une société malade, donc elle ne sent pas qu'il y a des problèmes historiques à régler. Il y a un problème au Darfour, une marginalisation historique. Nous reconnaissons qu'il y a un problème entre les islamistes et le reste de la société, entre les civils et les militaires. Nos amis peuvent nous aider, mais finalement, le début de cette guérison est chez nous.
On parle de soutien de parrains internationaux aux deux généraux, al-Burhan et Hemedti. Est-ce que vous diriez que la guerre au Soudan est une guerre internationale ?
Il y a des allégations selon lesquelles il y aurait, d'un côté, des pays voisins du Soudan qui soutiendraient les Forces armées soudanaises, qu'il y a certains pays du Golfe, arabes, qui soutiendraient les Forces de soutien rapide. Ce sont des accusations, des allégations, mais il nous faudrait des preuves. On peut dire que c'est une guerre régionale qui s'internationalise, maintenant, avec l'implication même de la Russie et de l'Ukraine, l'Ukraine du côté, paraît-il, de l'armée nationale, et la Russie du côté des Forces de soutien rapide.
Est-ce qu'il y a un risque de déstabilisation de la région ?
Oui, absolument, ça commence déjà d'ailleurs. Le Soudan du Sud va peut-être connaître une période de grande déstabilisation sociale, économique et probablement politique, du fait que l'approvisionnement du Soudan du Sud en pétrole a été arrêté à cause de la guerre au Soudan et le Soudan du Sud dépend à 90% des revenus pétroliers.
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Quelles sont vos principales craintes concernant la population soudanaise dans ce contexte d'un conflit qui se prolonge ?
Les craintes sont déjà là : une famine qui s'annonce imminente. Des populations qui sont déplacées un peu partout dans le pays n'arrivent pas à trouver de quoi manger.
Qu'est-ce que le mouvement Taqaddum, dont vous faites partie, attend de la réunion de Paris qui s'ouvre ce 15 avril 2024 ?
On attend que la communauté internationale, d'abord, soit beaucoup plus déterminée dans son assistance au Soudan, que les engagements financiers pris par les donateurs soient respectés. Ce n'est pas normal que l'aide qui arrive au Soudan n'arrive pas à 6% des sommes qui ont été promises par la communauté internationale. La deuxième chose, c'est aider à trouver une approche humanitaire, qu'il y ait des corridors humanitaires, des endroits protégés où les gens peuvent se réfugier et se déplacer, qu'il y ait finalement un début de coordination internationale et régionale autour de ce qu'on peut faire pour trouver un règlement au Soudan. Il n'y a pas de consensus au sein de la communauté régionale et internationale sur ce qu'on doit faire au Soudan. Il faut continuer à faire pression sur les deux belligérants pour accepter de négocier, tout d'abord.
Deuxième chose, faire en sorte que l’appui régional et international aux belligérants s'arrête et qu'ils se trouvent dans une situation dans laquelle ils ne puissent pas compter sur l'assistance régionale et internationale. Qu'il y ait un consensus, une cohésion, pour que la communauté internationale parle d’une même voix et qu'elle puisse nous aider, nous, civils, à engager un dialogue réel pour trouver une voie de sortie de cette crise.
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Mon, 15 Apr 2024 - 928 - Aki Nishio (Banque mondiale): «Au Sahel, la situation est très préoccupante»
En 2024, la Banque mondiale achèvera une nouvelle levée pour son fonds IDA, principalement destiné à l’Afrique. L'un de ses vice-présidents reconnaît que certains États pourraient baisser leurs contributions, alors que les crises se multiplient. Le sujet sera sur la table des assemblées de printemps les 15 et 16 avril.
RFI : Alors que se profile la 21ème reconstitution du fonds IDA (International development association), quel bilan peut-on faire du programme qui s’achève ?
Aki Nishio :Nous sommes encore au milieu de la seconde année, il faudra attendre la mise en œuvre de tous les projets pour avoir une idée des résultats concrets. Mais en termes de financements, nous avons de belles réussites. Sur les 93 milliards de dollars récoltés, 75 % sont allés en Afrique : lutte contre le changement climatique, développement des énergies renouvelables, insécurité alimentaire... Les pays bénéficiaires sont très demandeurs, ils sortent d’une période inédite. La pandémie, les conflits à travers le monde... Autant d’évènements qui les ont fragilisés encore plus.
Justement, face à la demande croissante, le président de la Banque mondiale a parlé d’une « expansion » de l’IDA. Qu’est-ce que cela veut dire concrètement ?
Cela veut avant tout dire que nous voulons accroître les financements. Il n’y a pas d’objectif chiffré à proprement parler, mais la demande est énorme. Avec les crises successives qu’ils ont traversées, les pays bénéficiaires ont besoin de plus d’argent. Pour l’IDA20, nous avions récolté 93 milliards de dollars, soit 105 milliards ajustés pour l’inflation. C’est une bonne référence pour la suite.
Avec la guerre en Ukraine qui continue, la crise au Moyen-Orient et les élections américaines qui approchent, craignez-vous une baisse des financements cette année ?
C’est un vrai risque. Plusieurs pays nous ont dit qu’il leur serait difficile de contribuer. Il est encore très tôt pour savoir si les financements seront en baisse. Dans le même temps, nous cherchons des alternatives. Solliciter d’autres donateurs, par exemple, qui n’avaient jamais contribué jusque-là. Je pense par exemple à certains pays du Golfe. La bonne nouvelle, c’est que le nombre de pays donateurs ne fait qu’augmenter, nous sommes aujourd’hui à 59. Certains d’entre eux étaient bénéficiaires jusqu’à présent, et ils reviennent en tant que donateurs. C’est un beau message de solidarité internationale : ils rendent un peu de ce que les autres leur ont donné.
En décembre dernier, en marge d’un déplacement en Tanzanie, le président de la Banque mondiale évoquait un « ralentissement de la lutte contre la pauvreté en Afrique ». Est-ce un constat que vous partagez ?
L’Afrique était sur une très bonne trajectoire. Dans la plupart des pays bénéficiaires, le taux de pauvreté était même en déclin. Mais la crise du Covid-19 a tout changé. Dans plusieurs pays, la pauvreté a augmenté. Ce n’est évidemment pas le résultat que nous espérions, même si je pense que l’IDA a permis d’affronter cette tempête. Nous avons aidé les pays africains avec des projets de protection sociale afin d’amortir les destructions d’emplois et en investissant dans l’éducation à distance. L’heure est maintenant aux projets post-Covid. Je pense aux transports, avec le développement de corridors pour les pays enclavés. L’une de nos priorités, c’est aussi d’accompagner la révolution numérique, un domaine dans lequel l’Afrique a pris du retard.
Après les coups d’État successifs au Mali, au Burkina Faso et au Niger, comment la Banque mondiale travaille-t-elle au Sahel ?
J’ai été très déçu par les événements récents au Niger. Un mois avant le coup d’État, j’avais rencontré le président Bazoum, l’un des champions de l’IDA sur le continent. Nous comptions sur lui pour transmettre le message à d’autres chefs d’État. Depuis, il est toujours en résidence surveillée. Dans ces pays, la situation est très préoccupante et il n’y a pas vraiment de bonne solution. C’est l’une des questions centrales pour l’IDA21 : comment continuer à travailler dans des pays en conflit ? Il faut davantage se concentrer sur la prévention, sur les subventions pour sortir les États de situations difficiles. Nous avons déjà un cadre pour cela, mais il faut qu’il soit plus flexible et plus efficace.
L’assistance budgétaire aux pays en transition fait-elle partie de la solution ? Est-ce envisageable ?
Pour cela, il faut un programme de réformes suffisamment solide. C’est sur cette base que nous fournissons un appui budgétaire. Il faut donc être sélectifs, et choisir les situations dans lesquelles notre aide sera utile. Nous continuerons à le faire en Afrique subsaharienne. En ce qui concerne le Mali, le Burkina Faso et le Niger, il faut vérifier d’où viendraient les éventuelles réformes. Mais dans d’autres pays classés « fragiles », nous apportons un appui budgétaire, dès lors que les gouvernements sont engagés dans les réformes.
Le 15 avril 2024, cela fera un an jour pour jour que le Soudan est en guerre. La Banque mondiale est-elle toujours présente sur place ?
Nous n’avons plus d’employés sur place. Le directeur des opérations pour le Soudan travaille d'Addis Abeba au Kenya, et fera des aller et retours à Khartoum. Ce qui se passe est évidemment très triste. D’autant plus que le Soudan était sur une trajectoire très prometteuse. Dans l’immédiat, je ne sais pas ce que peut faire la Banque mondiale sur place. Mais nous sommes au fait de la situation, et sommes prêts à reprendre nos activités dès que cela sera possible. Le plus tôt sera le mieux.
Haïti fait face à une crise sans précédent. Quel rôle peut jouer la Banque mondiale ?
Cela fait plusieurs décennies que nous sommes actifs sur place, nous avons toujours un représentant à Port-au-Prince. Les récents évènements changent la donne. Nous sommes arrivés à un point où il devient difficile de continuer nos activités. Nous sommes inquiets pour la sécurité de nos employés sur place, cela a fait l’objet de nombreuses discussions. Mais la Banque mondiale est habituée à travailler dans ce genre d’environnement.
Le 2 avril dernier, la Banque mondiale dévoilait un rapport sur l’étendue des destructions dans la bande de Gaza. Les dommages causés aux infrastructures sont estimés à 18,5 milliards de dollars, soit 97 % du PIB combiné de la Cisjordanie et de la bande de Gaza. A-t-on déjà connu un tel niveau de destruction ?
C’est difficile à évaluer. Les destructions sur place sont immenses et nous demandons à la communauté internationale de se mobiliser pour aider Gaza. Le statut légal unique de ce territoire nous empêche de leur fournir directement de l’aide, puisqu’ils ne sont pas membres de la Banque mondiale. Il faut donc trouver d’autres alternatives. Mais les dégâts sur place sont bien trop importants par rapport à l’aide que nous avons fourni jusqu’à présent. Les pays donateurs doivent être au rendez-vous. Depuis plusieurs années maintenant, certains pays européens ont réduit leurs financements à Gaza. Nous ne pouvons pas occulter la réalité. Cette situation requiert toute notre attention.
Sat, 13 Apr 2024 - 927 - Gabon: «Les résolutions de notre dialogue seront soumises à un referendum» affirme Mgr Asseko Mvé
« Si les Gabonais décident d'accorder au chef de la transition, le général Oligui Nguema, un mandat présidentiel, ce ne sera que justice », déclare sur RFI le porte-parole du Dialogue national inclusif. Il y a 10 jours que ce Dialogue a démarré avec quelque 600 délégués réunis à Libreville (plus précisément à Angondjé en périphérie de Libreville). Les conclusions sont attendues à la fin du mois. L'archevêque de Libreville en préside les travaux et c'est un autre prélat catholique, Monseigneur Asseko Mvé, qui est le porte-parole de cette conférence, il répond depuis Libreville aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Les présidentielles de 2009 et de 2016 ont été marquées par des fraudes massives, comment mettre fin à la culture de la fraude au Gabon ?
Mgr Jean-Bernard Asseko Mvé :C'est un problème de volonté et d'application des textes. Nous avons assisté le mois dernier, au Sénégal, à une élection présidentielle libre et transparente. Le général Brice Clotaire Oligui et l'ensemble de ceux qui l'accompagnent dans ce challenge voudraient bien que le Gabon arrive un jour à des élections démocratiques, pour que le peuple se reconnaisse dans ses chefs.
Et si les conclusions de ce dialogue interdisent aux acteurs de la transition d'être candidat l'année prochaine, à l'exception du président de cette transition, le général Oligui Nguema, est-ce que vous ne craignez pas que les dés soient pipés ?
Ça, c'est mettre la charrue avant les bœufs. Ce n'est pas au président de la transition de décider. Il a laissé le libre choix à ceux qui sont convoqués à ce dialogue pour trouver des pistes, des voies et des moyens pour que le Gabon soit inscrit sur la liste des pays démocratiques du monde. Il y tient fermement.
Maintenant, si les Gabonais confirment – parce que nous voyons déjà dans les actions du CTRI [Comité pour la transition et la restauration des institutions - NDLR] et du président, Brice Clotaire Oligui Nguema, une certaine espérance –, si les Gabonais réunis ici à Angondjé décident de lui accorder un mandat, je pense que ce ne serait que justice et ce ne serait qu'une forme de reconnaissance par rapport aux avancées que nous pouvons constater, ici et là, depuis la prise du pouvoir par les militaires.
Et les autres acteurs de la transition, ils pourront être candidats, ou non ?
Je pense que l'article 15 de la Charte définit clairement que les autres acteurs de la transition ne pourront pas être candidats. Ceux qui ont accepté de participer à la vie politique aux côtés des militaires le savent, ils se sont engagés en connaissance de cause. Maintenant, si le dialogue national inclusif décide d'autre chose, on le proposera au général Brice Clotaire Oligui Nguema et au CTRI, qui devra en juger.
Oui, mais les conclusions de votre dialogue ne seront pas contraignantes, le général Oligui fera ce qu'il voudra après, est-ce que cela ne pose pas problème ?
Ce n'est pas vrai. Lui-même, lors de son discours d’ouverture de ce dialogue, et son excellence Monseigneur Jean-Patrick Iba-Ba sont revenus là-dessus. Rien n'est écrit d'avance. Les Gabonais, nous avons sous nos yeux des pages blanches sur lesquelles il faut écrire l’histoire de notre pays en lettres d'or. C'est à l'ensemble des Gabonais de se prononcer, mais ça, c'est sûr que tout le monde pense que les résolutions d’Angondjé devraient avoir un caractère contraignant et souverain.
Mais le général Brice Clotaire Oligui, et ceux qui, avec lui, ont pensé que les Gabonais devaient s'asseoir à Angondjé pour un dialogue national inclusif, n'ont pas voulu que ce dialogue ait un caractère souverain, parce que 600 commissaires réunis à Angondjé ne peuvent pas représenter la souveraineté de toute une République.
Il va donc falloir qu’au terme de notre dialogue, les résolutions soient soumises à un référendum. Et, à ce moment, les Gabonais dans leur ensemble pourront se prononcer s'ils se reconnaissent dans les résolutions prises à Angondjé, oui ou non, et le peuple gabonais souverain se sera prononcé. Ce ne sont pas les 600 personnes, les 600 Gabonais réunis à Angondjé, qui vont faire de notre dialogue un dialogue souverain. C'est plutôt l'ensemble des Gabonais qui aura à se prononcer lors du référendum prévu de se tenir en août prochain.
Alors quelques grandes personnalités, comme le professeur Ondo Ossa qui était le candidat unique de l'opposition il y a quelques mois, ne sont pas invitées à ce dialogue. Est-ce qu'il est vraiment inclusif ?
Disons que le dialogue est inclusif dans le sens où nous avons reçu 3.800 contributions de l'ensemble des Gabonais. Les contributions ont été analysées et synthétisées. Le dialogue est inclusif d'abord par cet ensemble de contributions, donc le dialogue est inclusif. Je pense que le professeur Albert Ondo Ossa, même s'il n'y est pas physiquement, est présent là au dialogue national à partir de l'ensemble de ces contributions – celles envoyées par lui-même, je suppose, et celles envoyées par ses adeptes.
Oui, mais tout de même, sur le plan des symboles, c'est quand même étonnant, non ? Que l'un des principaux acteurs de la vie politique gabonaise de l'année dernière soit absent de ce dialogue ?
Moi, Monseigneur Jean-Bernard Asseko, j'ai été de ceux qui ont fait la campagne du professeur Albert Ondo Ossa, et la plupart des Gabonais ici présents ont soutenu massivement le professeur Albert Ondo Ossa. Nous savons ce qu'il pense du Gabon. Nous avons à l'esprit l'ensemble des projets du professeur Albert Ondo Ossa pour le Gabon et nous les défendons ici. Nous les proposons ici au niveau du dialogue national et inclusif à Angondjé, et je pense que, si elles sont retenues, ça veut dire que l'ensemble des Gabonais y trouve une nouvelle espérance et ce sera admis.
Fri, 12 Apr 2024 - 926 - Football: au Cameroun, «le discours du président Biya a emmené le ministre des Sports à choisir un nouveau sélectionneur»
Au Cameroun, le match est serré entre la star Samuel Eto'o et le ministre des Sports, Narcisse Mouelle Kombi, qui veut imposer son entraîneur à la tête de l'équipe nationale de football. Depuis une semaine, les rebondissements se multiplient. Qui va gagner ? Le président de la Fédération camerounaise de football ou le ministre des Sports ? Le journaliste Jean-Bruno Tagne connaît bien la légende du football Samuel Eto'o. Il a été son directeur de campagne en 2022 et a récemment publié sur lui le livre « L'arnaque» aux éditions du Schabel. En ligne de Yaoundé, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Pourquoi le ministre camerounais des Sports veut imposer à la Fécafoot un sélectionneur dont Samuel Eto'o ne veut pas ?
Jean-Bruno Tagne : Je pense qu’il faut remonter à ce qu'on peut considérer comme le discours fondateur de cette crise. Et ce discours fondateur, c'est celui de Paul Biya, le 10 février 2024, au cours duquel il constatait qu'il y avait eu des échecs, notamment lors de la Coupe d'Afrique des nations en Côte d'Ivoire. Et, dans ce même discours, il disait qu'il avait donné des instructions fermes au gouvernement et au ministère des Sports pour remettre un peu d'ordre dans la maison. Donc on peut subodorer que c'est ce discours du président de la République qui a mené le ministre des Sports à prendre les devants pour choisir un nouveau sélectionneur pour les Lions indomptables. Surtout que, quand vous voyez tous les actes du ministre des Sports, il cite toujours les très hautes instructions du président de la République.
Donc, a priori, le ministre des Sports est soutenu par le président Paul Biya ?
Absolument. Quand on regarde tous les textes qui ont été pris par le ministre des Sports, il rappelle toujours que ce sont de très hautes instructions de la présidence de la République. Donc on voit très mal comment le ministre des Sports aurait pu prendre sur lui de faire le choix d'un nouveau sélectionneur pour les Lions indomptables.
Alors Samuel Eto'o affirme que le choix d'un sélectionneur est de sa compétence, et pas de celle du ministre, il a raison ou non ?
Il faut dire qu’effectivement, ce qui s'est passé avec le choix du nouveau sélectionneur, c'est le fait du prince. Il y a une véritable bataille juridique sur cette question-là. Il y a la fédération camerounaise de football qui s'appuie sur un décret du président de la République de 2014 qui est venu, en quelque sorte, rétrocéder la gestion de la sélection nationale à la Fédération camerounaise de football. Donc la Fécafoot de Samuel Eto'o brandit ce décret du 26 septembre 2014, mais en ignorant superbement une convention entre le ministère des Sports et la Fécafoot, qui a été signée cette fois en 2015 pour venir préciser les contours de l'application de ce décret du président de la République. Et le ministère des Sports, lui, brandit simplement cette convention-là. Donc il y a cette querelle juridique-là qui est difficile à trancher, parce que les arguments d'un côté comme de l'autre se valent.
Samedi 6 avril, Samuel Eto'o a fait savoir qu'il n'acceptait pas le Belge Marc Brys à la tête de l'équipe nationale masculine et qu'il nommerait son propre sélectionneur d'ici mardi. Mais lundi 8 avril, le Belge Marc Brys a signé son contrat à Yaoundé. Du coup, est-ce que Samuel Eto'o ne se retrouve pas piégé ?
Je vois mal comment Samuel Eto'o pourrait nommer un autre sélectionneur à la tête de l'équipe nationale de football du Cameroun. Et cela pour des raisons objectives. D'abord, ce n'est pas lui qui paye, donc il va lui être difficile d'imposer quoi que ce soit. Et, deuxième chose, je ne vois pas quel entraîneur sérieux pourrait accepter de se lancer dans une telle aventure. Il faudrait être sacrément désespéré comme entraîneur pour accepter d'être nommé à la tête de la sélection nationale du Cameroun alors que le monde entier a été témoin de la prise de fonction du Belge Marc Brys. Donc, en réalité, le match est plié, Samuel Eto’o a perdu.
Et de fait, aucun sélectionneur bis n'a été nommé par la Fécafoot entre samedi et mardi. Est-ce à dire qu'aujourd'hui Samuel Eto'o rend les armes ?
Alors jusqu'à présent, Samuel Eto’o n'a pas mis sa menace à exécution, mais, en même temps, il faut rester très très prudent parce que Samuel Eto’o, c'est quelqu'un de déterminé, il ne s'avoue jamais vaincu en bon attaquant qu'il fut, donc il est possible qu'il puisse aller jusqu'au bout de sa logique. Mais ce ne serait qu'un acte de bravade et rien de plus, parce qu’il n’y aura pas deux sélectionneurs à la tête de l'équipe nationale de football du Cameroun, ce n'est pas possible.
Un ministre des Sports qui impose un sélectionneur à sa fédération, ce n'est pas très bien vu dans le monde du football international, est-ce que Samuel Eto'o peut former un recours devant la CAF, la Confédération africaine de football, ou la Fifa?
Alors, il faut qu'on soit d'accord sur le principe, le football, dans tous les pays normaux, se gère par les fédérations, donc normalement, les ministères n'ont rien à voir dans le choix de l'encadrement technique. Et donc, le Cameroun est une curiosité mondiale, parce que j'imagine que le monde entier se gausse en apprenant qu'au Cameroun, il y a des menaces de bicéphalie à la tête d'une sélection nationale. Donc c'est très mal vu. Mais je serais bien surpris que Samuel Eto'o attaque cette affaire devant la Fifa, parce qu'en réalité, s’il attaque, la Fifa risque de suspendre le Cameroun et là, encore, c'est lui qui serait perdant parce qu’il deviendrait président en réalité d'une coquille vide, parce que, qu'est-ce qu'un président de fédération si son équipe nationale ne peut participer à aucune compétition ?
Thu, 11 Apr 2024 - 925 - Présidentielle au Cameroun: «Je suis sensible à la proposition d'un pouvoir de transition», dit Cabral Libii
Au Cameroun, l'opposition se met en ordre de bataille à l'approche de la présidentielle de l'an prochain. En 2018, à la dernière présidentielle, le jeune Cabral Libii, 44 ans, était arrivé officiellement troisième à la surprise générale. Sera-t-il candidat l'année prochaine ? Ce n'est pas encore certain. De passage à Paris, le président du Parti camerounais pour la réconciliation nationale (PCRN), dévoile sa stratégie.
RFI : À la présidentielle 2018, vous avez créé la surprise en arrivant troisième et pour les législatives de 2020, vous vous êtes présenté au nom du parti PCRN, vous avez gagné cinq sièges de députés. Mais, depuis quelques mois, le fondateur du PCRN, Robert Kona, veut vous évincer de ce parti. Est-ce, faute de parti, vous ne risquez pas d’être interdit de candidature à la présidentielle de l’année prochaine ?
Cabral Libii :D’abord, vous faites bien d’évoquer une tentative d’éviction. Mais ce n’était qu’une tentative malheureuse… Parce que les autres fondateurs – ils étaient trois à la création de ce parti – les deux autres fondateurs ont pris leur responsabilité pour essayer de ramener à la raison l’autre fondateur qui est manipulé par le pouvoir, parce qu’il a fait l’aveu public de ce qu’il agissait sur instruction du ministre de l’Administration territoriale (Minat). Il a clairement affirmé devant les journalistes que l’objectif de toute cette manipulation était de m’empêcher d’être candidat à l’élection présidentielle, parce que le PCRN, ayant des élus, est en capacité d’investir un candidat à l’élection présidentielle.
Donc, c’est un acharnement sans précédent qui montre bien que l’objectif, comme l’a dit l’ex-président du parti, est de m’empêcher d’être candidat à l’élection présidentielle. Mais ce n’est certainement pas la médiocrité manipulatoire du Minat, M. Paul Atanga Nji. Ce n’est pas la manipulation d’un ministre qui m’empêchera d’être candidat à l’élection présidentielle. Vous l’avez rappelé tout à l’heure, en 2018, je n’étais président d’aucun parti politique, eh bien, j'ai été candidat. Et pour ce coup-ci, attendons que la justice se prononce. Mais d’ici là, je reste le président national et je suis donc en capacité d’être toujours investi par le PCRN. Et je doute, au regard de ce que je viens de vous expliquer, que la justice se prononce en sa faveur.
Alors, vous n’êtes pas le seul opposant au Cameroun, il y a bien sûr Maurice Kamto, qui est arrivé deuxième officiellement à la présidentielle en 2018. Est-ce que vous n’avez pas intérêt de vous rapprocher de Maurice Kamto et de sa nouvelle alliance, l’APC, l’Alliance pour le changement ?
Il y a des démarches entreprises au Cameroun pour que les leaders politiques puissent se mettre ensemble. Il y en a principalement deux. Il y en a une qui a été initié par un collègue député, l’honorable Nintcheu, autour de la candidature du professeur Kamto. Et il y a une autre qui a été initiée par le professeur Bilé. Lui, il a une démarche qui m’accroche, moi personnellement et ceux qui me suivent.
Il propose que le peuple camerounais élise en 2025 un pouvoir de transition. Transition non pas par un coup d’État, comme on peut le voir dans certains pays, mais transition par le vote. Un pouvoir qui va faire un audit du Cameroun pendant deux ou trois ans, qui va assainir les textes, réécrire la constitution. Et moi, je suis sensible à cette proposition du professeur Bilé d’un pouvoir de transition et j’ai marqué mon accord.
Et qui serait, à ce moment, le candidat de l’Alliance pour une transition politique (ATP), que vient de former Olivier Bilé?
Déjà, l’ATP, c’est le nom que lui propose. Mais déjà, dans le groupe de travail. Ce n'est peut-être pas assez clair, mais je vous le dis quand même, je ne suis pas sûr que cela va s’appeler ATP, à l’issue de nos concertations. Mais il reste que c’est une dynamique de transition. Qui sera candidat ? Mais on avisera ! Effectivement, l’un des sujets sur lequel nous travaillons, c’est sur le profil de cette candidature, de celui qui va faire deux ou trois ans au pouvoir.
Et qui renoncerait au pouvoir à la suite ?
Et qui renoncerait immédiatement au pouvoir par la suite ! Et, d’ailleurs, dans la réflexion, certains proposent qu’il accède au pouvoir, il y renonce deux ou trois ans après et il n’est pas candidat lui-même ! C’est donc là l’une des différences avec l’autre plateforme dont je parlais tout à l’heure, où un candidat a déjà été défini et les uns et les autres sont simplement contactés pour se mettre derrière ce candidat. Ce sont deux approches diamétralement opposées.
L’autre plateforme dont vous parlez, c’est l’APC de Maurice Kampto.
En effet.
Alors que vous, vous pourriez peut-être vous effacer derrière Olivier Bilé pour la candidature en 2025 au nom de cette Alliance pour la transition politique, quitte à reporter votre candidature à plus tard, en 2027 ou 2028, une fois la transition terminée ?
Je l’ai toujours dit, je suis constant. Vous vous souvenez certainement que, même sur ces antennes, en 2018 déjà, car la question se posait, je pourrais moi m’effacer, moi, Cabral Libii, au profit d’un Olivier Bilé, puisque c’est le nom que vous avez cité ou d’un autre… D’ailleurs, à ma connaissance, M. Olivier Bilé, lui, il n’a pas encore dit s’il serait candidat… Mais dans cette plateforme, il y a, par exemple, Maître Akere Muna, le bâtonnier, qui, lui, a déjà dit qu’il était candidat pour exercer cette fonction-là.
Donc, que ce soit lui ou un autre qui aurait la faveur du choix du groupe, moi, je pourrais m’effacer en sa faveur. Tout comme je pourrais, moi-aussi, décider, le cas échéant, d’être candidat, de faire les deux-trois ans et ne pas être candidat derrière et de reporter à plus tard ma candidature. Donc, toutes les hypothèses sont ouvertes, rien n’a été arrêté.
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Wed, 10 Apr 2024 - 924 - Madagascar: l'ex-présidente de l'Assemblée nationale a été «avertie à plusieurs reprises» assure la porte-parole du gouvernement
À Madagascar, le gouvernement a réagi après la déchéance de l’ex-présidente de l’Assemblée nationale prononcée par la Haute cour constitutionnelle le 28 mars. Christine Razanamahasoa s’est vue reprocher ses propos critiques à l’égard du régime. Sur RFI le 9 avril, elle pointait un coup de force du régime pour l’écarter de ses fonctions. Lalatiana Rakotondrazafy, porte-parole du gouvernement malgache et ministre de l’Enseignement technique et de la formation professionnelle, revient sur l’affaire et défend la stricte application de la Constitution.
De notre correspondante à Antananarivo,
RFI : Près de deux semaines après sa déchéance, l’ex-présidente de l’Assemblée nationale a considéré sur RFI la procédure lancée à son encontre comme illégitime et contraire à plusieurs principes constitutionnels. Vous maintenez de votre côté votre position : c’est bien l’article 72 de la loi suprême qui a été appliquée à son cas.
Lalatiana Rakotondrazafy : Tout à fait, la situation est très claire. Madame Razanamahasoa n’avait pas respecté la ligne de conduite de son groupe parlementaire, groupe grâce auquel elle avait été élue en 2019. Alors, la sanction, elle est très claire aussi : c’est la déchéance. Il n'y a pas autre chose. On ne va pas aller parler du fait qu'elle est une présidente de l'Assemblée nationale. L'article 72 [de la Constitution] ne pose absolument aucune conditionnalité à son application. On est dans une situation de déchéance, une procédure purement politique pour n'importe quel député. Et Madame Razanamahasoa étant une juriste chevronnée, elle est quand même censée comprendre cela.
La procédure de déchéance a été particulièrement expéditive – 48 heures seulement – est-ce qu’il y avait eu des rappels à l’ordre avant d’en arriver à cette sanction sans issue possible ?
Écoutez, il faut quand même dire que Madame Razanamahasoa avait été avertie à plusieurs reprises. On l'avait mise en garde, on lui avait dit : « Écoutez, madame, vous déviez vraiment de la ligne de conduite ». Il ne faut pas oublier qu'elle, contrairement aux prescrits constitutionnels, avait voulu que les élections [présidentielles de novembre 2023] ne se tiennent pas. C'est quand même quelque chose d'absolument inacceptable et inadmissible. D'autant plus que le fondateur de la coalition politique dans laquelle elle était [Andry Rajoelina] est quand même candidat à cette élection-là. On l'avait mise en garde à plusieurs reprises avec cela, mais c'était resté vain.
Plus récemment, Madame Razanamahasoa a pointé une situation sociopolitique qu'elle juge délétère à Madagascar et estimé que derrière cela, il n’y aurait non pas un système, mais des hommes. Vous vous en étonnez, puisque vous dites que Madame Razanamahasoa a elle-même fait partie du système pendant 15 ans.
Alors, je ne sais pas de quelle personne elle parle, mais si elle parle du président Rajoelina, c'est quand même de l'ingratitude dans toute sa splendeur. Et c'est absolument scandaleux d'entendre quelqu'un qui avait profité du système depuis 2009, qui avait gravi tous les échelons, qui est restée ministre pendant plusieurs années, qui est restée présidente de l'Assemblée nationale pendant quatre ans et qui, maintenant, dit qu'elle avait été trompée depuis 2009 alors qu'elle est restée dans le système jusqu'en 2024. Donc, elle est restée pendant 15 ans et c'est seulement après 15 ans qu'elle s'est rendue compte qu'elle avait été trompée en 2009 ? Ça n'a absolument aucun sens et c'est pour ça qu'on se dit, il faut quand même dénoncer parce que c'est comme si elle insultait l'intelligence des Malgaches et ce n'est pas quelque chose qu'on peut accepter.
En plus de Christine Razanamhasoa, Isabelle Delattre, l'ambassadrice de l'Union européenne à Madagascar, a fait l'objet récemment d'une procédure de rappel, après ses propos contre la mesure de castration des violeurs d'enfants, défendue par le régime. Que répondez-vous à ceux qui y voient une tentative de museler les voix critiques ?
Je tiens juste à dire que le gouvernement n'a pas souhaité s'exprimer sur le sujet parce que la démarche a été faite de manière confidentielle. Mais je souhaiterais quand même préciser qu'on n'a jamais déclaré un quelconque représentant d'un organisme international, un quelconque ambassadeur ou diplomate persona non grata, pas jusqu'à maintenant à Madagascar, ça, c'est une première chose. Et une deuxième chose, à chaque fois que le régime fait quelque chose, on tente de l’accuser de porter atteinte à la liberté. Mais un pouvoir, c’est un pouvoir. On peut aussi user des moyens que nous avons entre nos mains, c’est tout.
Dans ce climat politique et institutionnel tendu, les élections législatives du 29 mai se préparent. Sept ministres du gouvernement se sont lancés dans la course, pourquoi cette mobilisation ?
C'est une manière d'acquérir une certaine légitimité populaire, et puis le président de la République a vraiment besoin d'une majorité et d'une majorité solide, stable à l'Assemblée nationale. Donc, nous sommes vraiment dans cette logique-là. Et si notre coalition a aligné des ministres, c'est que nous pensons que nous avons plus de chances de gagner des sièges à l'Assemblée nationale et donc de conforter cette majorité-là.
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Wed, 10 Apr 2024 - 923 - Madagascar: déchue après ses propos critiques, Christine Razanamahasoa «ne regrette pas» ses déclarations
Depuis que son sort a été scellé le 28 mars à l'issue d'une procédure particulièrement rapide, l'ex-présidente de l'Assemblée nationale Christine Razanamahasoa s'exprime pour la première fois. La coalition présidentielle IRD, à l'origine de la requête en déchéance, reprochait à la cheffe de la chambre basse d'avoir dévié de la ligne de conduite du groupe. Ces derniers mois, Christine Razanamahasoa avait multiplié les prises de positions critiques à l'égard du régime.
RFI : En 48 heures, vous avez perdu votre titre de députée et de cheffe d’institution. Vous présidiez l’Assemblée nationale depuis 2019. Comment vous sentez-vous et comment avez-vous accueilli cette décision ?
Christine Razanamahasoa : J’ai été choquée de ce procès qui s’est déroulé dans une célérité inhabituelle. Une célérité suspecte. On m’a accordé seulement 48 heures après la notification de requête en déchéance pour préparer ma défense. Ceci nous fait croire que c’était un procès téléguidé, un procès expéditif et qu’il fallait à tout prix déchoir Christine Razanamahasoa de sa qualité de députée et la destituer du perchoir de l’Assemblée nationale, sans même m’avoir accordé de présenter ma défense.
Pour justifier cette sanction, la coalition présidentielle défend de son côté l’application stricte de la Constitution et de son article 72, qui dit qu’un député risque la déchéance s’il dévie de la ligne de conduite de son groupe. Que répondez-vous ?
Pour mon cas, il faut lire et combiner l’article 72 à l’article 73, parce qu’aucun député ne saurait faire l’objet d’une poursuite pour des opinions qu’il a émises sur des situations ou des sujets politiques. Le régime a l’habitude d’agir dans cette sorte. Ce sont des actions au forcing, parce que la HCC, quand elle tranche, c’est le dernier ressort, il n’y a plus de recours possible. Et je crois qu’elle profite de ce caractère qui est reconnu à sa décision, pour prononcer des décisions de la sorte, de manière que personne ne puisse contester.
Si on se tourne vers l’avenir, notamment les élections législatives du 29 mai, comptez-vous vous représenter dans votre circonscription ?
Oui, tout à fait j’ai l’intention de me présenter dans ma circonscription, étant entendu que c’est la voix du peuple qu'il faudrait écouter et le peuple le réclame incessamment. Je me présenterai sous l'étiquette indépendante. Il n’y a pas d’alliance [avec l’une ou l’autre des plateformes d’opposition] pour l’instant.
Vous faites le choix de l'étiquette indépendante alors que nombreux, notamment dans votre famille politique d’origine, vous disait déjà membre de l’opposition compte tenu de votre discours, est-ce que c’est une manière de leur répondre ?
Je voudrais leur prouver qu'ils se sont trompés peut-être sur les opinions qu'ils ont émises sur ma personne. Ceci ne fera que corroborer, justement, que je me suis toujours mise au milieu, de manière très objective quand j'ai prononcé mes discours. Je ne saurais jamais me rendre complice de la situation actuelle dans laquelle se trouve le pays. Mon pays s'enlise de jour en jour dans la pauvreté et, dans de sombres horizons.
Au fil de vos prises de paroles critiques, vous êtes devenue l'une des principales figures contestataires du pays. Est-ce que vous pourriez un jour créer votre propre mouvement ?
Je n’exclus pas de peut-être créer ma plateforme mais avec la coalition des groupes ou des partis qui épousent les mêmes objectifs et la même idéologie que j’ai en mon fort, pour contrebalancer, pour faire le poids contre le régime en place.
Aujourd’hui, plus rien ne vous relie à votre parti d’origine, est-ce que c’est un soulagement pour vous ?
Oui, je me suis libérée d'un lourd fardeau. Et je ne réclame pas le regret de mes déclarations. On ne peut plus laisser cette fâcheuse liberté de mener le pays dans une situation chaotique qu'est l'extrême pauvreté.
Tue, 09 Apr 2024 - 922 - «Au Mali, Niger et Burkina, à cause de l’insécurité, les écoles ferment plus qu’elles ne rouvrent»
Au Sahel, plus de dix millions d’enfants ont besoin d’une aide d’urgence, selon les données publiées en avril par l’Unicef. Le nombre d’enfants actuellement pris en charge pour malnutrition n’a jamais été aussi important depuis 2019. Le Béninois Gilles Fagninou est le directeur régional de l’Unicef pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre. En dépit des annonces des régimes militaires au pouvoir au Mali, Niger et Burkina, il pointe l’expansion de la menace sécuritaire dans ces trois pays et ses conséquences pour l’alimentation et la scolarisation des enfants.
RFI : Selon les dernières données de l’Unicef, le nombre d’enfants souffrants de malnutrition au Sahel ne cesse d’augmenter, les admissions pour « malnutrition aiguë sévère » ont augmenté de 16 % entre 2022 et 2023 et les enfants traités n’ont jamais été aussi nombreux depuis cinq ans.
Gilles Fagninou : C’est vrai quela situation de nutrition et la situation de sécurité alimentaire est pire que cela ne l’était pendant les années précédentes. Surtout au Sahel central…
Mali-Niger-Burkina…
Exactement, Mali-Niger-Burkina. Mais également, il y a ce que nous appelons un « spillover » (débordement - NDLR) vers les pays côtiers, notamment le Bénin, le Togo, le Ghana et la Côte d’Ivoire, où la situation aussi, surtout dans la partie Nord, se dégrade progressivement.
Il y a les problèmes d’alimentation, mais vous pointez aussi, à l’Unicef, des difficultés dans le secteur éducatif…
Oui, depuis les années 1960 et les indépendances, jusqu’à nos jours, l’offre de nombre de places pour les enfants n’a jamais suivi la croissance démographique. Les enfants en dehors de l’école ont été croissants, l’effectif absolu a toujours été croissant. À cela s’ajoutent les conséquences de l’insécurité, parce que l’insécurité est fortement corrélée avec des écoles fermées. Actuellement, dans la région, il y a 12 000 écoles qui sont fermées à cause de la situation d’insécurité.
Cela veut dire qu’au Mali, au Niger, au Burkina-Faso, actuellement, il y a plus d’écoles qui ferment que d’écoles qui rouvrent leurs portes ?
Oui, absolument. Le rythme de fermeture est un peu élevé et les ouvertures d’écoles sont plutôt rares. C’est clair, il faut le dire.
Donc la principale cause, c’est l’expansion de la menace sécuritaire ?
Oui, c’est l’insécurité, globalement. Qu’elle soit jihadiste ou militaire, c’est l’insécurité qui fait que ces écoles ferment.
Pourtant, les régimes en place dans les pays du Sahel central, Mali-Niger-Burkina, ont fait de la sécurisation des pays une priorité. Et les autorités assurent, d’ailleurs, que la menace terroriste se réduit. Est-ce que l’accès humanitaire à l’intérieur de ces pays ne s’améliore pas ?
C’est trop tôt pour tirer des conclusions. Même si on fait l’hypothèse que la situation s’améliore, cela ne veut pas dire que, du jour au lendemain, toutes les écoles s’ouvrent, les enseignants reviennent, les populations reviennent et tout recommence comme c’était avant. Non, ce n’est pas aussi automatique.
Au Mali, la région de Kidal a été reprise en novembre dernier par l’armée malienne aux groupes rebelles qui l’administraient dans le cadre de l’accord de paix de 2012, qui a depuis été rompu. Est-ce que cette « reconquête », selon le terme des autorités de transition, permet des améliorations sur le plan humanitaire, pour l’accès aux populations ?
Comme je l’ai dit tantôt, c’est trop tôt pour le dire. Ce que je voudrais dire ici, c’est l’importance qu’aucun enfant ne soit laissé derrière. Que l’enfant soit dans la capitale ou au milieu de zones de conflits, de l’assister en cas de besoin. C’est cela qui est le plus important.
Et c’est sans doute cela qui est le plus difficile en ce moment ?
C’est extrêmement difficile, mais on est là pour ça. Il faut faire en sorte qu’aucun enfant ne soit abandonné.
Ça, c’est le but…
C’est l’objectif.
Et la situation ?
La situation est telle que vous la connaissez ! Et nous avons mis des moyens en place pour nous assurer que l’éducation alternative devienne une réalité.
C’est quoi l’éducation alternative ?
C’est l’éducation par les nouvelles technologies, par la radio… Donc, ceux qui sont aujourd’hui dans les zones où 12 000 écoles sont fermées ont accès à une forme d’éducation.
Le chiffre de 12 000, c’est dans les trois pays du Sahel ?
Ces 12 000, c’est en Afrique de l’Ouest et du Centre, mais le gros lot est évidemment dans les pays du Sahel. Plus de la moitié se trouve dans les pays du Sahel central.
Après les coups d’État militaires qui ont eu lieu dans ces trois pays, Mali, Niger, Burkina Faso, l’aide humanitaire internationale, française notamment, à destination de ces pays s’est réduite. Quel impact sur le terrain pour vos activités, pour les populations ?
Je ne ciblerai pas nécessairement un pays. Je dirais oui, les crises de l’Afrique de l’Ouest et du Centre et les crises du Sahel sont des crises qui sont oubliées. La géopolitique internationale, on la connaît. L’aide et le soutien, ça va ailleurs. Mais nous pensons que c’est une mauvaise tactique. Il y a des besoins. Sur un budget de 1,9 milliard de dollars, nous n’avons pu rassembler que 500 millions pour l’année 2023.
Pour réaliser les objectifs de l’Unicef dans les pays du Sahel ?
Exactement. Le besoin est énorme et s’élève à, à peu près, 1,9 milliard de dollars.
Tue, 09 Apr 2024 - 921 - Génocide des Tutsis au Rwanda: à l'époque, «il était difficile de mettre un nom sur ce qui se tramait»
Au Rwanda, il y a 30 ans, Pourquoi les diplomates et les militaires étrangers qui étaient sur place n’ont pas voulu en voir les signes annonciateurs, dans les six mois qui ont précédé la tragédie ? C’est le thème du roman « Avant la nuit », que publie Maria Malagardis, chez Talent Éditions. La plupart des personnages et des événements décrits dans le livre ont réellement existé. Maria Malagardis, qui est grand reporter au journal français Libération, répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Dans votre livre Avant la Nuit, vous racontez la montée des périls au Rwanda, dans les six mois qui précèdent le génocide. Nous sommes avec deux casques bleus, un officier canadien et un officier sénégalais, qui enquêtent sur l’assassinat de six enfants hutus, un crime qui a vraiment eu lieu en novembre 1993. Les regards se tournent vers les rebelles du FPR, mais, en fait, c’est beaucoup plus compliqué que cela.
Maria Malagardis : Oui, ce qu’ils vont découvrir, peu à peu, chapitre après chapitre, c’est que c’est vraisemblablement une manipulation, forcément monstrueuse, pour susciter, on suppose, la colère des habitants, des familles concernées. Et, finalement, il s’agira, bien sûr, du déclenchement du génocide, avec les signes annonciateurs que l’on découvre mois après mois et qui sont souvent des épisodes qui ont vraiment eu lieu.
Votre livre nous permet de recroiser des personnages qui ont vraiment vécu, comme le sinistre Théoneste Bagosora, l’un des cerveaux du génocide. Et comme le général Dallaire, le chef canadien des casques bleus. Vous racontez comment un informateur rwandais haut placé, prénommé Jean-Pierre, prévient le général Dallaire dès le mois de février 1994 que les autorités rwandaises sont en train de constituer des listes de Tutsis à éliminer.
Oui, absolument, Jean-Pierre a existé. Sous ce nom, il a décidé de livrer des informations à l’ONU et au général Dallaire. Sauf que, à New York, on va refuser d’exfiltrer cet homme et sa famille, qui était la condition pour laquelle il était prêt à livrer tout ce qu’il savait. Et Jean-Pierre va disparaître dans la nature quand il va voir que la communauté internationale ne souhaite pas l’aider à quitter le pays.
Vous dîtes que Jean-Pierre informe le général Dallaire de l’existence de caches d’armes et que, du coup, le général Dallaire se met à rechercher ces caches. Et qu’à chaque fois qu’il se rend sur un site, il n’y a plus aucune arme sur place. Comme si quelqu’un avait averti les extrémistes hutus qu’il fallait les enlever à la dernière minute… Et vous évoquez l’existence d’un espion des extrémistes hutus à l’intérieur du quartier-général de l’ONU, l’informaticien Calixte. A-t-il vraiment existé ?
C’est encore une fois un personnage composite. Il y a eu un informaticien qui se prénommait Calixte, qui travaillait dans une autre organisation des Nations unies et qui va se révéler un fervent défenseur de l’idéologie génocidaire et qui va prendre part au génocide. Mais il y avait des soupçons que la mission de l’ONU était gangrénée par des espions. En fait, ce qui est fascinant, quand on regarde les mois qui précèdent le génocide, c’est de se rendre compte du nombre de choses que l’on savait. Avec toute la difficulté, parce qu’il ne faut pas, non plus, céder au regard rétrospectif… Avec toute la difficulté, peut-être, d’envisager l’énormité du projet.
Vous racontez aussi, Maria Malagardis, comment une note des services secrets belges (on est au mois de février 1994) avertit le gouvernement de Bruxelles que les autorités rwandaises pourraient planifier l’assassinat de casques bleus belges pour les pousser à partir.
Oui, ça fait partie des aspects les plus dingues.
Elle a vraiment existé cette note !
Elle a vraiment existé cette note, elle est disponible désormais, elle a été déclassifiée. Elle a été transmise au corps diplomatique sur place, elle a circulé dans les chancelleries. Ce qu’explique le major Hock, à l’époque le plus haut responsable des services secrets belges, c’est que, vraisemblablement, cet assassinat est planifié pour pousser les Casques bleus à partir. Et c’est effectivement ce qui va se passer [le 7 avril 1994], ce qui laissera le champ libre aux génocidaires pour procéder au massacre.
Ces dix casques bleus belges, ils ne sont pas morts instantanément, ils ont d’abord été désarmés, puis faits prisonniers, puis massacrés. Cela a duré plusieurs heures. Apparemment, quand le chef de ces dix casques bleus envoie par talkie-walkie l’information à ses supérieurs de Kigali qu'« On nous demande de désarmer… », le chef de Kigali leur dit « Obéissez. ». Cela malgré cette note, deux mois plus tôt, des services secrets belges.
Oui, c’est quelque chose qui revient souvent dans le roman. Je pense que cela fait partie, certainement, de la nature humaine. On a du mal à accepter que le pire soit en train de se produire. Cet officier, qui était leur supérieur, à ce moment-là, dans la stupeur du 7 avril au matin, au lendemain de l’attentat contre l’avion du président Habyarimana, il sent bien que la situation dérape, mais il ne peut pas imaginer que cela ira jusqu’à l’assassinat, qui a été effectivement atroce. Voilà, c’est difficile de mesurer l’ampleur d’une catastrophe et je pense, j’imagine, qu’on le constate à plusieurs périodes de l’Histoire.
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Mon, 08 Apr 2024 - 920 - Rwanda: «Si la France avait été convaincue des risques d’un génocide, elle aurait pu persuader Habyarimana de faire marche arrière»
Que savait la France de la mécanique génocidaire enclenchée au Rwanda au début des années 90 ? Pouvait-elle contrecarrer le projet des extrémistes du régime Habyarimana ? Ces questions ont été relancées par les propos d’Emmanuel Macron selon qui la France « aurait pu arrêter le génocide » des Tutsis, mais n’en a « pas eu la volonté ». Un homme détient une partie des réponses. Cet homme, c’est le général Jean Varret.
De 1990 à 1993, Jean Varret a été chef de la mission militaire de coopération. Il a vu des signes avant-coureurs des massacres au Rwanda, a tenté d’alerter, de s’opposer, mais il n’a pas été entendu. Il a même été mis à l’écart. C'est ce qu'il raconte à RFI, à l'occasion des trente ans du génocide des Tutsis au Rwanda, ce dimanche.
RFI : Le président Emmanuel Macron estime que la France aurait pu arrêter les massacres lors du génocide des Tutsis, mais n’en a pas eu la volonté. Vous n’étiez plus sur place quand le génocide a démarré, mais diriez-vous que dans la période de 1990 à 1993, où vous étiez chef de la mission militaire de coopération au Rwanda, si les autorités avaient donné les bonnes instructions, on aurait pu endiguer la mécanique génocidaire.
Général Jean Varret : C’est certain. Absolument. Parce que la France était très proche du Rwanda et les deux présidents s’appréciaient, se téléphonaient. Mais, attention, il aurait fallu commencer tôt, c’est-à-dire dès 1989, 1990… Dates auxquelles le processus du génocide s’est mis en place, progressivement. Ça aurait été trop tard, en 1993. La machine était lancée. Mais je pense que, dès le départ, vers 1989-1990, la France, si elle était convaincue des risques d’un génocide, aurait pu persuader Habyarimana de faire marche arrière.
Est-ce que les signes étaient clairs, à cette époque-là, du risque de génocide ?
Ces signes étaient clairs pour peu de monde. Un chef de coopération militaire a 26 pays et, dans chaque pays, il y a un colonel. Dans le cas du Rwanda, il y avait un colonel, qui s’appelle René Galinié, et ce monsieur était en place depuis deux ans quand j’ai pris mes fonctions en 1990. Donc il connaissait très bien le Rwanda et avait très vite vu des signes avant-coureurs d’un risque à soutenir la politique française menée au Rwanda. Il m’en a fait part dès que j’ai pris mes fonctions, au travers d’écrits, au travers de coups de fil, etc. Je me suis rendu sur place très vite, avant la fin de l’année 1990. Et là, il m’a expliqué -très clairement- les dérives possibles de notre politique française. Donc, lui était déjà très sensibilisé et je dois dire que ses arguments m’avaient convaincu. J’ai multiplié les allers-retours. Je crois qu’en l’espace de six mois, je suis allé quatre fois au Rwanda. À chaque fois, j’ai pu constater que René Galinié avait raison.
Que vous disait précisément René Galinié sur les risques qui existaient ?
René Galinié me disait que le pouvoir hutu devenait un pouvoir dictatorial et considérait que la minorité tutsi était les ennemis des Hutus. Or, Galinié, très tôt, m’a dit, le gouvernement français - enfin, l’équipe dirigeante française - considère, comme les Hutus, que les Tutsis sont des ennemis. Galinié, là-dessus, m’a convaincu très vite que la politique de la France considérant les Tutsis comme ses ennemis était erronée. Jusqu’au jour, très tôt d’ailleurs, autour du deuxième voyage que j’ai fait, où le chef d’état-major m’a demandé d’aller à une réunion qu’il avait montée avec les gendarmes. Et là, le chef de la gendarmerie, un certain Rwagafilita, me demande des mitrailleuses, des mortiers… Alors, j’ai dit : « Mais la coopération militaire française n’est pas là pour équiper la gendarmerie comme une armée ! Moi, je veux bien vous donner des gilets pare-balles, des casques, des grenades lacrymogènes et continuer à vous former au maintien de l’ordre, à la lutte, peut-être, contre les manifestations, s’il y en a, en particulier des Tutsis, mais certainement pas des armes de guerre !» Devant la sécheresse de mes réponses, le chef d’état-major dit que la réunion est terminée et le chef des gendarmes demande simplement à me voir en tête-à-tête, si je suis d’accord. Et là, il me dit froidement : « Écoutez, si je vous ai demandé ces armes létales, ces armes de guerre, c’est parce que nous allons participer, nous gendarmes, avec l’armée rwandaise, l’armée hutue, à la liquidation de tous les Tutsis. » « Comment, je dis, tous les Tutsis ? » « Oui, les femmes, les enfants, les vieillards, tous ceux qui sont sur place. Rassurez-vous, ça ira assez vite, ils ne sont pas très nombreux. »
Il emploie ces mots : « Nous allons participer à la liquidation de tous les Tutsis. »
Oui, c’est la phrase exacte, je l’ai toujours en mémoire. Et la phrase complémentaire : «Rassurez-vous, ce sera vite fait. Ils ne sont pas très nombreux. »
Vous prévenez Paris de cet entretien ?
Alors, évidemment, je prenais l’avion quelques heures après pour retourner en France. Et je demande immédiatement à voir Habyarimana lui-même, le président, qui m’avait déjà reçu pour me demander différents apports d’armements et autres, il demandait une augmentation de la coopération militaire. Je demande à le voir et je passe voir l’ambassadeur, qui s’appelle monsieur Martre à l’époque, je lui dis ce que je viens d’entendre et je demande à aller voir Habyarimana. L’ambassadeur me dit : « Allez-y, je n’ai pas le temps d’y aller, je ne peux pas.» Je vois Habyarimana, non pas au palais, mais chez lui, car il était tard. Je dis ce que vient de me dire Rwagafilita. Et là, il se lève, furieux, et il me dit : « Il vous a dit ça, ce con-là ? » Toujours la phrase exacte… Je dis « Oui ! » « Eh bien, je le vide. » D’abord, il n’a pas été vidé. Je ne sais pas s’il était furieux parce que Rwagafilita avait vendu un projet secret ou, simplement, parce qu’il trouvait que ce n’était pas à lui de dire ça… Je ne sais pas, mais, enfin, il était furieux. Dans l’avion, je rédige un télégramme, un TD secret-défense, que j’adresse à mon ministre -au ministre des Armées- et à l’état-major particulier du président.
Quel est le retour qui vous est fait des autorités françaises sur ce télégramme diplomatique ?
Aucun. Aucune réponse. On ne me dit pas que j’ai tort. On ne me dit pas que c’est faux. Apparemment, on n’en tient pas compte. Je dis bien « apparemment ». Mais ce télégramme a été lu puisque, très longtemps après, un des lecteurs m’en a fait allusion.
Est-ce qu’il y a d’autres situations qui vous ont alarmé ?
Oui, parce qu’après, quand je retournais au Rwanda ou quand je communiquais avec Galinié, les massacres des Tutsis commençaient, en particulier au nord-est du pays, c’est-à-dire dans le fief des Hutus extrémistes. Et puis dans le sud, et ça touchait aussi les Hutus modérés. Donc les massacres se multipliaient. Parallèlement, la pression de l’état-major particulier du président français s’accentuait sur moi pour que je réponde positivement aux demandes de renforcement militaire de la coopération. Ces deux contradictions me montraient que la situation devenait très grave.
Tous les éléments dont vous disposez veulent dire que les autorités à Paris savent donc ce qui se trame ?
Je ne sais pas s’ils savent ce qui se trame. Enfin, Galinié et moi, on l’a dit. On l’a dit oralement, dans la cellule de crise, et on l’a dit par écrit. Mais on n’est pas cru. Je pense que ni Galinié, ni moi, ni même un rédacteur du Quai d’Orsay qui s’appelait Antoine Anfré [Antoine Anfré a depuis été nommé ambassadeur de France au Rwanda, en juin 2021, NDLR]. Ce rédacteur avait senti la chose, mais il n’a pas été écouté. Galinié et moi, nous n’avons pas été écoutés. Je pense qu’on était minoritaires, tellement minoritaires que nos voix n’étaient pas audibles.
Justement, lors des réunions de la cellule de crise auxquelles vous participez par la suite, quelle est l’attitude que vous tenez et quel est l’accueil que vous recevez ?
Alors, dans les cellules de crise, il y avait le représentant du Quai d’Orsay, le représentant de la défense, le représentant de la coopération (en général, c’était moi) et puis le représentant de l’Élysée, le chef d’état-major (ou son adjoint) de l’état-major particulier du président. Dans ces réunions, on discutait de l’apport, du renfort, de l’aide qu’on devait apporter au gouvernement rwandais dans ses combats contre les Tutsis. Et moi, à chaque fois, je disais « Non, ce n’est pas la peine de leur envoyer des canons de plus. Non, il ne faut pas leur envoyer des mitrailleuses de plus, etc. ».
Au bout d’un moment, on ne tenait plus compte de mes restrictions. Au contraire, on m’enlevait des prérogatives que le chef de coopération militaire a, c’est-à-dire, dans les pays du champ, tous les militaires qui sont sur place dépendent de lui. C’est comme cela que des unités spéciales qui étaient dans un camp au Rwanda, chargées de former des cadres hutus, j’apprends que ces unités spéciales, qui étaient sous mes ordres, avaient été faire une reconnaissance en Ouganda en franchissant la frontière sans mon autorisation. Donc, non seulement, je les engueule, mais je fais également une information en disant que c’est inadmissible que cette unité ait transgressé mes ordres. Quand je rentre à Paris, j’ai un télégramme sur mon bureau disant que les unités spéciales mises dans le camp de Gabiro ne sont plus sous vos ordres. Donc, petit à petit, je comprends que non seulement je ne suis pas écouté, mais que je gêne. Je ne suis plus convoqué aux cellules de crise. En mon absence, certains ont dit : « méfiez-vous de Varret», autrement dit, ne l’écoutez pas.
Avant la fin de ma troisième année, le ministre, très gêné, me dit : « Je viens d’apprendre que vous êtes remis à la disposition du ministre de la Défense, que vous quittez vos fonctions et que vous êtes remplacé par ce jeune général.» J’appelle la Défense qui me dit : « Effectivement, vous allez être nommé gouverneur militaire du nord de la France. » Et moi, je dis non, je ne veux pas, je n’ai pas été écouté, je demande ma démission. Ma démission, il fallait que ce soit le président qui la signe. Le président refuse de me la signer et me convoque à l’Élysée à deux reprises pour me dire : « Je ne veux pas que vous démissionniez. »
Lassé de prêcher dans le désert, lassé de ne pas être écouté et de ne pas être cru, lassé d’être mis de côté, je suis parti un an avant le génocide et j’ai volontairement fermé toutes les informations que j’avais, fermé [cessé] de m’intéresser au Rwanda. Si ce n’est que, quand le génocide s’est déclenché, j’ai essayé de contacter le président Mitterrand, ce que j’ai fait par une personne interposée. Et je lui ai fait dire : « Pourquoi n’avez-vous pas tenu compte de mes télégrammes ? » Et la réponse de Mitterrand, qui a été immédiate : « Je n’ai pas vu vos télégrammes. » Vrai ou faux ? Je n’en sais rien, mais pour moi, l’affaire se conclut comme cela.
Qui balayait le plus souvent vos réserves lors de ces discussions de la cellule de crise ?
Je dois dire, un peu tout le monde, mais, certainement, en priorité, l’état-major particulier du président.
Pourquoi, selon vous, les alertes que vous avez lancées n’ont-elles pas été entendues ?
Je pense simplement que je n’étais pas audible. Parce que je m’apercevais que, dans les réunions de crise, tout le monde était sur une même ligne. C’est-à-dire le Quai d’Orsay, la Défense, l’état-major particulier. C’est au travers de ces trois entités que se réglaient les problèmes du champ. Je n’étais pas audible parce que les trois entités que je cite étaient toutes sur la même ligne que le président Mitterrand. Et le président Mitterrand m’avait expliqué, quelques années avant, en Afrique, quelle était sa politique africaine. Sa politique africaine, c’était permettre à la France d’avoir, à l’ONU, des pays qui votaient comme elle, ce qu’on appelait « les pays du champ », et d’avoir donc du poids face aux États-Unis. Dans le cas du Rwanda, le président Mitterrand voulait absolument que le Rwanda reste francophone, au travers des Hutus, car ils étaient menacés par les anglophones, qui étaient les Tutsis équipés, armés et formés par les anglo-saxons. Car je rappelle que Kagame, le président actuel, était allé à l’école de guerre américaine et était allé dans les écoles anglaises de l’Ouganda.
C’était le regard que le président français François Mitterrand portait sur la situation au Rwanda ?
Oui, et personne autre que moi, à l’époque, à mon niveau, personne ne disait au président que dans le cas du Rwanda, cette politique pouvait amener des catastrophes. Tout le monde disait ce que Mitterrand voulait entendre.
Il y avait une volonté de plaire au prince, vous pensez ? Ou alors, c’est parce qu’il y avait une conviction qui allait dans le même sens que celle du président Mitterrand.
Certainement les deux. Il y avait quand même une conviction que Mitterrand avait raison. Et puis, une part que je ne peux pas évaluer, une part de flagornerie. Il était difficile de dire au président qu’on n’était pas d’accord. Je pense que le président avait une autorité indiscutable et un certain charisme qui faisaient que son entourage n’osait pas lui dire qu’il partait sur une fausse route.
Le général Jean Varret a signé un livre d’entretiens avec le journaliste Laurent Larcher intitulé Souviens-toi, publié aux éditions Les Arènes.
Sun, 07 Apr 2024 - 919 - Jean-Pierre Fabre: «Le Togo est devenu le champ d’expérimentation d’une poignée d'affairistes africains»
Au Togo, plusieurs partis d’opposition appellent à manifester, la semaine prochaine, contre la nouvelle Constitution que l’Assemblée nationale est en train d’établir. Le jeudi 4 avril au matin, le ministre togolais Gilbert Bawara expliquait sur RFI les avantages de cette nouvelle loi fondamentale. Voici ce matin le point de vue de l’un des leaders de l’opposition : Jean-Pierre Fabre préside l’Alliance nationale pour le changement (ANC). En ligne de Lomé, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Qu’est-ce que vous pensez de ce projet de changement de Constitution ?
Jean-Pierre Fabre :Je crois que personne n’est dupe. Tout le monde a bien compris que M. Faure Gnassingbé essaye de trouver un subterfuge qui lui permette d’échapper à la limitation des mandats. Il veut rester au pouvoir indéfiniment. C’est triste que, après vingt ans, il se livre à ce jeu-là. Et puis, dans cette affaire, personne ne se préoccupe de ce que pense le peuple togolais. Je pense que le Togo est devenu le champ d’expérimentation d’une poignée d’affairistes africains qui se réclament du panafricanisme. Et qui, à mon sens, ont trouvé un chef d’État opportuniste pour appliquer leurs thèses, qui lui conviennent pour rester au pouvoir ad-vitam æternam. Mais, vous savez, le Togo est une dictature militaire clanique à façade civile. Le cœur du système est l’armée, qui est omniprésente et omnipotente.
La semaine dernière, le président a demandé aux députés de faire une deuxième lecture de ce projet constitutionnel. Et ce mercredi 3 avril, il a reporté la date des législatives pour leur donner le temps de consulter « toutes les parties prenantes de la vie nationale». Est-ce que ce n’est pas un geste d’ouverture ?
Quand on a écouté M. Bawara hier, on comprend qu’il dit qu’ils veulent consulter le peuple, mais, dans le même temps, il affirme qu’il ne s’agit pas de revenir sur le vote du changement de Constitution. Alors, je dis, simplement, qu’il raisonne à l’envers. C’est avant de voter la modification constitutionnelle, surtout s’il s’agit d’un changement de régime, qu’il faut lancer un grand débat dans tout le pays. Car les députés ne décident pas à la place du peuple. Donc, je dis : on raisonne à l’envers. Car ce n’est pas la queue qui remue le chien, mais le chien qui remue la queue, comme le disent les anglo-saxons.
Si le bureau de l’Assemblée nationale vous propose un rendez-vous pour discuter de ce projet constitutionnel, est-ce que vous irez ou pas ?
Je ne vois pas très bien l’intérêt d’une concertation puisque M. Bawara a dit, hier, qu’il ne s’agit pas de revenir sur le vote. Pour nous, il s’agit simplement de retirer le texte. Dès le début, en ce qui nous concerne, nous avons entrepris une série d’actions dans plusieurs pays de la Cédéao et également auprès de l’institution Cédéao. Nous estimons que les pairs de M. Faure Gnassingbé, qui lui ont sauvé la mise en 2017-2018, devraient lui faire entendre raison. Et puis, au plan judiciaire, nous avons des actions en prévision dans la juridiction de la sous-région, et même au niveau continental.
Sur le fond, il est prévu donc de passer à un régime parlementaire où le nouveau chef de l’exécutif, le président du Conseil, sera élu par les députés, comme en Allemagne, en Italie ou en Grande-Bretagne, et ces trois pays sont des démocraties. Est-ce que ce n’est pas une occasion de donner plus de pouvoirs au Parlement togolais ? Et de créer, peut-être, les conditions d’une alternance démocratique ?
Pas du tout ! Pas du tout, il ne faut pas se montrer naïf et croire que ce qui les intéresse, c’est la démocratie. Ils ne respectent jamais les lois qu’ils se donnent eux-mêmes. Ce n’est pas la nature du régime qui est le problème au Togo. Le problème du Togo, c’est la gouvernance politique. Ils ne cherchent pas à être plus démocratiques ou moins démocratiques, cela ne les intéresse pas, ils veulent rester au pouvoir !
Dans le projet constitutionnel, il est prévu que le futur président du Conseil pourra être révoqué par les députés au terme d’une motion de défiance… J’entends que vous riez, mais n’est-ce pas, tout de même, un gage de démocratie ?
Non, pas du tout. Le gage de démocratie serait d’abord, si l’on veut choisir le régime parlementaire, de mettre en place un découpage électoral sérieux, équitable. Pas un découpage qui instaure plusieurs catégories de citoyens, où certains sont supérieurs à d’autres… Non.
Cette année, à la différence de 2018, vous allez participer, comme d’autres grands partis, comme la CDPA de Mme Kafui Brigitte Adjamagbo-Johnson par exemple, aux législatives. Est-ce que vous espérez obtenir assez de sièges pour peser sur le choix de ce futur président du Conseil ?
J’espère qu’ils ne passeront pas outre l’indignation du peuple pour aller vers ce système. Parce que nous allons demander au peuple de lutter contre la violation de la Constitution. Nous allons combattre ! Moi, je crois que, si M. Faure Gnassingbé veut être raisonnable, il peut faire l’économie d’une crise qui peut embraser le Togo et la sous-région.
Sat, 06 Apr 2024 - 918 - Vincent Duclert: «C’est certain, l’opération Amaryllis était en mesure d’arrêter le génocide à Kigali»
C’est une déclaration qui a suscité beaucoup de réactions. À deux jours des commémorations du 30ᵉ anniversaire du génocide des Tutsi au Rwanda, Emmanuel Macron a estimé hier, jeudi, que «la France aurait pu arrêter le génocide » de 1994, mais qu’elle « n’en a pas eu la volonté». Des propos que le président français devrait préciser dimanche dans une déclaration diffusée sur les réseaux sociaux. Comment interpréter et analyser ces propos ? La France et la communauté internationale auraient-elles pu réellement intervenir pour mettre un terme aux massacres ? L'historien Vincent Duclert, qui a présidé la commission chargée de faire la lumière sur le rôle de la France au Rwanda entre 1990 et 1994, auteur du livre La France face au génocide des Tutsi au Rwanda, est ce matin notre grand invité Afrique.
RFI :Emmanuel Macron avait reconnu en 2021 la responsabilité de la France dans le génocide des Tutsis, suite aux conclusions de votre rapport. Ce 4 avril 2024, nouvelle étape : le président français a estimé que la France aurait pu arrêter le génocide avec ses alliés occidentaux et africains, mais « elle n'en a pas eu la volonté », dit-il. Cette phrase, c'est un vrai pavé dans la mare, non ?
Vincent Duclert : Oui, tout à fait. Déjà, effectivement, le 27 mai 2021, Emmanuel Macron avait fait une avancée considérable, historique, en reconnaissant la responsabilité accablante des autorités politiques dans le génocide. Mais il avait tenu à préciser que ces autorités politiques avaient tout fait pour éviter le génocide, ce qui était un peu particulier. Il y avait vraiment eu un effet de balance, c'est-à-dire qu’il fallait rester un tout petit peu encore dans le narratif des anciennes autorités. Et on peut comprendre qu’Emmanuel Macron a eu une certaine prudence aussi, qui est tout à fait légitime, et qui n'enlève rien à son courage, il faut le reconnaître, d'avoir dit la vérité.
Et là, en fait, c'est une information qui éclaire le discours en vidéo qu'il va diffuser le 7 avril au matin. Donc ce sont des éléments de ce discours qui va installer quand même, je pense, un nouvel acte de l'effort des pouvoirs publics français pour reconnaître toute la vérité de ce qui a été réalisé par les anciennes autorités. Et là, c'est important, parce que les autorités de l'époque, essentiellement le président de la République François Mitterrand, n'ont pas du tout tout fait pour éviter le génocide. S’ils avaient fait ceci, le génocide aurait été arrêté.
C'est-à-dire qu'elle aurait pu, la France, intervenir dès le 7 avril, ou plus précisément entre le 10 et le 15 avril ?
En tout cas, on le sait, il faut souligner quand même que les militaires sur le terrain ont même été traumatisés par la manière dont ils ont été impliqués, finalement, au Rwanda, auprès d'un régime génocidaire et que ce n'était pas leur rôle. Et ils ont fait savoir qu’ils étaient prêts à d'autres actions et à d'autres missions et que c'est certain que l'opération Amaryllis était en mesure éventuellement d'arrêter le génocide à Kigali, avec toutes les armées occidentales qui étaient présentes. Il y avait tous les moyens disponibles déjà pour arrêter le processus génocidaire entre 90 et 93. Mais, là, clairement, il parle, je pense, de la phase paroxysmique, celle qui commence le 7 avril 1994. Et là, effectivement, tous les éléments sont réunis pour qu’on qualifie de génocide des Tutsis et qu’on mette des moyens militaires qui étaient sur place. On rappelle quand même qu’il y avait une opération d'évacuation, donc le lendemain du déclenchement du génocide, avec des forces spéciales françaises, des paras belges, des Casques bleus, des commandos italiens, les marines américains au Burundi. Tout ça, ça faisait quand même des forces considérables qui, effectivement, peut-être, n'attendaient qu'un ordre du politique pour intervenir contre les massacres et protéger les populations.
C'est-à-dire que, si on comprend bien, lorsque les Français et les Belges envoient leurs forces spéciales pour évacuer leurs ressortissants, elles auraient pu intervenir avec la Mission des Nations unies pour l'assistance au Rwanda (Minuar) pour essayer d'empêcher les exactions. C'est ça, concrètement, que veut dire Emmanuel Macron ?
Bien sûr, absolument, c'est tout à fait le sens de la pré-déclaration – puisqu'il y aura effectivement la déclaration du 7 avril. Mais il souligne aussi qu’il y a une difficulté, ou en tout cas une volonté, de ne pas voir le génocide. On sait, par exemple, aussi que les Nations unies, avec une forte pression de la France et de la Belgique, vont réduire la Minuar, qui passe de 2500 hommes à 250, donc ça accélère en fond le génocide. Après, il y a l'opération Turquoise, là aussi, qui n'est pas dirigée vers l'arrêt du génocide, il faut être très clair. Et ce que souligne Emmanuel Macron, c'est que le pouvoir de François Mitterrand a ignoré, voire combattu, les alertes, toutes les possibilités d'arrêter ce génocide. C'est pour ça que mon livre s'appelle Le Grand scandale de la Ve République. C'est une faillite, je veux dire, de la capacité de la France à effectivement être à la pointe de l'Histoire pour agir. Et la France était quand même leader sur le Rwanda. Et ce qui est très intéressant, je crois, aussi dans la déclaration de Macron, c'est qu’il dit quand même qu’un génocide n'est pas une fatalité. Et reconnaître cette faillite, qui est d'abord une faillite française mais aussi une faillite internationale, c'est courageux. Moi, j'ai été surpris en fait, je ne vous le cache pas, mais aussi assez fier de la teneur de cette déclaration, parce qu’elle aggrave quand même les responsabilités que lui-même, déjà, avait reconnu. Cette reconnaissance de responsabilité, je crois que, d'une certaine manière, elle grandit la France aujourd'hui, et c'est ainsi qu'on sort des traumatismes du passé.
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Fri, 05 Apr 2024 - 917 - Révision constitutionnelle au Togo: «Ce n'est pas la date qui compte mais la qualité du processus»
Nouveau rebondissement au Togo. Les élections législatives, qui étaient prévues ce 20 avril, sont reportées pour laisser le temps à l'Assemblée nationale de consulter « toutes les parties prenantes de la vie nationale » sur le changement de Constitution en cours. C'est ce qu'a décidé hier, mercredi soir, le président Faure Gnassingbé. Est-ce à dire que celui-ci pourrait renoncer à son projet de passer à un régime parlementaire ? Gilbert Bawara, ministre de la Fonction publique, du Travail et du Dialogue social, est réputé très proche du chef de l'État. En ligne de Lomé, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Dans un communiqué diffusé ce mercredi soir, la présidence togolaise annonce qu'il va y avoir un léger remaniement du calendrier des législatives qui étaient prévues le 20 avril. Alors ces élections, elles vont être reportées, c'est cela ? Et de combien de temps ?
Gilbert Bawara :J'imagine, bien sûr, que c'est la conclusion qu'il faut en tirer, parce qu’engager de larges consultations, mener un débat avec toutes les parties prenantes sur le terrain, cela signifie qu’on ne peut pas être en train de débattre en organisant en même temps la campagne, donc la campagne électorale est repoussée. La date initiale du 20 avril sera légèrement modifiée.
La date va être légèrement modifiée, dites-vous, est ce que les Togolais vont voter au mois de mai, au mois de juin, ou au mois de juillet, voire plus tard ?
Je crois que cela n'a pas besoin de prendre des mois ou des semaines. Donc je suis certain que, en quelques jours, il est possible de rencontrer les acteurs politiques de la société civile et les citoyens. Donc j'imagine que, s'il devait y avoir un réaménagement, ce serait un réaménagement de quelques jours ou, au maximum, de quelques semaines, pas plus.
Dans le communiqué, diffusé ce mercredi soir, la présidence dit que le bureau de l'Assemblée va engager de larges consultations avec toutes les parties prenantes de la vie nationale. Est-ce à dire qu'il y aura aussi des consultations avec les partis d'opposition qui sont absents de l'Assemblée nationale, comme la CDPA de Brigitte Adjamagbo-Johnson et l'ANC de Jean-Pierre Fabre ?
L'initiative du président de la République, en demandant la relecture de la loi constitutionnelle, je crois que c'est une opportunité et une occasion offertes à l'ensemble des parties prenantes qui souhaitent véritablement sortir des logiques de blocage et d'obstruction pour apporter leur contribution, pour améliorer le travail déjà effectué par l'Assemblée nationale. Et donc tous ceux qui le souhaitent, notamment les partis auxquels vous venez de faire référence, mais également les autres, nous espérons que nous allons trouver du répondant de la part de ceux qui critiquaient hier et auxquels il est donné maintenant l'occasion de pouvoir apporter leur contribution pour améliorer le travail initié et mené par l'Assemblée nationale.
Alors ces partis d'opposition, on les entend depuis une semaine, ils ne sont pas du tout favorables à ce changement de Constitution. Et si, demain, ils vous demandent de renoncer pour l'instant à tout changement de Constitution avant les législatives, est-ce qu'ils auront une chance d'être entendus ?
Non, je ne crois pas que c'est dans cette optique et dans cet esprit que se situe l'initiative du président de la République en demandant la relecture de la loi constitutionnelle votée par l'Assemblée nationale. Une loi a été votée, il s'agit d'améliorer un travail qui est déjà conçu et donc nous ne sommes pas dans une autre optique que celle de faire en sorte que les Togolais puissent comprendre le contenu de la réforme qui est menée, ses avantages et ses effets bénéfiques pour notre pays. Nous ne sommes pas dans une autre optique que ceux qui le souhaitent, notamment les acteurs politiques ou de la société civile, puissent faire valoir leur point de vue et apporter leur contribution. Après cela, l'Assemblée nationale prendra ses responsabilités, la majorité prendra ses responsabilités et le processus ira à son terme.
Alors avec ce régime parlementaire, il n'y aura plus d'élection présidentielle au suffrage universel direct. Et du coup, l'opposition dit que c'est une ruse de votre part, Gilbert Bawara, car, si vous gagnez aux législatives, le futur chef de l'exécutif, c'est-à-dire le président du Conseil, pourra être élu tous les six ans sans aucune limitation de mandat et aussi longtemps que le parti UNIR gagnera les législatives. Alors que si la Constitution actuelle avait été conservée, Faure Gnassingbé aurait été frappé par la limitation du nombre de mandats. En revanche, avec cette réforme, il va pouvoir gouverner ad vitam aeternam, dit l'opposition.
Mais je voudrais d'abord dire que le président du Conseil, étant l'émanation de la majorité du parti ou de la coalition majoritaire, ces majorités-là peuvent changer d'une élection et d'une législature à une autre. Deuxièmement, il y a le jeu de la motion de défiance et le président du Conseil peut, par le biais d'une motion de défiance, être révoqué et être déchu. À condition, bien entendu, que les députés qui se lanceraient dans une telle initiative disposent d'une majorité alternative pour pouvoir désigner un autre président du Conseil. Et donc ces deux considérations me font penser que le président du Conseil ne dispose pas d'un mandat indéfini et qu’il n'est pas éternel.
Thu, 04 Apr 2024 - 916 - Guinée: Sékou Touré entre «figure de l'anticolonialisme» et «rhétorique du complot»
Le camp Boiro est un terrible souvenir pour de nombreux Guinéens. C'est dans ce camp militaire de Conakry que quelque 50 000 Guinéens sont morts sous la torture. Et c'est il y a quarante ans, jour pour jour, que le colonel Lansana Conté a ouvert ce camp et a mis fin à cette usine de mort, quelques jours après la mort de Sékou Touré. Quel souvenir laisse aujourd'hui le père de l'indépendance guinéenne, l'homme qui a dit « non » à de Gaulle ? L'historienne Céline Pauthier a publié chez L'Harmattan l’ouvrage collectif Le non de la Guinée en 1958, co-écrit avec Abdoulaye Diallo et Odile Goerg. Elle revient sur l'ambivalence du personnage Sékou Touré.
RFI : La première rupture avec la France, c’est le 25 août 1958, quand Sékou Touré affronte le général de Gaulle, à Conakry. Dans quel passé a-t-il puisé cette force de caractère qui, ce jour-là, lui donne le courage de défier de Gaulle ?
Céline Pauthier :Oui, c’est vrai que Sékou Touré, c’est vraiment un symbole, une figure de l’anticolonialisme, ça, c’est le point qui fait en général consensus. Il s’est engagé assez jeune, pendant sa vingtaine, dans la lutte syndicale et politique et ce qui fait sa particularité, à la différence d’autres leaders africains, c’est qu’il n’a pas été formé dans les grandes écoles coloniales ouest-africaines, telles que l’école William Ponty, ou en métropole. C’est un autodidacte qui s’est formé par le syndicalisme et par ses propres lectures. Donc il puise d’abord dans son passé de syndicaliste et, au moment du discours du 25 août, il est déjà, d’une certaine manière, aux manettes du territoire, il a déjà une grande partie de la population derrière lui avec le Parti démocratique de Guinée. Et dans son discours, il insiste sur la notion de dignité, puis c'est là qu'il lance cette phrase célèbre : «Nous préférons la liberté dans la pauvreté à l'opulence dans l'esclavage », qui symbolise la rupture. Mais quand on regarde vraiment le discours de près, il recherche, à ce moment-là encore, à négocier les termes de cette communauté française.
Alors, à partir de cette rupture de 1958, Sékou Touré et Kwame Nkrumah décident d'unir les destins de leurs deux pays, la Guinée et le Ghana. Est-ce que le panafricanisme de Sékou Touré, c'était une vraie entreprise visionnaire ? Ou une posture sans lendemain ?
Alors c'est sûr que Sékou Touré a soigné son image de chantre du panafricanisme, qui est aussi un idéal central de l'époque. Je ne sais pas s'il est visionnaire, en tout cas, il est représentatif de l'époque. Et donc au tournant de l'indépendance, après le 2 octobre, avec d'autres, avec ses émissaires, parmi lesquels notamment Dialo Telli, il va jouer un rôle important pour tenter des rapprochements avec de nouveaux États africains. Et là, l'union Ghana-Guinée qui est nouée, donc dès novembre 1958 – c'est vraiment juste après l'indépendance –, elle n’aura pas tellement d'effets concrets, mais elle joue un rôle important symboliquement, parce que ça dépasse les ex-frontières impériales : c'est un pays anglophone et un pays francophone qui s'unissent et qui veulent un embryon des États-Unis d'Afrique. Et d'ailleurs, c'est un Guinéen, Dialo Telli, qui va être secrétaire général de l'OUA [Organisation de l'unité africaine, NDLR]. Donc il y a une vraie action panafricaine au moment de l'indépendance. Sékou Touré va aussi accueillir sur son territoire des militants panafricains, comme [l’Américain] Stokely Carmichael, par exemple, ou [la Sud-africaine] Miriam Makeba, mais dans la suite de l'histoire, il y a eu quand même des tensions, des contradictions dans la politique panafricaine de Sékou Touré et notamment le fait que, du milieu des années 60 au milieu des années 70, il ne va pas se rendre aux réunions de l’OUA et il va être dans une attitude de repli parce qu'il est en désaccord avec beaucoup de ses voisins africains.
La répression que pratique le régime de Sékou Touré à partir de 1970 et de l'opération militaire Mar Verde sur Conakry, est-ce seulement la faute à cette opération commando venue du Portugal ?
En fait, dès l'indépendance, Sékou Touré craint vraiment les manœuvres de déstabilisation extérieure ou intérieure et cette peur ne va faire que grandir au cours des années 60, alors qu’il assiste dans un contexte international à la destitution de ses homologues qui sont proches de lui politiquement, comme par exemple Kwame Nkrumah au Ghana ou Modibo Keïta au Mali. Et donc, une de ses stratégies va être d'utiliser la rhétorique du complot pour dénoncer des menaces extérieures ou intérieures, qu'elles soient bien réelles, comme c'est avéré en avril 1960 ou en novembre 1970 avec l'opération Mar Verde que vous évoquez, ou qu'elles soient supposées. Et donc cette dénonciation de complot s'accompagne à chaque fois de violences politiques : arrestations, torture, détention dans des conditions très difficiles, exécutions extrajudiciaires. Cette part sombre du personnage et de son régime est symbolisée par la prison du camp Boiro, qui est installée dans Conakry.
Le lieu de supplice le plus connu, vous l'avez dit, Céline Pauthier, c'est le camp Boiro à Conakry. Au moins 5 000 prisonniers y sont morts sous la torture. L'une de ces tortures, c'était l'absence d'eau et de nourriture. Dialo Telli et bien d'autres sont littéralement morts de faim et de soif. Est-ce qu'on peut dire que Sékou Touré a assumé ce régime de terreur ?
Oui, je pense qu'il a assumé cette politique puisque le régime a fait publicité de la répression politique, puisque les arrestations étaient rendues publiques à la radio et dans le journal. Certaines exécutions ont été publiques également, notamment en janvier 1971. Donc oui, il y a une justification, par l'idée de patrie en danger, du recours à la violence chez Sékou Touré. De ce point de vue-là, ce régime n'a pas cherché à cacher cette répression politique. Au contraire, il l'a mise en avant pour essayer de justifier la véracité des complots.
À lire aussiSékou Touré: un dirigeant révolutionnaire africain
Wed, 03 Apr 2024
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