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- 323 - C’EST PAS MOI x JIM HENSON, L’HOMME AUX MILLE IDÉES : LIBERTÉ DE PENSER
Il suffit parfois de prononcer le nom d'un cinéaste pour entrer dans un monde à part. Prenons le cas de Léos Carax. Rien que ce patronyme qu'il s'est choisi, anagramme de sa véritable identité, est une manière de ne pas vouloir entrer dans des cases, d'affirmer une personnalité. Ses films, tous hors normes, l'ont encore plus appuyé. Alors, il faut forcément prendre le dernier comme une ironie dès son titre. C'est pas moi. Drôle d'incipit pour un autoportrait, qui n'aurait d'ailleurs même pas dû être un film, mais l'accompagnement d'une exposition commandée par le Centre Pompidou qui n'aura finalement pas lieu. Carax en a fait une visite de son musée intime ; 40 minutes pour faire un bilan à ce jour de l'homme comme du cinéaste. Un collage d'images, assemblant scènes nouvelles tournées pour l'occasion et extraits ou images d'archives, questionnant autant le passé que le futur pour des raisonnements à la maraboud'ficelle, parfois déconcertants, souvent fulgurants. Le lien avec le Godard de la grande période se fait d'autant plus que C'est pas moi reprend la forme de ses Histoire(s) de cinéma, pour une sorte d'épisode inédit piraté par Carax. Il arrive à cette lettre ouverte à tous les vents de s'éparpiller, mais jamais de s'écarter du ludisme, pour un film qui ressemble bien à son auteur, entre créativité inventive et mélancolie chevillée au corps. On regrettera juste que son meilleur trait d'esprit n'ait pas été suivi : puisque c'est un film qui travaille du chapeau, il a été un temps question que ses spectateurs fixent eux-mêmes le tarif du billet en donnant ce qu'ils veulent. Pour le coup, c''est pas lui qui a empêché cette idée d'aller à son terme. Avec Jim Henson, le public en a toujours eu pour plus que son argent : le créateur des Muppets à l'a comblé pendant des décennies au point d'avoir été occulté par les géniales créations que furent Kermit et ses acolytes. L'homme aux mille idées retrace sa carrière, avant, pendant et après les Muppets, pour révéler son foisonnement créatif, équivalent à celui d'un Walt Disney. Raconté par ses collaborateurs et ses enfants, Henson s'y incarne dans son génie comme dans ses failles, à la fois au service de valeurs familiales quand il supervisait Sesame Street mais absent à sa propre famille, pratiquant de techniques artisanales pour ses marionnettes mais féru des technologies les plus avancées pour les mettre en scène. L'homme aux mille idées – et autant de paradoxes- est un hommage d'autant plus vibrant qu'il ne fuit pas la complexité d'Henson, ayant cherché à accomplir ses ambitions un peu folles d'adulte via une vie d'artiste dédiée avec sérieux aux enfants. Les témoignages emplis d'admiration qui s'égrènent au long de ce beau documentaire confirment que c'est aussi pour cela que l'oeuvre d'Henson continue à nous toucher, même quand on est devenus grands. "C'est pas moi" en salles le 12 juin/ Jim Henson : L'homme aux mille idées. Sur Disney +
Wed, 12 Jun 2024 - 02min - 322 - BAD BOYS RIDE OR DIE x LA GARDAV’ : Mais que fait la police ?
Cela fait toujours un drôle d'effet de voir apparaître à l'écran le logo des productions Don Simpson/ Jerry Bruckheimer. Au minimum parce que cela ramène aux années 80-90, quand ces deux-là ont profondément transformé le cinéma hollywoodien en lui apportant le principe du High concept. Késako ? L'idée qu'un film puisse résumer à une idée forte centrale autour de laquelle on brodera un scénario. C'est ainsi que sont nés Top Gun, Le flic de Beverly Hills ou encore Bad Boys. Trois énormes succès normatifs de toute une économie de cinéma, qui y a vu une formule magique à laquelle elle n'a de cesse de retourner. Ainsi, un nouveau Bad Boys et un nouveau Flic de Beverly Hills débarquent ce mois-ci en salles ou sur Netflix. Enfin, nouveau, c'est beaucoup dire, dans le cas de Bad Boys : Ride or Die, tant il n'est qu'un recyclage du moule initial, soit une combinaison de scènes d'action et de vannes entre Will Smith & Martin Lawrence. Un syndrome de la redite qui a gagné jusqu'à Adil El Arbi & Billel Fallah, tandem de réalisateurs belges, qui avaient plutôt pas mal pimpé la franchise en 2020 avec Bad Boys for life, mais enferment ici un scénario des plus poussifs dans des tics déjà périmés, de plans faisant de l'œil aux gamers fans de FPS à un déluge d'effets numériques privant ce film de toutes parts organique. Bande-annonce de Bad Boys : Ride or Die, 2024 Bad Boys : Ride or Die va jusqu'à confirmer son incapacité à régénérer sa franchise en ressuscitant un personnage assassiné dans l'opus précédent, redevenu central dans l'intrigue mollassonne. Alors « Bad boys, bad boys/ What you gonna do ? » Peut-être enfin penser à prendre la retraite. La chanson-gimmick de Bad boys est justement citée dans une scène de La gardav'. Ironie du sort quand le film de Dimitri & Thomas Lemoine est aux antipodes économiques et pratiques du blockbuster. Le récit du tournage d'un clip de rap qui tourne mal ploie sous le bricolage amateur forcé par une autoproduction, mais déborde de sincérité, y compris dans l'envie de démonter certains clichés sur la population des banlieues. Les maladresses de rythme ou d'écriture, sans doute dues à l'autodidactisme des deux frères aux commandes, sont compensées par une énergie comique supérieure à celle de certains films mieux lotis financièrement. Au-delà de l'expérience de vétérans vus dans Kamelott, Caméra Café ou Les Tuche, Thomas Lemoine renoue avec un comique burlesque dans un hilarant rôle de benêt naïf façon Bourvil de cité. Bande-annonce de La Gardav', 2024 La Gardav' dérouille ainsi les mécanismes et quiproquos des bonnes comédies de boulevard pour les amener sur le territoire des quartiers. Même avec ses imperfections, la claire envie de bien faire ou le bon esprit de l'ensemble laisse penser qu'il va effectivement falloir garder à vue les frères Lemoine après ce premier essai modeste, mais prometteur. Bad boys Ride or die / La Gardav'. En salles le 5 juin 2024.
Wed, 05 Jun 2024 - 03min - 321 - MEMORY x SALEM : Du coeur à l'ouvrage
En cette époque particulièrement chaotique, toute dose d'empathie est plus que bienvenue. On la trouvera cette semaine au cinéma, avec un doublé de sorties pour autant inattendu. La période doit vraiment être redoutable pour que Michel Franco, cinéaste reconnu pour sa misanthropie profonde, signe avec Memory un film essentiellement tourné vers l'humain. En l'occurrence deux, une assistante sociale et un veuf. Ils se sont connus à la fac, se retrouvent des années plus tard à une réunion d'anciens élèves. Elle est une ancienne alcoolique jamais loin de replonger, lui vient se découvrir être atteint de démence précoce. Usuellement chez Franco, ce duo aurait sombré dans leurs failles et leurs traumas. Memory leur offre la force de s'émanciper de leurs milieux toxiques. Là où d'habitude ce réalisateur anesthésie à force de scénario retors et nihiliste, le voilà qui s'essaie au mélo doux pour cicatriser les plaies de deux écorchés vifs. Bien sûr, l'horizon sombre de la dégénérescence s'annonce, mais Memory émeut à s'efforcer d'être un film de réparation de corps et de cœurs brisés. Bande-annonce de Memory : https://youtu.be/_w6Wkui3A9c?si=tS0i-B0_X1-HvqNr Jean-Bernard Marlin, s'était, lui aussi, révélé capable d'un regard cru avec Shéhérazade, sidérant premier film autour d'un amour impossible entre deux minots marseillais. Salem démarre comme un Roméo et Juliette ado dans les quartiers nord de la ville. Djibril, le comorien et Camilla, la gitane, s'aiment au point de faire un enfant. La guerre entre cités va envoyer Djibril en prison, où il devient obsédé par l'idée de sa fille grandissant sans lui. Il en sort convaincu d'avoir le don de guérison universelle et que sa rejetonne sera une prophète pouvant sauver le monde de son cycle de violence. Porté par une envie de pacifisme jusque dans son titre, Salem sait pour autant que son vœu de transmission de bienveillance à la jeune génération est sans doute idéaliste. À travers la relation qui se noue entre un père et une fille, il propose pour autant une voie alternative, y compris dans un imaginaire de cinéma entremêlant film noir et néo-mysticisme. Cette alliance stupéfiante pour conjurer la malédiction des déshérités sociaux, reste peut-être un peu naïve face à la réalité des cités, mais la conviction de son réalisateur comme de son récit font léviter Salem bien au-dessus du cinéma naturaliste usuel. Bande-annonce de Salem : https://www.youtube.com/watch?v=hg_KzrEZDcQ Memory / Salem. En salles le 29 mai
Wed, 29 May 2024 - 02min - 320 - CLAP DE FIN DU FESTIVAL DE CANNES : Tous comptes faits
Voilà, Cannes 2024, c'est fini. Une fois le palmarès tombé, tout le monde rentre chez soi. Certains même avant, pour lesquels la cérémonie de remise des prix sera devant la télé. Samedi après-midi, on a même croisé Adèle Exarchopoulos faisant pépère la queue dans le wagon-bar du train. C'était déjà un indice que L'amour ouf, le film de Gilles Lellouche, n'allait pas décrocher quoi que ce soit. Beaucoup ont senti, eux, leur mâchoire dégringoler en entendant qu'Anora se voyait décerner la Palme d'Or plutôt que l'ultra-favori, Les graines du figuier sauvage, médaillé, lui, du Prix Spécial du Jury. Un choix en fait peut-être prudent : Dans la période actuelle où en Iran, il vaut mieux y aller mollo avec les Mollahs, La récompense suprême aurait de quoi signifier mise au gnouf illico pour toute l'équipe du film restée au pays. De toute manière, décortiquer un palmarès cannois n'a pas beaucoup de sens : c'est à l'aube de l'édition suivante, quand les films auront connu leur carrière en salles, que les vertus de la présente devront être analysées. Cependant, si, comme souvent, elle devrait s'avérer le haut du panier de l'année cinéma, il est d'emblée clair qu'au vu d'une sélection assez terne, 2024 ne devrait pas rester mémorable. Au final, qu'est-ce qu'on a vu cette année à Cannes ? Sans doute un reflet de l'époque et de son chaos. Toutes sections confondues, ce festival aura été celui des films désarçonnants à force de malaxer les narrations et les registres, quitte à étouffer leur propos. Il n'est d'ailleurs sans doute pas anodin que Greta Gerwig et son jury aient globalement récompensé les films les plus limpides de la compétition. De ce flou sont toutefois ressortis quelques motifs : En premier lieu, la récurrence de personnages féminins, la plupart bataillant encore contre l'emprisonnement d'un vieux monde, mais avec une certaine avancée, quand, au-delà d'une maigre délégation féminine (quatre réalisatrices seulement en compétition), beaucoup des films signés par des hommes mettent en scène des femmes et plaident leur cause. Pour autant, ce qu'on aura donc le plus vu à Cannes, c'est du cul. Ou plutôt des culs, quand les plans s'attardant sur des postérieurs auront été aussi innombrables que très charnels. Pour le coup, avec une certaine équité, ces fessiers étant aussi bien masculins que féminins. Était-ce une manière de mettre encore plus à nu le monde, dire que, malgré son état, il restait encore désirable ? Ou de sous-entendre qu'il est en train de nous péter à la gueule ? Allez savoir.
Mon, 27 May 2024 - 02min - 319 - CANNES JOUR 8 : La mode, la mode, la mode
À 24 heures du palmarès, les bookmakers de festival sont en berne. C'est un vrai pari de pronostiquer qui repartira de la croisette avec la Palme d'or dans ses bagages. Au minimum parce qu'il reste encore deux candidats à être montrés, La plus belle des marchandises, le dessin animé signé Michel Hazanavicius et La graine de la figue sacrée de l'Iranien Mohammad Rasoulof. Encore plus quand aucun film de la compétition n'a jusque-là pleinement fait l'unanimité. Toutefois, un grand gagnant peut d'ores et déjà être annoncé : l'industrie de la mode. La relation entre les grands groupes et le festival n'est pas nouvelle. Depuis que la fameuse montée des marches sur tapis rouge a été inventée, celle-ci est un showroom à ciel ouvert pour les grands couturiers, qui en retour y trouvent le catwalk le plus médiatisé au monde. Cannes y trouve son compte par une présence strass et paillettes dans toutes les gazettes de la planète. Mais ce rapport win-win prend cette année une nouvelle dimension. Après une première étape l'an dernier en accompagnant le moyen-métrage de Pedro Almodóvar en tant que producteur, Saint-Laurent est pleinement passé de l'autre côté des marches en finançant cette année trois films de la compétition, ceux de David Cronenberg, Jacques Audiard et Paolo Sorrentino. Une étape fondamentale autant pour Cannes que pour le monde du cinéma, où l'industrie du luxe est de plus prégnante. En plus des filiales de production, jusqu'à CAA, une des agences hollywoodiennes les plus puissantes, a récemment été rachetée par François-Henri Pinault, le patron du groupe Kering auquel appartient Saint-Laurent. À ce stade, il est inquiétant que la mode finance ce type de cinéma, parce que cela signifie à quel point des auteurs comme Audiard ou Cronenberg et d'autres ne parviennent plus à trouver de financements traditionnels, même si cela leur permet de continuer à faire des films. Mais il faudra scruter de près l'évolution rapide de ce phénomène -on pourrait tout autant mentionner l'importante présence financière de Chanel dans le budget de certains festivals nouvellement créés. D'autant plus quand une riposte ne serait tarder de la part de LVMH, qui vient créer 22 Montaigne entertainment, dédiée, elle aussi, à la production. Il n'est donc pas impossible que dès 2025 à Cannes, on regarde des films sous cette bannière… Jusqu'à faire de la compétition un porte-manteau de ces groupes ? On préfèrerait y découvrir, dans quelques années, un thriller économique qui raconterait les coulisses de leur nouvelle rivalité. Photo : L’équipe du nouveau film d’Almodóvar, Extraña Forma de Vida, avec Anthony Vaccarello, producteur et directeur artistique d’Yves Saint-Laurent, à Cannes en 2023. Patricia DE MELO MOREIRA, AFP.
Fri, 24 May 2024 - 02min - 318 - CANNES JOUR 7 : Enfin, la compet’ !
On ne va pas se mentir, Cannes 2024 ne devrait pas rester parmi les crus les plus éclatants. À vrai dire, l'industrie le savait avant même que cette édition démarre, au vu de projets ayant eu souvent du mal à être financés, de grands noms qui ne seront prêts que l'année prochaine, de cinématographies malmenées par des politiques fermant les robinets ou d'un cinéma américain qui doit encore se remettre de la longue grève des scénaristes. Le plus important festival de cinéma au monde ne pouvait qu'être la caisse de résonance d'un contexte morose. La chose semblait même entendue au vu d'une compétition jusque-là molle, entre films confus, anecdotiques ou ne sortant pas des rails usuels de leurs auteurs. Seul Emilia Perez,l'inattendue comédie musicale de Jacques Audiard, avait éveillé un intérêt de la foule cannoise. On pensait donc l'affaire pliée. Lorsque soudain, une triplette de films ont remis les pendules à l'heure. Coup sur coup, Paolo Sorrentino, Sean Baker et Miguel Gomes ont rappelé que Cannes est aussi une affaire d'excellence. Avec Parthenope, Anora et Grand Tour, les enjeux ont été relancés, avec la chronique d'une vie de femme napolitaine, une peinture de la nouvelle génération capitaliste déguisée en comédie policière, ou encore une course-poursuite rêveuse entre deux fiancés. Un tiercé qui a tout pour être gagnant lors du palmarès à tomber samedi soir, tant ils sont de forts candidats, au minimum concernant les prix de la mise en scène ou d'interprétation. Les choses ne sont pourtant pas si simples alors que ces films devront aussi passer le contrôle douanier de l'époque. Vrai qu'aussi sublimement mis en scène qu'il soit, le fond du film de Paolo Sorrentino est encombrant à l'ère #MeToo quand il sur-sexualise son héroïne ou laisse la plupart de ses personnages masculins effarés d'être face à une femme belle ET intelligente. Quant à la narration hyper arty de Grand Tour ou le rythme indolent d'Anora,ils vont à l'encontre des attentes d'un public de moins en moins patient ou ouvert aux expériences formalistes. Mais au minimum, on doit être gré à ses trois films d'avoir donné l'impression que la compétition (et les débats animés qui vont avec) vient enfin de commencer. Pendant le Festival de Cannes, retrouvez tous les jours la chronique Pop Corn d’Alex Masson, notre envoyé à la croisette, à 7h37 dans « T’as vu l’heure ? », la matinale de Radio Nova.
Thu, 23 May 2024 - 02min - 316 - CANNES JOUR 6 : Hard corps
Au bout de dix jours de festival, le moindre accrédité a le sentiment d'avoir pris dix ans dans la vue, vit dans un état second, sous perfusion non-stop de café qui a fini par remplacer le sang dans les veines. Soit en parfait accord avec des films tournant autour du rapport à la mort ou au vieillissement. Dans The substance, une ancienne star de cinéma reconvertie en animatrice d'émission d'aérobic le refuse tellement qu'elle accepte la proposition d'une mystérieuse société qui lui fournit un clone rajeuni. Seule condition express, les deux versions doivent alterner leurs semaines de vie, et si l'une ne respecte pas la règle, l'autre se met à décrépir. Coralie Fargeat revisite donc Le portrait de Dorian Gray pour une mise à jour à l'heure d'un retour à l'obsession pour la célébrité et son endoctrinement des corps. L'idée est d'autant plus sensée que la réalisatrice a convoqué Demi Moore et Margaret Qualley, soit une actrice mise au placard et une valeur montante, en alter egos. Fargeat a eu l'intelligence de mettre de côté la charge contre les hommes (même relativement – il y a dans cette histoire un producteur de télécompilant tous les usages des prédateurs, qui, plus est, est nommé Harvey, comme un certain...Weinstein) pour se concentrer sur son pacte faustien, virant au mégacrêpage de chignon. Il reste dommage que The Substance se maquille comme un camion volé à coup d'effets tapent-à-l’œil où qu'il s'embarque dans un gorissime final grand-guignol, certes amusant, mais digressif. Toutefois, la rogne maintenue jusqu'au bout confirme que, même en se laissant aller au potache, les réalisatrices qui s'emparent du cinéma fantastique ne sont plus là pour jouer les potiches. On savait à l'inverse, depuis quelques films, que David Cronenberg avait mis de côté l'horreur graphique pour se concentrer sur celle plus intime. Sans pour autant renoncer à des concepts dérangeants. Les Linceuls invente une technologie permettant de rester en lien permanent avec les morts. Difficile de ne pas faire le lien entre un veuf qui refuse de faire son deuil et un réalisateur qui a lui-même perdu sa femme. Encore moins quand Vincent Cassel s'est fait la tête de Cronenberg jusqu'à la coupe de cheveux. Ce parallèle rend Les linceuls poignant, quand il est pétri de l'impossibilité d'adieux. Cette matière émotionnelle rabiboche avec un cinéaste dont les derniers opus devenaient de plus en plus stériles. Un réchauffement de maigre durée, Les linceuls se drapant dans une intrigue complotiste aussi fumeuse qu'abstraite, qui étouffe des théories passionnantes sur la subsistance des êtres face aux capacités des images virtuelles. Vincent Cassel et Diane Kruger offrent encore un peu de chair, mais les vraies larmes sont celles que l'on verse sur un Cronenberg qui embaume son inconsolable chagrin dans le suaire d'une trop grande rigidité. Pendant le Festival de Cannes, retrouvez tous les jours la chronique Pop Corn d’Alex Masson, notre envoyé à la croisette, à 7h37 dans « T’as vu l’heure ? », la matinale de Radio Nova.
Wed, 22 May 2024 - 02min - 315 - FOUDRE : coup de tonnerre dans le cinéma Suisse
Foudre porte remarquablement son titre. Le premier long métrage de Carmen Jacquier est autant traversé par des zébrures érotiques que par une humeur orageuse. Celle d'Elisabeth, une jeune femme qui doit quitter le couvent où elle était entrée pour prendre la place d'aînée dans la ferme familiale, après la mort soudaine de sa sœur. Foudre passera du mystère entourant ce décès à une approche quasi mystique de l'émancipation d'Elisabeth, s'éveillant à ses désirs de liberté, d'esprit ou sexuels, dans une Suisse rurale du début du XXe siècle sous emprise de la religion catholique. Foudre réveille le cinéma helvète par sa puissance picturale comme par sa sensualité, transcende une quête d'identité par celle des corps, le tout dans un esprit de communion, mais pour un film préférant le sensoriel au solennel. Le monde intérieur d'une adolescente et les rugosités de celui réel s'y entrechoquent de manière tellurique, faisant d'emblée du cinéma de Jacquier un égal de ceux de Jane Campion ou de Terrence Malick. Comme eux, cette réalisatrice transforme une introspection méditative en fulgurante épiphanie. Et pendant que Foudre s'essaie à un dialogue franc avec Dieu, Carmen Jacquier, s'est, elle, confiée au micro de Nova. Foudre, en salles le 22 mai.
Wed, 22 May 2024 - 24min - 314 - CANNES JOUR 5 : Fromage et dessert
Il faut parfois savoir être discret pour se faire remarquer à Cannes. En coulisses du vacarme omniprésent de la compétition, certains films à profil plus bas finissent toujours par trouver la lumière. Cette année, c'est au sein de la section Un certain regard que deux d'entre eux ont ravi par leur humilité. Vingt Dieux ! et My Sunshine partagent aussi une identité de terroir. Le premier se pose dans le Jura, pour suivre la débrouille de Totone, 18 ans, qui se retrouve du jour au lendemain à devoir gérer tout seul la ferme familiale. Pour sortir de la mouise, il se lance dans la fabrication de Comté, espérant décrocher un substantiel prix du meilleur fromage. Louise Courvoisier ne fait pas cailler le lait de ce pitch improbable, l'ingrédient principal de son film restant l'initiation d'un grand gamin à la solidarité comme à l'amour. L'environnement, monde rural dans la dèche, est rugueux, le casting de comédiens non-professionnels aura été sauvage, mais Vingt Dieux ! charme par sa tendresse. Courvoisier gagne illico ses galons d'appellation contrôlée en se situant idéalement entre les cinémas de Ken Loach et de Maurice Pialat, naturaliste, mais sans sentimentalisme, âpre, mais qui soutient ses personnages pour qu'ils restent debout. Pendant que Vingt Dieux ! s'échauffe au soleil d'un été, My Sunshine fait tomber la neige sur deux ados japonais, Takuya et Sakura, pris sous l'aile d'un coach de patinage artistique. Hiroshi Okuyama fait de jolies arabesques autour de ce trio pour explorer les grands chagrins de l'enfance comme les regrets de l'âge adulte. Les rares éclats de My Sunshine résonnent d'autant plus dans une atmosphère aussi cotonneuse que minimaliste, tout comme les fissures, qui vont s'attaquer au lien entre ces deux sportifs en herbe et leur mentor, sont invisibles à l'œil nu. Okuyamadéveloppe avec la même grâce le discours sur les stéréotypes de genre qui prend peu à peu sa place dans ce dispositif épuré. S'ouvrant sur un début d'hiver, My Sunshine se clôt sur les premiers bourgeons d'un printemps. Ce film délicat se révèle alors comme une ultime bulle protectrice pour Takuya et Sakura, glissant désormais vers les réalités, parfois cruelles, de la vie. Pendant le Festival de Cannes, retrouvez tous les jours la chronique Pop Corn d’Alex Masson, notre envoyé à la croisette, à 7h37 dans « T’as vu l’heure ? », la matinale de Radio Nova. Photo : Vingt Dieux !, 2024
Tue, 21 May 2024 - 02min - 313 - CANNES JOUR 4 : Tous au balcon !
Un des rituels du festival de Cannes est la déclaration préalable de Thierry Frémaux, son délégué général, avec une immuable parole : ce sont les films qui définissent le fond de l'édition en se faisant un écho du monde et non une ligne éditoriale prédéfinie. À mi-parcours du cru 2024, il est évident que, pour aussi différent qu'ils soient, ils se retrouvent dans un reflet du chaos généralisé du moment. Certains, pour ne pas dire la quasi-totalité des films de la compétition présentés jusque-là, sous des formes improbables et souvent confuses. D'autres en prenant à ras le corps des interrogations contemporaines. Emilia Perez, le nouveau Jacques Audiard, embrasse rien que par son pitch le bordel ambiant. Soit une comédie musicale sur le boss d'un cartel de narcotrafiquants mexicains qui veut changer de sexe, le tout sur des chansons signées Camille. Brillant en ce qui concerne la mise en scène autour de la question du genre, Emilia Perez l'est bien moins en ce qui concerne l'approche des cinémas de genre, surtout dans une dernière partie se pliant à la fois aux codes de la télénovela et du film d'action. Le discours féministe progressiste devient alors inaudible, envoyé dans le décor par ce virage vers un cinéma beaucoup plus banal. Si Les femmes au balcon, seconde réalisation de l'actrice Noémie Merlant, s'engouffre lui aussi dans de multiples registres, de la franche comédie au gore en passant par le film de fantômes, il ne dévie jamais de son propos autour des violences sexistes et sexuelles. Mieux : il le revendique via une bande de copines se retrouvant avec le cadavre d'un homme sur les bras. Les femmes au balcon n'a de cesse de marcher hors des clous pour mieux les enfoncer. Merlantn'y a peur de rien, et certainement pas de s'emparer de tous les tabous autour de la représentation du féminin à l'écran, de la nudité ultra-frontale à la sexualité assumée en passant par la charge mentale ou le consentement. Merlant et ses formidables colocs, Soueilha Yacoub et Sanda Codreanu, osent avec naturel jusqu'à d'hilarantes blagues prouteuses, toutes les transgressions pour une ode à la sororité. Les femmes au Balcon annoncent avec ce film débridé qu'un vent est en train de se lever, avec avis de tempête pour le patriarcat. Que Merlant le fasse avec une humeur aussi volontariste que joyeuse et généreuse ne le rend que plus enthousiasmant. À l'inverse, il y a de quoi se dire que la cause n'est pas gagnée quand Les femmes au balcon est relégué par Thierry Frémaux en séance de minuit, là où la mèche de cette ultra-jouissive bombe comique aurait mérité d'être allumée en plein jour. Pendant le Festival de Cannes, retrouvez tous les jours la chronique Pop Corn d’Alex Masson, notre envoyé à la croisette, à 7h37 dans « T’as vu l’heure ? », la matinale de Radio Nova. Photo : Les femmes au balcon, 2024
Mon, 20 May 2024 - 02min - 312 - CANNES JOUR 3 : Empire d'essences
George Miller et Francis Ford Coppola sont de retour sur la croisette, pour de spectaculaires recarossages de leurs cinémas. Double programme maousse ce jeudi à Cannes. À commencer par Furiosa, à la fois spin-off et prequel de Mad Max Fury Road, se passant dans le même univers mais consacré à son personnage féminin et, plus encore, virage à 180°. Quand Fury Road réjouissait à vouloir revenir à un cinéma purement physique et incarné, dégraissé jusqu'à l'os pour se concentrer sur l'action, Furiosa se nourrit de chapitres et de variations de rythme pour transformer une gamine rebelle en gladiatrice vengeresse. George Miller assumant pleinement vouloir faire un péplum de fer et de feu, mais surtout s'écarter de la route des blockbusters contemporains sans âme. Furiosa tient moins de l'exceptionnel morceau de bravoure pyrotechnique qu'était Fury Road, mais il renoue avec la puissance d'une grammaire de cinéma à l'ancienne. Plus que l'adrénaline de courses-poursuites dantesques, c'est l'efficacité des plans et d'un montage allant à l'essentiel, ravivant avec une science originelle qui fait vrombir de jubilation. Furiosa s'achève sur un dialogue entre son héroïne et sa Némésis, formidable méchant, qui s'interroge sur ce qu'il restera d'eux et s'ils portent la capacité de devenir des mythes. Quant à la projection de Megalopolis, le très attendu film de Francis Ford Coppola, il a de quoi entrer dans la légende cannoise, tant cela restera un moment de sidération totale. À vrai dire on ne sait pas trop ce qu'on a vu, tant Megalopolis alterne fulgurances visuelles et propos méandreux, séquences révolutionnaires et autres dont la direction artistique semble avoir été abandonnée à une IA façon Midjourney. Un film autant en roue libre qu'ultra-personnel jusqu'à être un concentré de Coppola : enjeux de pouvoir et de clans familiaux en écho du Parrain, chaos à la Apocalypse Now, héros idéaliste à la Tucker et profusion sensorielle de son Dracula, toutes les facettes sont là. Reste à comprendre de quoi parle Megalopolis, entre allégorie d'une Amérique en redite de la chute de l'empire romain, éloge du sentiment amoureux qui pourrait réenchanter un utopiste et citations de Shakespeare ou de Marc Aurèle dans le texte. Tout cela érige une tour de Babel aussi fascinante qu'agaçante, quand on ne sait plus s'il faut applaudir la noblesse d'un geste fou de cinéma autofinancé ou s'attrister de devoir assister à une autodestruction doublée d'un évident suicide commercial. Comme une flamboyante chute de l'empire Coppola en quasi-direct. Pendant le Festival de Cannes, retrouvez tous les jours la chronique Pop Corn d’Alex Masson, notre envoyé à la croisette, à 7h37 dans « T’as vu l’heure ? », la matinale de Radio Nova.
Fri, 17 May 2024 - 02min - 311 - CANNES JOUR 2 : Contrôle d'identités
Après les starting-blocks de l'ouverture, Cannes entre dans le vif du sujet, avec les lancements successifs de la compétition et des deux principales sections parallèles, La Semaine de la critique et La Quinzaine des cinéastes. Étonnamment, généralement étanches les unes aux autres, elles conversent indirectement cette année via le thème commun d'une crise d'identité. Coté compétition, Diamant brut s'empare de celle d'une jeune femme d'aujourd'hui, happée par les promesses de célébrité des émissions de télé-réalité. L'ambition de Liane ne tient qu'aux likes qu'elle récolte sur les réseaux sociaux et à un casting pour un show façon Les Marseillais à Miami. À travers elle, Agathe Riedinger infiltre la culture bimbo, cette hyperféminité assumant crop tops et seins refaits. Diamant brut surprend en refusant la superficialité des reportages sur les néo-cagoles qui scrollent sur TikTok ou Instagram. Riedinger déplace la question sur celle des transfuges de classes à l'heure où l'échelon suprême social serait de devenir une influenceuse. Proche d'un cinéma anglais dans sa compassion pour ses personnages ou son naturalisme, Diamant Brut sait envoyer valser le misérabilisme ou la démagogie, pour se faire récit d'émancipation contemporain. Dommage que le ventre mou du scénario ralentisse un film courageux dans sa manière de tailler les facettes d'une époque de plus en plus basée sur le paraître. À La semaine de la critique, Les fantômes ravive la tragédie du peuple syrien. La traque en France d'un tortionnaire par un réfugié passé entre ses mains dans les geôles de Bachar El Assad se fait bourreau des légendes, en dissimulant dans un récit d'espionnage l'impossible reconstruction psychologique de tout exilé. Rescapé de la répression, hanté par sa fuite forcée, le premier long métrage de Jonathan Millet doit beaucoup à Adam Bessa, acteur très impressionnant en bloc de douleur collective. Malgré tout freiné par une mise en scène restant, à l'inverse de son personnage central, en sur-contrôle, brillante de maîtrise, mais qui étouffe toute possibilité d'empathie avec lui et anesthésie ses cicatrices physiques et mentales. Enfin, La Quinzaine des cinéastes fait le pari casse-gueule de faire naître son édition avec un avis de décès. Sophie Fillières est morte avant d'avoir pu finir de monter Ma vie, Ma gueule. La quête d'équilibre d'une quinquagénaire dépressive prend forcément des airs d'évocation de la réalisatrice. Un film attachant quand elle amène son quasi-double fictionnel vers une reconquête de soi, bouleversant dans une dernière partie où cette mère décide littéralement de rester à quai, de laisser ses enfants partir faire leurs vies loin d'elle. Transcendé par une Agnès Jaoui parfaite en femme en vrac ramassant peu à peu ses morceaux, cet involontaire opus posthume est d'une belle tristesse, car éloge funèbre le plus vivant qui soit. Pendant le Festival de Cannes, retrouvez tous les jours la chronique Pop Corn d’Alex Masson, notre envoyé à la croisette, à 7h37 dans « T’as vu l’heure ? », la matinale de Radio Nova.
Thu, 16 May 2024 - 02min - 310 - CANNES JOUR 1 : Dont acte
Émouvante, la cérémonie d'ouverture du festival de Cannes hier soir. Au minimum par la gorge serrée de Greta Gerwig, présidente du jury, visiblement toute chose d'être à cette place, mais aussi par les larmes partagées entre Juliette Binoche et Meryl Streep récipiendaire d'une palme d'or d'honneur. Une entrée en matière touchante et joyeuse, y compris dans l'introduction de Camille Cottin, pince-sans-rire juste ce qu'il fallait, truffée d'allusions aux divers sujets qui s'entrechoquent cette année avec le festival. Un moment chaleureux n'ayant pas empêché le côté deux salles, deux ambiances, alors qu’aux alentours du Palais les divers services de sécurité semblaient un peu plus sur les dents à l'idée que cette inauguration soit perturbée par la moindre intervention d'un collectif, qu'il soit féministe ou de travailleurs précaires. Si, à l'intérieur, Zaho de Sagazan se lançait dans une impeccable reprise du Modern Love de Bowie, l'ambiance n'était pas vraiment à l'amour et la tendresse à l'extérieur... Plus de perplexité pour autant devant Le deuxième acte, le film de Quentin Dupieux, une antithèse de la déclaration d'intention chaleureuse de cette cérémonie. Dans la prolongation de Yannick, qui interrogeait littéralement le principe de la société du spectacle en interrompant une pièce de théâtre, Le deuxième acte poursuit cette thèse, égratignant cette fois-ci le milieu du cinéma, quand quatre acteurs se mettent à commenter le film qu'ils sont en train de tourner. Comme souvent, Dupieux organise un jeu de poupées gigognes entre premier et deuxième voire troisième degrés, mais à force d'accumuler les couches de discours méta, Le deuxième acte vire à la tartine indigeste de situations répétitives en flou, fut-il artistique, dans le propos. Excepté un passage furtif sur l'emprise possible des intelligences artificielles sur la création culturelle, le rire se fait rapidement sarcasme gausseur. L'autocaricature de Vincent Lindon, Léa Seydoux, Louis Garrel et Raphaël Quenard se mue en galerie de personnages ultra – suffisants entérinant les clichés sur leur monde au lieu de s'en moquer. La figure tragique d'un figurant, ou une ultime digression sur le statut de fiction ou de réalité achèvent de rendre le film confus. Et quand Dupieux fait savoir qu'il ne fera pas de promotion de ce Deuxième acte, estimant que le film parlait de lui-même, il y a de quoi se demander si tout ceci ne tient pas d'un cynisme vain. Pendant le Festival de Cannes, retrouvez tous les jours la chronique Pop Corn d’Alex Masson, notre envoyé à la croisette, à 7h37 dans « T’as vu l’heure ? », la matinale de Radio Nova.
Wed, 15 May 2024 - 02min - 309 - 77e FESTIVAL DE CANNES : MÉTÉO ORAGEUSE EN VUE
À Cannes, pour le moment, il fait beau, avec un ciel sans nuages, mais ça ne va peut-être pas durer. Alors que la météo annonce l'arrivée de la pluie d'ici à deux-trois jours, ce sont d'autres orages qui menacent cette édition. À vrai dire, on ne sait même pas d'où ils vont tomber : d'une possible grève initiée par le collectif Sous les écrans la dèche, qui rassemble toutes les petites mains du festival, en état de précarité de plus en plus prégnante, aux éventuels articles #MeToo autour d'une prétendue liste de prédateurs et de la venue annoncée du controversé directeur du CNC, bientôt en procès pour agression sexuelle. Cela pourrait tout aussi bien être un écho de la guerre à Gaza, ou même tout ça à la fois. Lors de la conférence de presse annonçant les agapes, son délégué général Thierry Frémaux affirmait que cette 77ᵉ édition du festival serait « pacifique, pacifiée et qu'on n'y parlerait que de cinéma », mais avant même son ouverture ce soir, cette déclaration est clairement devenue un vœu pieux. Quoi qu'il en soit, ce soir, le rideau se lèvera sur une édition qui, malgré elle, sera placée sous le signe d'un changement d'époque en cours. Il y a deux ans, la toute dernière scène d'un film de Quentin Dupieux, Fumer fait tousser, présenté ici, montrait un robot en plein bug quand il essayait justement de rebooter son époque. Ce soir, Le 2eme acte, nouvel opus de Dupieux sera projeté en ouverture. Comme souvent avec ce réalisateur, on ne sait pas grand-chose de son contenu, si ce n'est qu'il commenterait, autour d'un dîner entre quatre acteurs, et de manière très frontale, comment le monde du cinéma français gère la situation de crise actuelle, de la cancel culture à la révolution #MeToo. Seules certitudes, cela ne lui prendra qu'1 h 25, tandis que le festival est bien parti cette année pour passer beaucoup plus de temps à être l'épicentre de tous les débats sociaux du moment. Retrouvez Alex Masson au Festival de Cannes tous les matins à 7h37 dans la matinale "T'as vu l'heure ?" sur Nova.
Tue, 14 May 2024 - 02min - 308 - UNE AFFAIRE DE PRINCIPE x THE FALL GUY : EN COULISSES
Thriller juridique à la française ou reboot d’une série télé U.S, tout est une affaire de métier. Plus les élections européennes approchent, plus on voit remonter à la surface des problématiques d'ingérences et autres implications des différents lobbies au sein du Parlement. Une affaire de principe organise une visite guidée sur ce dernier point en réouvrant le dossier John Dalli, du nom d'un commissaire européen à la santé qui avait été démissionné de l'institution en 2012, suite au soupçon de magouilles avec l'industrie du tabac. Un certain José Bové, alors député européen s'était lancé dans une véritable enquête pour voir de quoi il en retournait vraiment. Antoine Raimbault s'en empare avec Une affaire de principe, pas tant pour relancer l'affaire que pour un double décryptage, du fonctionnement du parlement et des mécanismes de corruption. Soit un registre de thriller politique grand public à la française qui semblait mis au placard depuis les années 80 avec la retraite anticipée d'un Yves Boisset ou d'un Henri Verneuil, derniers grands représentants du genre. Raimbault en réactive l'efficacité avec un supplément de rogne civique faisant friser jusqu'à la moustache d'un Bouli Lanners, impeccable en Sherlock Bové. La ligne du film l'est peut-être un peu moins, quand elle s'écarte de son dossier pour aller vers une sanctification d'un député justicier drapé dans ses convictions citoyennes ou d'archétypales intrigues secondaires digressives du factuel de cette histoire. Pas de quoi tendre pour autant vers un conflit d'interêts, Une affaire de principe, film aussi divertissant que pédago, donnant plutôt envie d'autres exemples d'un cinéma mi-Cash Investigations, mi-Wikipedia, certes dogmatique, mais plus que jamais utile pour éclairer les zones d'ombres de plus en plus opaques de nos institutions. La bande-annonce The fall guy revient lui aussi sur un vieux dossier en ressuscitant une madeleine de Proust de la télé américaine des années 80 : L'homme qui tombe à pic. Il n'est pas impossible que cette série sur un cascadeur, détective privé à ses heures aie nourri la vocation de David Leitch, réalisateur lui-même longtemps coordinateur des cascades de nombreux films d'action hollywoodiens des Matrix aux Jason Bourne. Sa version cinéma de la série n'a plus grand-chose à voir avec le matériau d'origine, si ce n'est la mollesse avec laquelle The fall guy essaie d'intégrer une intrigue policière inepte. Leitch rédige bien mieux une très généreuse ode au dévouement des cascadeurs, montrant autant les coulisses que le résultat de scènes aussi efficaces que spectaculaires. La véritable cascade de The fall guy à ne surtout pas reproduire étant ce scénario maniant très mal le dérapage contrôlé entre blockbuster pyrotechnique, comédie romantique et second degré. Le charme d'un Ryan Gosling déconstruisant, après Ken, la figure virile des Action Man n'étant pas suffisant pour empêcher de passer de Barbie à un divertissement amusant mais à la longue barbant. Une affaire de principe / The fall guy. En salles le 1ᵉʳ mai
Wed, 01 May 2024 - 02min - 307 - NOTRE MONDE : en toute indépendance
Entre le Kosovo d’hier et l’Europe d’aujourd’hui, Luana Bajrami sonde les espoirs de la jeunesse. Rencontre. On avait repéré Luana Bajrami comme pousse montante du cinéma, via des seconds rôles marquants chez Céline Sciamma, Bruno Podalydès ou les Nakache/Toledano. Il y a trois ans, l'actrice était passée derrière la caméra avec Là où rugissent les lionnes, chronique d'adolescence kosovare inattendue de maturité au vu d'une réalisatrice qui entrait à peine dans la vingtaine. Avec Notre monde, son second film, Bajrami retourne dans le pays de ses origines familiales, pour en remonter le temps et se replonger en 2007 quand le Kosovo était sur le point d'accéder à l'indépendance. Logique alors, qu'elle y raconte celle qu'essaient de prendre Zoé et Volta, deux jeunes femmes fuyant l'ennui d'un village rural pour aller faire des études à Pristina. Plus que dans la plupart des cas, Notre Monde s'affirme comme une œuvre de jeunesse. Pas tant à cause d'un âge que partagent à la fois Bajrami et ses personnage que par le très juste portrait générationnel qu'esquisse Notre monde, film qui va au delà du Kosovo quand il raconte à la fois l'hier d'un pays de l'est négligé vu d'ici, que l'aujourd'hui d'une jeunesse entravée, où qu'elle soit, par les pratiques et le conservatisme de l'ancien monde, écrasant la possibilité de prendre son envol. Beau film maniant autant l'initiatique que le politique quand il met en parallèle construction de deux jeunes femmes et reconstruction d'un état, Notre monde sait faire se rejoindre l'individuel et le collectif, pour un état des lieux plus global que prévu quand il interroge les yeux dans les yeux autant un passé qu'un présent toujours aussi incertain. Notre monde en salles le 24 avril
Wed, 24 Apr 2024 - 24min - 306 - Back to black x Notre monde : toute une histoire
On pensait connaître la chanson des biopics d'artistes musicaux, celui consacré à Amy Winehouse est bienvenu quand il s'essaie à un regard en travers... À sa manière, Luana Bajrami prend aussi les choses sous un angle singulier : immersion dans le Kosovo de 2007, sur le point d'accéder à l'indépendance. "Notre monde" passe par le regard de deux jeunes femmes essayant de lutter contre un manque de perspective en fuyant leur village pour aller étudier à Pristina. "Back to Black" et "Notre monde" en salles le 24 avril
Wed, 24 Apr 2024 - 03min - 305 - Monkey Man x Riddle of fire : épris de vengeance ou insolents, les enfants sont formidables
La mondialisation n'a pas que du mauvais. Elle aura au moins permis une perméabilité des cultures. Surtout dans le cinéma de genre d'aujourd'hui où il n'y a plus vraiment de frontières, pour une sorte de revigorant melting-pot. Dev Patel en a été le témoin il y a longtemps, quand Slumdog millionnaire a fait de cet acteur anglais d'origine indienne un symbole international et transversal. Pour son passage à la mise en scène, il a inventé une ville imaginaire dans une Inde contemporaine pour une histoire de vengeance, mais surtout une hybridation du cinéma d'action, Monkey Man assimile autant le jusqu'au boutisme des thrillers sud-coréens que la précision des cascadeurs indonésiens, le savoir-faire visuel des blockbusters américains, ou la part de fable de ceux indiens. En surface, l'inextinguible soif de revanche d'un fils dont la mère a été tuée par un policier ripou n'en ferait qu'un John Wick délocalisé, mais Patel y ajoute un ingrédient inattendu : un sous-texte abordant autant le nationalisme qui gangrène actuellement l'Inde que le système de castes qui y perdure. Cet aspect là est certes bien moins maitrisé que les ahurissantes séquences de combat, n'a pas la force d'un réel commentaire politique, mais empêche Monkey Man de n'être qu'un spectacle gargantuesque de violence graphique, quand sa fureur est mûe par une colère furibarde contre une sphère politique gouroutée par des mentors usurpateurs, ou quand Patel s'autorise à casser ici et là certains codes du film de baston. Tout ca reste encore à dégrossir, mais la rogne de Monkey Man en fait un passionnant galop d'essai dépassant un certain exotisme ou sa part de défouloir. La bande-annonce du film ici À sa manière, Weston Razooli rend lui aussi exotique le registre purement américain qu'est le film d'aventures pour enfants. Bricolé avec trois dollars six cents, son Riddle of fire et sa bande de marmots en quête d'une recette parfaite de tarte aux myrtilles pour avoir accès au code parental de leur console de jeu, s'aventure dans une Amérique de fiction oubliée, à mi-chemin entre Twin Peaks et les productions Disney des années 60. Razooli renouant à la fois avec l'innocence enfantine et la mythologie bucolique d'un Tom Sawyer, dont ce film inattendu partage l'esprit libre, Mais plus encore avec l'idée d'une foi organique dans un cinéma où tout est terrain de jeu et d'imaginaire. Soit une alternative au cinéma de divertissement américain actuel de plus en désincarné par les effets numériques. Mieux que de passer par le regard de gamins pour réinventer le monde, Riddle of fire invite surtout les adultes à se remettre à leur hauteur pour retrouver sa part chevaleresque comme sa potentielle magie. Weston Razooli s'est lui invité au micro de Nova pour une interview à retrouver ici. Monkey man / Riddle of fire. En salles le 17 avril
Wed, 17 Apr 2024 - 02min - 304 - Riddle Of Fire : Retour en enfance. L'interview de Weston Razooli
Où se trouve l'aventure dans le cinéma américain actuel ? Sans doute du côté de Weston Razooli, réalisateur autodidacte s'étant lancé dans un drôle de pari avec Riddle of fire. Bricolé avec trois dollars six cents, ce premier film envoie une bande de marmots en quête de la recette parfaite de tarte aux myrtilles pour pouvoir accéder au code parental de leur console de jeu. L'occasion de revisiter une Amérique de fiction oubliée, à mi-chemin entre Twin Peaks et les productions Disney des années 60. Razooli renouant à la fois avec l'innocence enfantine et une mythologie à la Tom Sawyer, Mais surtout avec l'idée d'une foi organique dans un cinéma où tout est terrain de jeu et d'imaginaire et proposer une alternative au cinéma de divertissement américain actuel de plus en désincarné par les effets numériques. Mieux que de passer par le regard de gamins pour réinventer le monde, Riddle of fire invite surtout les adultes à se remettre à leur hauteur pour retrouver sa part chevaleresque comme sa potentielle magie. Weston Razooli, lui s'est invité au micro de Nova. En salles le 17 avril.
Tue, 16 Apr 2024 - 10min - 303 - S.O.S Fantômes : La menace de glace x Hitcher : so 80’s
Les deux derniers énormes triomphes du cinéma de studio américain, Barbie et Oppenheimer, laissaient espérer un renouveau que ce soit dans le ton où les sujets. C'était peut-être aller trop vite quand en 2024, Hollywood prolonge sa marche arrière en recyclant ses succès des années 80. Sont annoncées dans les mois qui viennent des resucées entre autres d'Alien, Karaté Kid, Y'a-t-il un flic pour sauver la reine ?ou Le flic de Beverly Hills.. Ce n'est pas pour autant signe d'une régression façon doudou. En atteste un nouvel avatar de S.O.S Fantômes, confortant ce qui se dessinait dans une précédente tentative voici trois ans. La menace de glace joue encore plus la carte du passage de relais à une nouvelle génération de chasseurs de spectres, sans pour autant évacuer la mauvaise idée de vouloir faire du neuf avec du vieux. Paradoxalement, en reprenant et amplifiant le concept du tout premier film, à savoir déguiser une comédie familiale en film d'aventure, ce S.O.S Fantômes dégraissé de séquences surnaturelles jusqu'à se foutre royalement de gérer une intrigue de menace venue de l'outre-monde paraît presque rafraichissant dans une ère de blockbusters aux faméliques scénarios, ne jurant plus que par une surenchère dans l'action. La menace de glace préfère affiner l'écriture de personnages moins ectoplasmiques, peu à peu attachants. Reste la part de parasitage d'un gênant fan service extirpant le casting originel, de Dan Aykroyd à Bill Murray, de la naphtaline, mais rapidement cireux quand un aspect Musée Grévin tire malgré tout cet énième volet plus inattendu que prévu vers une glaciation que vers une émancipation. Cette semaine cinéma est décidément sous le sceau des années 80, avec la réapparition d'un des meilleurs films de psycho-killers de la période. En 1986, Hitcher avait justement ressourcé ce genre, alors basculé dans le cinéma d'horreur avec les déjà increvables Freddy Krueger et Jason des Vendredi 13. La traque entre un jeune convoyeur de voiture et un autostoppeur machiavélique dans le no man's land des highways rétablissait la figure inquiétante du croque-mitaine, en mettant sur le siège passager de l'Amérique un pur prédateur. Ravivant l'efficacité comme la sécheresse des premiers John Carpenter ou du Duel de Spielberg, le film de Robert Harmon y ajoutait une dose anxiogène par un supplément de nihilisme. Soutenu par la performance hallucinante de Rutger Hauer en psychopathe ultime, Hitcher se faisait perturbante étude du mal incarné. Soumis lui aussi à la loi du recyclage, Hitcher connaîtra en 2007 un piètre remake, confirmant la position d'astre noir du film de départ. Mais aussi qu'il faut finalement toujours préférer l'original à la copie. S.O.S Fantômes : la menace de glace & Hitcher. En salles le 10 avril
Wed, 10 Apr 2024 - 03min - 302 - DRIVE-AWAY DOLLS x LE SQUELETTE DE MADAME MORALES : crises de couple
Pendant qu’un frère Coen fait son coming-out queer, une perle mexicaine des années 60 fait un mariage de déraison. Les frères Coen ont tellement portraituré l'Amérique profonde au gré de leurs films, qu'on aurait pu y voir une forme de fétichisme. Maintenant qu'ils sont séparés et font des films chacun de leur côté, l'affaire paraît plus compliquée. En apparence, Drive-away dolls joue leurs cartes usuelles : intrigue de polar déglingué, galeries de personnages excentriques et course-poursuite virant roadtrip entre la Pennsylvanie et la Floride. Le premier film d'Ethan Coen en solo va pourtant sur un terrain que la fratrie avait jusque-là toujours laissé à l'écart : le sexe. Et autant dire que Drive-away dolls se met au goût du jour avec un couple de lesbiennes émoustillées, quasi sorti d'une version hardcore et prolo de Sex & the city. L'intrigue policière autour du mystérieux contenu d'une valise n'est qu'un prétexte pour virer une cutie vers l'univers queer. Si Jamie et Marian se retrouvent rapidement avec des hommes de main au cul, Drive-Away dolls marque surtout à la culotte les codes des séries B masculinistes, pour les rallier à ceux d'une rom-com délurée, appelant une chatte une chatte. Pour autant, à l'exception de Margaret Qualley et Géraldine Wiswanthan, parfaites en remix goudou d'un duo de buddy movie, cette cavalcade se fait peine-à-jouir par sa réalisation de cartoon en carton ou ses interludes psychédéliques bariolés métamorphosant la modernité du fond en coup de provoc périmé. On pourra trouver Le Squelette de Madame Morales plus incisif, plus transgressif. Cette autre histoire de cornecul, autour d'un médecin mexicain taxidermiste à ses heures et de sa femme aussi bigote qu'infirme, a pourtant été tournée en 1960. Luis Alcoriza, un scénariste récurrent de Luis Bunuel y malaxe une nouvelle de folk-horror mexicaine l'amenant vers une féroce chronique de faits divers. L'arme la plus tranchante de cette tentative de meurtre parfait est un humour noir, tailladant autant la religion catholique que le machisme ou le confort conjugal. Faisant traverser le Rio grande au mauvais esprit des comédies cinglantes italiennes ou anglaises de l'époque, Le squelette de Madame Morales frictionne un jouisseur égoïste et une grenouille de bénitier odieuse pour dédiaboliser gaillardement une hantise de la sexualité, égratigner joyeusement les hypocrisies sociales de la petite bourgeoisie mexicaine dans une satire vivifiante qui plus de soixante ans plus tard n'a décidément rien d'empaillé. Drive-Away dolls & Le squelette de Madame Morales. En salles le 3 avril
Wed, 03 Apr 2024 - 02min - 301 - LE JEU DE LA REINE x O CORNO : histoire(s) de femmes
Sous Henry VIII ou sous Franco, la condition féminine était déjà sine qua non. Allez savoir ce qui se serait passé si #MeToo avait eu lieu dans l'Angleterre du XVIe siècle. Peut-être qu'Henri VII n'aurait pas collectionné les épouses, ni envoyé deux d'entre elles à l'échafaud. Karim Aïnouz revient sur cette page d'histoire pour la réécrire selon le point de vue de sa sixième épouse Catherine Parr. Le jeu de la reine la voit en femme progressiste qui se heurte autant à son époux qu'à une cour prête à comploter contre elle pour hérésie. Le thriller paranoïaque en costume ne cache pas son ambition d'une lecture ultra-déconstruite. Pourquoi pas, si ce principe ne se faisait pas au nez de cette évocation du Barbe-bleue anglais, résumé à un psychopathe, pourrissant littéralement de l'intérieur, une gangrène lui attaquant les jambes. Le trait très épais du propos coupe l'herbe sous le pied d'une tentative – pourtant séduisante sur le papier – de chronique de palais patriarcal reliftée féministe. L'écrin nacré par une splendide photo qui ressuscite les clairs-obscurs des grands peintres flamands n'enrobe dès lors qu'un duel, lui royal au bar, entre Alicia Vikander, en pré-suffragette et Jude Law, qui s'en donne à cœur joie en monarque dégénéré. O corno accouche bien mieux de son discours. Littéralement dans une séquence d'ouverture où une femme donne douloureusement naissance à un bébé. Dix minutes intenses annonçant le programme du film de Jaione Camborda, exploration de la condition féminine dans l'Espagne des dernières années du franquisme. Le parcours d'une avorteuse de village devant fuir après la mort accidentelle d'une fille qui ne voulait pas être mère est celui d'une femme qui apprend à se redresser après avoir du tant courber le dos. Aux douleurs de la chair, Camborda superpose la sensorialité d'une terre malgré tout nourricière et la part consolante d'une sororité, fut-elle clandestine. Pour sa sortie française, O corno voit son titre original complété de la mention « une histoire de femmes ». Camborda en fait aussi celle de leurs corps, via l'épopée aussi physique que spirituelle d'une héroïne, prise entre les coups de cintre de la loi et celui qu'elle a utilisé pour s'avorter. Cette scène-là est ici sous-entendue ; pas le prix qu'avaient à payer les femmes pour disposer de leurs corps dans l'Espagne des années 70. O corno, se faisant utile piqûre de rappel universel dans une période où les droits à l'IVG sont menacés dans nombre de pays. Le jeu de la reine & O corno. En salles le 27 mars
Wed, 27 Mar 2024 - 02min - 300 - HORS SAISON/ SMOKE SAUNA SISTERHOOD : en thalasso ou au sauna, on se décrasse
Cette semaine au cinéma, 2 salles, 2 ambiances : en tête d'affiche, Hors Saison, le nouveau film de Stéphane Brizé qui fait un ménage de printemps : terminé le cycle sur le monde du travail avec Vincent Lindon en chevalier pourfendant les injustices sociales. C'est toujours la crise, mais cette fois-ci de manière plus introspective autour d'un vrai-faux autoportrait de Guillaume Canet dans le rôle d'un acteur parti en thalasso bretonne pour faire le point sur sa vie. C'est celle d'avant, via les retrouvailles avec son grand amour abandonné qui va remonter à la surface. On pourrait presque rebaptiser ça Un homme et une flamme. En tous les cas, ça rappelle énormément le Claude Lelouch des grandes heures, y compris dans ses chabadabadas et digressions inattendues. On peut trouver cet esprit de comédie romantique sentimentale suranné, mais le couple Canet/Alba Rohrwacher, tout en atermoiements, fait plus que le job. Brizé a fait appel à Vincent Delerm pour la musique de son film. C'est un choix cohérent : Hors Saison y ressemble dans son humeur lymphatique, mais à la mélancolie attachante. Pendant que Guillaume Canet est donc en thalasso à Quiberon, en Estonie, la communauté Voro entretien la tradition du sauna pour les femmes. Celles de Smoke Sauna Sisterhood en font un espace protégé, lieu où elles peuvent tout se dire, tout exprimer. La parole est encore plus à nu que les corps dans ce surprenant documentaire qui dissipe tout écran de fumée. Ici, des femmes de tous âges, de tous physiques se livrent comme dans un confessionnal bienveillant, où elles peuvent autant se marrer joyeusement en parlant de dick pics que se délivrer du traumatisme d'un viol ou du diagnostic d'un cancer. Anna Hints enveloppe ce choeur féminin souvent brut de décoffrage dans une douceur sensorielle et une abstraction sensuelle, achevant de faire de Smoke Sauna sisterhood une bulle de chaleur humaine qui agit comme un gommage, nettoyant ces femmes de la culpabilité du silence. Ce sauna a été reconnu par l'UNESCO comme un inaliénable lieu d'héritage culturel. Un label que mériterait ce documentaire décrassant autant les yeux que les esprits. Hors Saison et Smoke Sauna Sisterhood, en salles le 20 mars
Wed, 20 Mar 2024 - 02min - 299 - TIGER STRIPES : quand les adolescentes sortent les griffes
Comment vivent les jeunes filles d'aujourd'hui ? Sans doute comme toujours quand la préadolescence reste ce moment de transformation où tout change. Avec Tiger Stripes, Amanda Neill Eu le prend au pied de la lettre quand une collégienne malaisienne mue en créature suite à l'apparition de ses premières règles. Provocant ce premier long-métrage ? Plutôt porté par une belle insolence qui lui fait faire un réjouissant doigt d'honneur aux conventions, que ce soit pour bousculer le cinéma de genre ou pour rappeler que les jeunes filles en fleur ont de belles épines. Amanda Neill Eu confirme leur piquant au micro de Nova. La bande-annonce du film. En salles le 13 mars.
Wed, 13 Mar 2024 - 09min - 298 - L’Homme qui fixait des vertiges : Busby Berkeley, corps et âme
Dans les années 30, Broadway et Hollywood se tiraient la bourre pour proposer les comédies musicales les plus endiablées. Un homme fit basculer la donne du côté du cinéma : Busby Berkeley. Les numéros créés par ce chorégraphe ont transformé à jamais le registre, Ses ballets, créations mathématiques combinant prouesses techniques les plus folles et abstractions poétiques ayant durablement imprégné les arts visuels. Des Frères Coën dans The big Lebowski au clip d'"Around the world" par Michel Gondry ou ceux de Beyoncé, de l'ouverture d'Indiana Jones et le temple maudit aux pubs Evian, son empreinte est restée partout, mais que savait-on de lui ? Si Berkeley filmait ses numéros selon un point de vue zénithal, Pierre-Julien Marest et Séverine Danflous posent, avec L'homme qui fixait les vertiges, un regard en symétrie pour synchroniser les parcours, tout aussi démesurés, d'un créateur et d'une industrie. Divisé en deux parties, ce livre reprend à son compte un art de la géométrie cosmique : aux tableaux mouvants, assemblages de corps composés par Berkley à l'écran, se superpose sur les pages l'enchevêtrement des complexités d'un homme et d'un âge d'or hollywoodien. Le récit de L'homme qui fixait les vertiges se faisant lui aussi kaléïdoscopique par ses extensions – de minibiographies de danseuses en chroniques des enjeux de pouvoir, chassés-croisés avec la censure, rapport érotomane à la féminité où connexion avec les années Pop'art à venir. Soit près de 500 pages prodigieusement acrobates, balancier entre apesanteur de la folie et rigueur rythmique de métronome ; L'homme qui fixait les vertiges reprenant les enseignements de la caméra de Berkeley qui se faufilait partout pour mieux être en quête de hauteur, se poser en surplomb pour mieux reformuler le monde. L'homme qui fixait les vertiges (Editions Marest)
Tue, 05 Mar 2024 - 02min - 297 - DEBÂCLE : Le poids assourdissant du silence
En Belgique, Veerle Baetens est une des actrices les plus connues du moment (en France, on se souvient d’elle dans Alabama Monroe). Avec Débâcle, son premier film de réalisatrice, elle s'attaque à quelque chose qui tient de l'invisible : la douleur d'un grave traumatisme d'enfance qui va construire l'identité d'une femme, jusqu'à littéralement l'étouffer une fois adulte. Puisqu'elle ne sait pas l'exprimer oralement, Eva va échafauder un plan radical pour en finir avec le poids de ce passé. Plus qu'une adaptation d'un best seller belge, Debâcle affine le phénomène #MeToo : ici ce n'est pas tant la libération de la parole qui compte que la mèche lente d'un insupportable silence que Veerle Baetens allume avec un film aussi fort que stupéfiant, hardi quand il sait sortir des discours convenus sur la capacité à la résilience comme sur celle du désir de vengeance. En salles le 28 février Retrouvez le Pop Corn d'Alex Masson tous les mercredis à 9h30 sur notre antenne et tout le temps, sur Nova‧fr et toutes les plateformes de podcasts.
Tue, 27 Feb 2024 - 17min - 296 - BYE BYE TIBERIADE : Histoires de famille, famille de l’Histoire.
Il y a trois ans, Lina Soualem, racontait l'impact du déracinement de ses grands-parents paternels, octogénaires qui se séparaient après soixante ans de vie commune dans Leur Algérie. Son nouveau documentaire, Bye Bye Tibériade fonctionne par effet autant inverse que miroir, en suivant le retour de sa mère, dans une Palestine natale qu'elle avait fui pour devenir actrice en France. Cette remontée des branches féminines de l'arbre généalogique est forcément une histoire de racines, celle de générations successives de femmes mais aussi celle de cette si singulière partie du monde. Le prisme de l'intime et de ses traumatismes qui émanent des archives familiales ricoche sur celui d'une Palestine aussi complexe que ce chemin vers une reconquête d'identité. Les deux s'entrelaçant au travers du récit d'une femme qui a décidé, il y a longtemps, de quitter sa terre pour échapper à un destin tracé par avance, superposé à celui d'un pays dont le sort reste plus que jamais entre les mains de ses colonisateurs. Les questionnements incessants d'une fille portant en elle un déracinement par procuration, dont elle est désireuse de s'en émanciper en visitant le passé dissimulé de sa mère, se font pour autant avec tendresse. Voire émotion quand elle se veut consolante des douleurs d'un ADN familial ou s'est implantée la géo-politique et ses tragédies. Bye bye Tibériade n'en est pas moins douloureux par les souvenirs et les regrets que ce dialogue fait remonter à la surface, mais c'est bien sa volonté d'apaiser autant que possible, des béances incurables que ce documentaire qui sait être autant journal de bord à la première personne que collectif, qui le rend particulièrement poignant. En salles le 21 février
Tue, 20 Feb 2024 - 01min - 295 - L’ENFER DES ARMES : Le cinéma hong-kongais des années 80 reste brûlant
Au début des années 80, le cinéma Hong kongais était l'un des plus stimulants. La colonie britannique hébergeait alors une génération de jeunes réalisateurs qui allait renouveler la production locale pour autant de films urbains déchainés, redonnant la fièvre aux polars. À l'époque, Tsui Hark a déjà deux films au compteur, mais L'enfer des armes va tout changer. La bande-annonce ici Sa matière (un attentat à l'explosif qui avait traumatisé puis effrayé l'opinion publique quand elle avait découvert que ses auteurs étaient des adolescents) est brûlante ; Hark la rend explosive en en faisant le portrait d'une jeunesse nihiliste face à une société ultraconservatrice. En délivrance de la frustration de ses personnages, L'enfer des armes développe une mise en scène éruptive, qui cogne encore plus frénétiquement qu'eux, confortant les principes d'un brûlot anarchiste que la censure d'alors réprimera par des coupes sévères. Quarante ans plus tard, le film, réapparaît dans son montage initial, quand le cinéma hongkongais n'est plus que cendres du volcan créatif qu'il fut, désormais sous la coupe d'une Chine lui imposant d'être sage, de n'allumer que la mèche politique du parti. La virulence de L'enfer des armes, film dont de nombreuses scènes figurent des barreaux ou des barbelés, n'en est que plus suffocante, ressuscitant une véhémente œuvre de jeunesse en puissant manifeste, qui résonne à la fois comme souvenir d'un cinéma aussi épidermique qu'insoumis et enragé coup de gueule. Amplifié par le joug d'un pouvoir plus que jamais répressif, ce requiem de la jeunesse entravée d'alors, sidère par ses airs d'Histoire du chaos et de la violence d'aujourd'hui, toujours plus embrasée par la colère. En salles depuis le 7 février, prochainement en Blu-ray chez Spectrum films.
Wed, 14 Feb 2024 - 02min - 294 - GREEN BORDER : les zones grises de l’Europe
Faut-il franchir certaines frontières pour alerter sur l’horreur des crises migratoires ? Définitivement oui. Il y a quasiment deux ans, la guerre en Ukraine éclatait. Les images de destructions sont restées dans les mémoires, pas celles d'une population fuyant son pays. Le principe d'une instrumentalisation de ces migrants par les pouvoirs politiques encore moins. Green border ne se déroule pas si loin : à la frontière entre le Belarus et la Pologne. Là-bas, une famille de migrants syriens tentant de passer en Suède s'y retrouve ballottée, les gardes-frontière de chaque pays se les renvoyant tour à tour. Agniezska Holland multiplie les points de vue ( via cette famille, un jeune garde-frontière, des activistes) pour raconter l'horreur humanitaire. Green Border se pare de noir & blanc pour s'immerger dans cette zone grise, façonnée par des lois aussi ubuesques que xénophobes. Holland la transforme en terrible examen de conscience, révélateur de la tragédie d'une impuissance citoyenne jusqu'à incarner littéralement le marécage répressif dans lequel l'Europe embourbe les migrants, parfois jusqu'à les en faire mourir. Certains trouveront la méthode discutable. En Pologne, quand Green border est sorti à l'automne dernier, des membres du gouvernement alors en place l'ont d'ailleurs traité de pur cinéma de propagande. Holland en utilise effectivement certains traits dans sa dénonciation particulièrement appuyée. Mais c'est de bonne guerre, fut-elle trouble à jouer sur la corde du tragique et de l'insoutenable. Comment faire autrement pour pousser un retentissant cri d'indignation devant les choix politiques d'une désunion européenne ? Résistant à la fureur des dirigeants du pays, le public polonais a fait un triomphe en salles au film, avant de chasser du pouvoir un parti de droit ultraconservateur, démonstration que tout n'est peut-être pas tout à fait perdu. Au-delà d'une puissance émotionnelle comme de réalisation, ce n'est qu'une raison supplémentaire de pousser à aller voir Green border, ici, dans une France qui s'apprête à vivre sous une loi immigration balafrant profondément sa devise, Liberté, Égalité, Fraternité. En salles le 7 février.
Tue, 06 Feb 2024 - 02min - 293 - Moullet Jeunesse : le cinéma de Luc Moullet à encore de la cuisse
Vous l'avez entendu ce matin dans la matinale de Radio Nova, Luc Moullet est un cas particulier. Le moins connu des réalisateurs de la Nouvelle Vague est pourtant l'un de ses cinéastes les plus prolifiques, pour des dizaines de courts et longs métrages, moissonnant les genres les plus variés, du western au documentaire animalier, pour un regard sur le monde aussi amusé que sociologique. Un univers foisonnant, à mi-chemin entre loufoque et contestataire, lucidité et absurdité, rassemblée dans une rétrospective, bien nommée Moullet Jeunesse, puisqu'à 87 ans, ce réalisateur n'a rien perdu de son sens de l'observation, ni de sa cinéphilie. D'ailleurs, s'il est un homme de cinéma, c'est sans doute autant par son travail, qu'au sens littéral, quand les films ont participé à sa construction. La voici, la voilà, l'interview en version longue !
Mon, 05 Feb 2024 - 19min - 292 - Le bonheur est pour demain : l’amour emprisonné.
Avec Le bonheur est pour demain, Brigitte Sy creuse son sillon. Comme ses deux films précédents, Les mains libres et L'astragale, celui-ci est lié à l'univers carcéral, que Sy connaît bien pour y avoir longtemps travaillé. Mais surtout, la relation contrariée entre une jeune femme et un braqueur, bifurque par sa part de romantisme, vers une flamboyante histoire d'amour emprisonnée par les aléas de la vie. Et si en fait, c'était le véritable sujet du film, comme de sa réalisatrice ? La bande-annonce du film
Wed, 31 Jan 2024 - 19min - 291 - "Queendom", portrait fascinant d'une performeuse drag intrépide en Russie
Jenna Marvin est à l'affiche du documentaire "Queendom", dont on vous a parlé dans la matinale de Nova il y a quelques semaines. Cette artiste Russe incarne la radicalité du mot Queer, dans des performances esthétiques mais aussi profondément politiques où elle est costumée en créatures à l’esthétique sombre, étrange et magnifique. Jenna performe en drag dans les lieux publics en Russie, un pays qui, bien qu'il ait d'abord dépénalisé l'homosexualité, mène une croisade contre toute forme d'opposition au pouvoir, d'autant plus depuis l'invasion de l'Ukraine en 2022, et contre la communauté LGBTQIA+. "La communauté a été qualifiée d'extrémiste et aujourd'hui, vous pouvez aller en prison pour avoir porté un badge avec le drapeau arc-en-ciel" résume la réalisatrice. La réalisatrice Agniia Galdanova façonne un portrait fascinant du courage et de l'audace de Gena, avec des scènes en tableaux de performances magnifiques, mais aussi sa vulnérabilité émotionnelle et physique alors qu'elle se bat pour sa liberté artistique. Un regard poignant et puissant sur la société russe contemporaine. La bande-annonce du film est ici. Le film n’a pour l’instant pas de sortie prévue en France, mais il est diffusé en exclusivité ce dimanche 28 janvier à 18h au Forum des images, en VO sous-titré, pour le festival “Un état du monde”. C'est la cinéaste Laura Poitras qui a choisi ce documentaire pour sa carte blanche. Nous, on vous offre un avant-goût, une interview de Jenna Marvin et Agniaa Galdanova, la réalisatrice du documentaire. On y a parlé communauté queer en Russie, costume politique, bande originale et meufs méga badass.
Fri, 26 Jan 2024 - 16min - 290 - INCUBUS : réapparition d’une perle maudite
Injustement nanardisé par sa particularité (il est parlé en Esperanto), Incubus savait surtout prendre langue avec les meilleurs contes gothiques. Mais qu'est-ce qui est passé par la tête de Leslie Stevens ? En 1968, ce cinéaste a acquis un statut d'excellent faiseur hollywoodien, insufflant à des registres variés, du drame social au film de chevalerie, un regard très personnel sur les rapports humains. Voilà qu'il se lance dans une aventure des plus singulières avec Incubus. C'est un film à mi-chemin entre les tourments existentiels d'un Bergman et l'imaginaire gothique autour d'une histoire de femme démon ensorcelant les hommes d'un village de pêcheurs jusqu'à tomber amoureuse d'une de ses proies. Sauf qu'Incubus sera l'un des deux seuls films de l'histoire du cinéma à être tourné en espéranto. La logique de rendre universelle le fond de ce récit via une novlangue farfelue, censée pouvoir être parlée par tout le monde, peut s'entendre. Mais elle fera d'Incubus un film énoncé dans un sabir improbable, lui procurant une telle réputation de nanar qu'il sombra quasi immédiatement dans les limbes de la cinéphilie. À tort, quand cette malheureuse particularité linguistique aura occulté une dream-team comme on en verra rarement (de Stevens à la mise en scène aux géniaux Conrad Hall et Dominic Frontier à la photo et la musique) comme une fable noire sur la dévorante part possessive de l'amour. Porté disparu jusqu'à la découverte d'une copie dans les caves de la cinémathèque française, Incubus réapparait aujourd'hui en Blu-ray dans une restauration étincelante, révélant autant sa splendeur visuelle expressionniste que révélant que la langue que ce film maudit parlait le mieux, était celle des grands drames mélancoliques. Il serait dommage de faire à nouveau échouer dans l'oubli cette relecture crève-cœur du mythe des sirènes. Edité par Le chat qui fume.
Wed, 24 Jan 2024 - 02min - 289 - LES CHAMBRES ROUGES : noir comme le chagrin
Au rayon des perversités inaugurées par Internet, il y a les redrooms, ces salons ultra-privés disséminés dans les tréfonds du dark web où seraient mises en enchères des séances de sévices ultra-brutaux en vidéo. Un sujet parfait, entre légende urbaine et show de torture-porn, pour le cinéma d'horreur. Si Les chambres rouges se focalise sur une cliente de ces spectacles aussi cruels que sordides, ce n'est pourtant pas le terrain de Pascal Plante. La Bande Annonce Kelly-Anne n'est pas une sadique sociopathe de série B. À travers son obsession pour les tueurs en série, Les chambres rouges ausculte la fascination plus globale d'une génération pour une violence jusqu'à l'anesthésie de la morale ; Plante préférant bien plus emprunter la glaciation d'un Michael Haneke ou la rigueur formelle d'un David Fincher plutôt que de se laisser aller aux débordements sanguinolents. Les chambres rouges n'en est pas moins suffocant, que ce soit par un sens sidérant de la tension ou sa manière d'éplucher patiemment la psychologie d'une jeune femme de prime abord insaisissable. Le plus perturbant restant la révélation progressive d'une solitude urbaine si insupportable qu'il lui faut la catharsis, d'une ultra violence radicale, jusqu'à la désintégration physique, heureusement ici hors champ, pour reprendre contact avec l'humanité. Plus impressionnant par son chagrin que par sa noirceur, Les chambres rouges s'impose parmi les grands films dérangeants. Que ce soit quand il interroge la propre curiosité morbide des spectateurs lors de séquences d'une terrassante intensité ou quand cette odyssée mentale se fait émouvante à aller une lumineuse sérénité pour panser ses plaies
Wed, 17 Jan 2024 - 02min - 288 - "Si seulement je pouvais hiberner"
Le cinéma mongol montre de quel bois il se chauffe. Comment ça va à Oulan Bator ? Pas très bien quand on est Uzil, un ado qui se retrouve à avoir la charge de ses frères et sœur quand leur mère, partie pour trouver un emploi, les abandonne peu à peu. Encore moins quand un hiver bien au dessous de zéro commence à s'installer, et qu'il faut bien trouver de quoi alimenter le poêle pour se chauffer comme de quoi mettre dans celle pour se nourrir. Si je pouvais hiberner, le premier film dela réalisatrice Zoljargal Purevdash, va au charbon pour extraire de toute mélasse sentimentale ce récit de pauvreté important une poisse à la Dickens sous une yourte . Sans renoncer à sa part de mélo, il s'illustre avant tout par sa retenue, la dignité avec laquelle est filmée cette fratrie a qui est imposée un sens de la démerde pour survivre. La Bande Annonce du film Une combinaison de pudeur et d'émotionnel qui place d'emblée son réalisateur au même rang qu'un Ken Loach dans cette peinture des complexités d'un rapport de classe refusant l'apitoiement. Récit d'apprentissage, Si je pouvais hiberner s'imprègne aussi, sans doute par l'éducation japonaise de Purevdash, des délicatesses du cinéma humaniste nippon, d'Ozu à Kore-Eda par son sens de la distance ou de l'empathie. Aussi crève-coeur que chaleureux, Si je pouvais hiberner, très beau premier opus invite à suivre un talent évident de cinéaste qui ne peut que bourgeonner. Retrouvez le PopCorn d'Alex Masson, tous les mercredis à 9h30 et en replay !
Wed, 10 Jan 2024 - 01min - 287 - VERMINES : pris dans la toile
Le cinéma de genre français confirme sa belle chrysalide. Il faudra commencer l'année cinéma 2024 en jetant un œil dans le rétro sur 2023. Pas tant pour rédiger un top des meilleurs films que pour déceler au minimum deux tendances dans la production française. D'abord un accès enfin autorisé à l'imaginaire, à des univers qui poussent enfin les murs. De franches réussites comme Le règne animal ou Mars express ont affirmé qu'il était bien possible d'élargir le champ de vision. Ensuite, une réappropriation de territoire, celui de la banlieue, redevenue pour les cinéastes un sol politique, de Bâtiment 5 à Avant que les flammes ne s'éteignent. L'étape suivante pourrait bien être déjà franchie avec Vermines, film qui se place à la jonction de ces deux axes. Le premier long-métrage de Sébastien Vanicek hybride le film de monstre et la chronique urbaine en enfermant dans un immeuble HLM ses habitants et des araignées ultra-venimeuses qui prolifèrent à vitesse grand V. Et tout autant l'énergie des séries B fantastiques américaines et regard incisif du cinéma social européen, Vermines jouant sur une double échelle de Darwin en rapprochant espèce animale et catégorie de population pareillement rejetées par préjugés. La bande annonce est à voir ici Vanicek filme intelligemment cet enfermement, cadrant en quasi-scope son huis-clos resserré. Les détails du quotidien des cités, des murs lépreux aux ascenseurs perpétuellement en panne, mais aussi la solidarité d'un voisinage n'attendant plus rien du monde extérieur, n'en sautent que plus aux yeux. Tout comme les araignées, impeccable mélange d'effets numériques et artisanaux, dans cet inattendu conte moderne sur la survie, épatant quand il capture dans sa parfaite toile les peurs primitives et celles sociales, pour se demander lesquelles sont les plus flippantes. En salles depuis le 27 décembre Retrouvez le Pop Corn d'Alex Masson, tous les mercredis à 9h30 et en podcast !
Thu, 04 Jan 2024 - 02min - 286 - MON NOM EST PERSONNE : Quand Terence Hill devenait quelqu'un
Terence Hill s'est majoritairement fait connaître en s'associant avec Bud Spencer pour un duo ayant essaimé le buddy movie à l'italienne bon enfant. Avant cela, il n'était personne. Littéralement dans l'un des meilleurs westerns spaghetti. Mon nom est Personne est même à part dans ce registre, quand il s'essaie à un ton de fable picaresque en associant un cow-boy buissonnier et un flingueur de légende. Mais aussi une remise à zéro des compteurs entre l'Amérique et l'Italie. En 1973, Hill est déjà une star en italie avec trois Trinita, fin de règne potache du western à l'italienne. En invitant Henry Fonda, et avec lui toute une mythologie américaine, Mon nom est Personne est un ultime acte de déférence, un adieu aussi épique que décontracté d'un cinéma européen à ses fondations hollywoodiennes. Que ce soit par des clins d'œil à La horde sauvage- jusqu'à faire figurer le nom de son réalisateur sur une tombe -ou en prenant au pied de la lettre « Quand la légende est plus belle que la réalité, imprimez la légende !», fameuse réplique de L'Homme qui a tué Liberty Valence, pour en faire son sujet. En découle un splendide Il était une autre fois dans l'Ouest, adoubé par un Sergio Leone omniprésent sur le film de Tonino Valerii, de sa participation au scénario au rythme déconstruit en passant par une des plus mémorables B.O d'Ennio Morricone. Hill y est magnifique en Sancho Pança déconneur mais philosophe, accompagnant un pistolero à l'ancienne dans son dernier baroud d'honneur : sa présence burlesque ne laisse pas voir venir l'inattendue mélancolie qui gagne un film sur la fin d'un monde et d'un genre. 50 ans après sa première sortie, ses images étincèlent dans une ressortie en version restaurée, mais lustrée par la patine d'une nostalgie crève-cœur pour un western décalé et flamboyant, comme il ne s'en fera plus ensuite. En salles le 20 décembre. Retrouvez le PopCorn d'Alex Masson, tous les mercredis à 9h30 et en replay !
Wed, 20 Dec 2023 - 02min - 285 - Censure et cinéma en Italie : vue en coupe(s)
Le nouveau volume d'une collection décortiquant les systemes de censure se penche sur le pays de Ferrerri, Fellini et Pasolini. « Je pense que scandaliser est un droit. Être scandalisé est un plaisir. Celui qui refuse d'être scandalisé est un moraliste ». Cette citation de Pier Paolo Pasolini est en exergue d'un des chapitres de Censure & Cinéma en Italie. Normal, quand il est difficile de ne pas mentionner ce cinéaste dans un ouvrage dédié à ces thématiques. Au-dela de ses parties consacrées à Théoreme et Salo ou les 120 journées de Sodome, ce livre collectif opère un tour d'horizon des plus complets sur une cinématographie de choix quand, plus que les autres, elle aura fait fructifier de nombreux sous-genres provocants et transgressifs, de la nazisploitation aux comédies érotiques ou ripailles gores des films de cannibale pour ne citer qu'eux. Censure & cinéma en Italie n'est pourtant pas qu'un inventaire quand il revient autant sur les textes de loi que sur des cas d'études singuliers. Qui connaissait les aventures italiennes d'un film porno signé Wes Craven ? Qu'au début du XXe siècle l'Eglise interdisait aux prêtres d'entrer dans les salles de cinéma ? Qu'Il divo, le film de Paolo Sorrentino consacré au sulfureux premier ministre Giulio Andreotti était privé de diffusion télé ? Aussi factuel et précis pour égrener les motifs de coupes et restrictions que riche en anecdotes, ce nouveau volume d'une collection regarde le cinéma par le prisme de son rapport à l'interdit et aux bonnes mœurs préconisées par les autorités. Et lorsqu'il en vient à évoquer les coulisses de La grande bouffe, Gomorra ou Cannibal Holocaust, pour rappeler leurs visions sociale et politique, Censure & Cinéma en Italie, complète pleinement une collection de formidables livres d'histoire parallèle et méconnue du cinéma. Censure et cinéma en Italie (Editions Lettmotif) Retrouvez le Pop Corn d'Alex Masson tous les mercredis à 9h30 sur Nova !
Thu, 14 Dec 2023 - 01min - 284 - GUERRE ET PAIX : quand un classique de la littérature russe donnait naissance à un monument de cinéma
Réapparition d’un sidérant film-somme oublié, l’adaptation du roman de Tolstoï taille de sacrées croupières au récent biopic de Napoléon. Il aura suffi du biopic que Ridley Scott a consacré à Bonaparte pour que la Napoleonmania se réactive. Ce n'est pourtant pas le premier film d'ampleur qui est consacré à l'Empereur. En 1966, sortait même le plus impérial du lot. Pas tant parce qu'il s'agissait d'une adaptation du plus connu des romans de Léon Tolstoï, ni parce qu'il allait être accompagné de tous les superlatifs, de son budget faramineux qui, même converti en monnaie actuelle, ferait passer un blockbuster Marvel d'aujourd'hui pour un film indépendant à sa durée colossale, outrepasssant les sept heures. Monument de production, Guerre et paix en est aussi un de cinéma. De son introduction quasi expérimentale, impensable pour son statut de fresque populaire commandée par le Kremlin, à ses scènes de bataille réinventant déjà le cinéma immersif en passant par la peinture opératique des raoûts de l'aristocratie, cette évocation de la campagne de Russie sidère dans son alliance d'uber-spectacle et d'intime, Guerre et paix a l'ambition folle d'une vision à la fois concrète et symbolique d'une fin de règne. La puissance de la fiction et la démesure de l'Histoire avec un grand H achevant de faire du film de Sergeï Bondartchouk une des dernières grandes épopée du cinéma soviétique, aussi grand public qu'introspective. Cinquante-sept ans plus tard, elle réapparait, en salle, mais aussi dans un fastueux coffret Blu-ray, accompagnée d'un passionnant livre, ce serait vraiment connaître une bérézina de spectateur de ne pas découvrir ou redécouvrir cette saga pharaonique Napoléon est peut-être mort à Sainte-Hélène mais c'est ce film fou ou se disputent gigantisme et lyrisme qui l'a enterré. En salles et en coffret Blu-ray (Potemkine) Retrouvez le Pop Corn d'Alex Masson tous les mercredis à 9h30 sur Nova et en podcast !
Wed, 06 Dec 2023 - 01min - 283 - CONANN : Héroïque fantaisie
Mouliné par l’imaginaire surréaliste de Bertrand Mandico, le personnage symbole de l’heroïc fantasy mue dans une saga baroque et désenchantée, en guerrière tragique, damnée par l’amour. Le Conann (oui avec deux n) de Bertrand Mandico n'est pas un remake du film avec Arnold Schwarzennegger. Ni même une relecture des romans de Robert E.Howard autour des aventures du guerrier cimmérien. Mandico remonte plus loin, que ce soit à des origines celtes ou en féminisant ce personnage icône du virilisme. Initialement, ce n'était d'ailleurs même pas un projet de film, mais de spectacle pour le théâtre. Faute d'avoir pu se monter, Conann s'est transféré sur écran pour devenir un festin d'images fortes, autour de la descente aux enfers d'une guerrière revenant sur son passé. Mandico en fait un sabbat halluciné, entre imaginaire visuel débridé et art de la performance scénique, autour des multiples vies d'une héroïne et de sa trajectoire intérieure. Pour incarner ce parcours, de la furie de la vengeance à la mélancolie des regrets, Conann se démultiplie, prenant non pas l'apparence d'une mais de six actrices, chacune incarnant un âge différent. À ces différentes mues, s'ajoutent celles, toutes aussi iconoclastes, d'un film se transformant à vue, invoquant différents genres, ressuscitant l'esprit de collage des surréalistes. Quoi de mieux pour porter un regard, à travers une étude de la barbarie, sur notre époque, actuel royaume de l'absurdie et du chaos ? En salles le 29 novembre
Wed, 29 Nov 2023 - 14min - 282 - LA VENUS D’ARGENT : Un certain sentiment du monde
On avait découvert Héléna Klotz, avec "L'âge atomique, chronique des aspirations et des pulsions de la jeunesse d'aujourd'hui." Avec "La vénus d'argent", elle signe de nouveau un film ultra-contemporain. À savoir sur une époque où le besoin de retrouver ses repères, ses fondations, se fait grandissant alors que la société est elle de plus en plus floue. À travers la trajectoire de Jeanne, jeune femme qui infiltre le monde de la finance pour s'émanciper de blessures intimes, "La vénus d'argent" se fait récit de transformation en faisant des arcanes opaques du trading la chrysalide d'une reconstruction sentimentale, Héléna Klotz jouant avec les codes du thriller pour mieux décrypter les ressorts des rapports humains. Pour Nova, la réalisatrice revient sur les coulisses de son film. En salles le 22 novembre.
Wed, 22 Nov 2023 - 18min - 281 - LITTLE GIRL BLUE : Un fascinant documentaire pour soigner un mal de mère
25 caisses. C'est la somme de documents à propos de sa mère que Mona Achache stockait chez elle. 25 caisses de lettres, photos et enregistrements longtemps mises à distance. Pas tant parce qu'elles symbolisaient un deuil difficile (cette mère s'étant suicidée) que par habitude de la réalisatrice d'avoir refoulé une enfance malheureuse. Ce décès soudain a pourtant forcé Achache à se confronter au parcours d'une génitrice qui aura côtoyé un milieu artistique, notamment celui littéraire, de Duras à Genet, qui aura brisé ses propres élans, embarquée dans la vague post-68arde pour faire les frais de ses excès libertaires. Par ricochet de l'inconscient, sa fille pâtira d'un mal-être qui l'a contaminée à son tour. Pour ne pas perpétuer cet héritage ultra-névrosé, Achache a déballé ces caisses mais aussi ressuscité sa mère par procuration, en demandant à Marion Cotillard d'incarner, à partir de ces archives, sa parole, son corps, ses pensées, jusqu'à être un saisissant double. Envoûtant dialogue avec un spectre, "Little girl blue" filme ce processus pour le transcender non pas en thérapie personnelle, mais en portrait collectif d'une génération de femmes ayant souffert d'une absence de clés pour comprendre celle qui les a précédées. Ouvrant les doubles-fonds de tiroirs psys, cet inhabituel documentaire fascine autant par ce qu'il montre d'une actrice accouchant d'un personnage que dans sa part d'exorcisme résilient permettant à Achache de rompre avec un cycle de douleurs. Incroyablement émouvant dans sa démarche introspective, "Little Girl blue" l'est encore plus quand il reconstruit le puzzle d'une mère pour mieux rassembler les morceaux émancipateurs de sa fille. En salles le 15 novembre.
Thu, 16 Nov 2023 - 02min - 280 - CONSTRUIRE METROPOLIS : Un livre making-of pour le classique de Fritz Lang
Metropolis restera dans l'histoire du cinéma comme un des films les plus fondateurs. Par la puissance de son récit, son impact visuel ou la démesure même du projet de Fritz Lang pour cette dystopie prométhéenne devenue prophétique dans sa vision des rapports de classe. Rien n'a égalé cette œuvre monumentale depuis sa sortie en 1927, tant dans le gigantisme de sa production que dans son influence encore prégnante dans le cinéma de science-fiction. Pour autant, tout n'avait pas été dit ni écrit sur cet insurpassable classique. Un collectif (il fallait au moins ça pour s'attaquer à un tel film) s'y attelle avec Construire Metropolis, époustouflant livre making-of, reprenant ses fondations, du contexte historique à celui social ou culturel de l'Allemagne sous la république de Weimar. L'imposant ouvrage s'immisçant aussi dans la vision de Lang et sa fidèle Théa Von Arbou, notamment dans l'idée d'un film qui tiendrait autant d'une éternelle fable chrétienne que visionnaire du culte à venir pour la civilisation des machines industrielles. Construire Metropolis porte admirablement son titre quand le film s'érige au gré des pages, cette somme revenant sur absolument toutes ses étapes, jusqu'au feuilleton de la quête des différentes versions et matériel qui ont mené à sa réapparition, ses répercussions à sa sortie dans un XXe siècle au bord du chaos ou la perfusion persis-tante de son inépuisable héritage culturel. Soit un exceptionnel livre genèse, minutieux travail d'architecture narrative, décortiquant son sujet et ses complexités. Devenu une cathédrale de cinéma, Metropolis y trouve enfin une bible à sa hauteur. En librairie (ou inclus dans un coffret Blu-ray en édition limitée) Editions Potemkine
Thu, 09 Nov 2023 - 02min - 279 - PORTRAITS FANTÔMES : entre intime et collectif, un émouvant carnet de bord d’une mémoire brésilienne
Pendant la mandature de Bolsonaro, Kleber Mendonça Filho, l'un des plus passionnants réalisateurs brésiliens apparus dans les années 2000, est venu s'installer en France. Avec le retour de Lula, il est rentré chez lui à Recife, sa ville. Pour ne pas dire sa vie, quand c'est là qu'il a nourri sa passion pour le cinéma, jusqu'à la mettre en scène dans son premier long métrage de fiction, Les bruits de Recife. Celui des projecteurs des salles de cinéma locales n'existe quasiment plus, la plupart ayant fermé, engloutis par la spéculation immobilière ou transformés en églises évangéliques, ne laissant à Filho que les souvenirs de séances. Avec Portraits fantômes, il revient sur cette disparition à laquelle il superpose celle d'une dolce vita à la brésilienne dans laquelle il a grandi, protégé par les murs de l'appartement familial. Ce journal intime tourne rapidement les pages de celui collectif d'une société qui s'est effrité dans un enfermement paranoïaque ou sécuritaire. Plus qu'un élan nostalgique, Portraits fantômes rédige un carnet de bord entre archéologie et sociologie, touchant quand il ne se veut pas pamphlétaire, mais empli de chagrin. Il en émane un spleen façon Saudade, mariant l'existentialisme d'un Antonioni à la curiosité du quotidien d'un Chris Marker, humeurs mélancoliques et ironiques. Mais aussi une foi dans le cinéma malgré tout, quand des traces de fictions s'insèrent dans ce portrait documentaire, comme une présence rassurante, un ultime refuge. Un récif d'images protectrices de la mémoire de Recife, faisant de Portraits fantômes une émouvante zone de résistance aux orages des temps qui changent. Sortie le 1 novembre
Thu, 02 Nov 2023 - 02min - 278 - THE APPOINTMENT: un rendez-vous manqué à rattraper impérativement
Certains films sont uniques. Littéralement quand un réalisateur stoppe sa carrière après un seul essai. Ce fut le cas de Lindsay C.Vickers, un assistant de nombreux metteurs en scène à la Hammer films avant de se jeter à l'eau au tout début des années 80 avec The Appointment. Et encore qu'initialement, il n'aurait dû etre que le premier épisode d'une série fantastique pour la BBC. Celle-ci fut annulée, mais Vickers, qui en était co-producteur, récupéra son travail et essaya de le sortir en salles. A raison quand l'étrangeté de The Appointment se révèle pleinement sur grand écran. Cette histoire de rendez-vous manqué entre un père et sa fille combine forces surnaturelles et lecture psychanalytique jusqu'à être un sidérant croisement entre les univers familiaux tordus d'un Stephen King et les chroniques sociales aussi naturalistes que vachardes d'un Mike Leigh. S'y ajoute une touche de la so british folk horror par la présence d'une potentielle malédiction touchant des collégiennes. Vickers brouille habilement ces pistes par un montage détraqué renforçant la sensation d'un funèbre puzzle psy, instigant chez le spectateur le double soupçon d'un châtiment pour un père trop proche de sa fille ou d'une ado sorcière sur les bords. Le réel maléfice aura été celui qui aura mis au placard The appointment pendant quarante ans, ne le faisant apparaître en salles françaises qu'aujourd'hui. Il serait donc regrettable de louper ce rendez-vous avec un film effectivement unique, sur tous les points. Sortie le 25 octobre
Thu, 26 Oct 2023 - 02min - 277 - LINDA VEUT DU POULET ! : du cinéma d’animation formidablement cuisiné
Dès son titre, Linda veut du poulet ! affiche une particularité. Il y a un point d'exclamation qui a toute son importance quand il se fait impératif,. En l'occurence qu'une gamine, Linda donc, puisse avoir, quoiqu'il arrive dans son assiette du poulet. Mais pas n'importe lequel, celui aux poivrons que cuisinait son père, décédé. Alors sa mère va se lancer à la recherche des ingrédients, sauf que c'est jour de grève générale. Il va falloir mettre toute une cité HLM sens dessus dessous pour pré-parer la recette chérie. Quitte à embarquer dans l'histoire, des copines, une mamie, un livreur à vélo, un fermier et même un policier. Mine de rien, le dessin (très) animé de Sébastien Laudenbach et Chiara Malta compose avec cette galerie de personnages, un étonnant panel d'une France ac-tuelle. Chacun est repérable par une couleur distincte, mais la teinte sociale est jaune gilet, tant Linda veut du poulet ! raconte l'énergie que demande la démerde dans une époque précaire. Elle se ressent jusque dans cette animation à la main, vibratile, à l'image d'un film aussi créatif qu'érup-tif, à la fois d'une évidente simplicité et d'une totale densité. Derrière la bourrasque de cette folle journée, surgit par moments la rogne d'une mère qui ne sait plus comment joindre les deux bouts quand ce n'est pas la mélancolie d'un deuil inachevé qui vient ponctuer une aérien sens de la co-médie loufoque. Une parfaite palette de nuances qui ajoute du pigment à celle des couleurs pas-tels. Curieusement, c'est la piteuse récente cérémonie d'ouverture de la coupe du monde de rugby qui vient en tête : là où elle se voulait hommage chromo à la France béret-baguette, Linda veut du Poulet ! vise bien plus juste avec une vision en coupe aussi enjouée que pertinente de l'actuelle France d'en bas, celle qui en a à la fois ras la casquette mais sait rester solidaire. Tout le monde se souvient de l'apparition étrange d'un comédien déguisé en coq lors de cette cérémonie, on peut, et de très loin, lui préférer ce poulet survolté qui vole joyeusement dans les plumes de la morosité ambiante. Sortie le 18 octobre Une chronique d'Alex Masson
Thu, 19 Oct 2023 - 02min - 276 - DES IDÉÉS DE GÉNIE ? La culture d’entreprise est-elle soluble dans celle de la com’ ?
C'est quoi un bon patron ? Celui qui obtient des résultats spectaculaires pour son entreprise ou celui qui pend en considération le bien-être de ses employés ? A moins que ce soit celui qui maîtrise à la perfection l'art du storytelling et de la communication. Celle de Philippe Ginestet, propriétaire des magasins GIFI parti de peu mais arrivé dans le classement des plus grosses fortunes françaises est entrée dans la mythologie des self-made men qui font la fierté du MEDEF. Y compris parce qu'il renoue avec la tradition de patrons ultra-paternalistes, jurant que leurs employés sont comme une famille qu'il doit chouchouter. Mais avec les nouveaux outils de la culture d'entreprise, de séminaires de motivation en concours de poker avec voyage offert à la clé. Initialement parti pour faire un documentaire sur ce mode de management, Brice Gravelle a fait bifurquer Des idées de génie ? en portrait de Ginestet. Il faut dire que le bonhomme est fascinant dans sa relation avec des employés qu'il vante comme collaborateurs. Une histoire trop belle pour y croire et qui va justement se fissurer. Des idées de génie ? se fait pourtant plus ambigu en devenant une histoire de lutte non pas des classes mais entre un réalisateur quasi-envouté et un entrepreneur gourou. Ce documentaire devenant aussi fascinant que son sujet, quand il s'avère être lui aussi incroyable metteur en scène de son entreprise, jusqu'au boutiste jusqu'à manipuler celui qui est derrière la caméra. Au delà d'un sidérant portrait de narcissisme, Des idées de génie ? trouve dans ce glissement d'un making of de la réussite à un face-à-face, l'expression de la farce dangereuse qu'est le néo-libéralisme. Elle est ici grinçante mais à sa manière parfait résumé des méthodes actuelles de fusion-acquisition telle qu'elles se pratiquent dans les groupes industriels, entre jeu de séduction et d'infiltration avant de s'imposer comme subordination totale. Gravelle signant un film ayant la toujours salutaire idée de rappeler comment le mauvais génie s'est emparé du monde de l'entreprise. En salles depuis le 4 octobre
Wed, 11 Oct 2023 - 02min - 275 - LE REGNE ANIMAL : le cinéma français fait enfin sa mue
Enfin! Cela faisait tellement longtemps qu'on attendait que l'imaginaire du cinéma français se renouvelle, qu'on avait fini par abandonner la possibilité d'en finir avec un certain formatage. Et puis voilà que débarque un film qui se contrefout des barrières culturelles comme des frontières narratives. "Le règne animal" s'attaque donc aux codes de notre écosystème d'images et d'histoires, au minimum en lui proposant une nouvelle jungle de récits. Difficile de faire entrer le second film de Thomas Cailley - après le déjà remarqué "Les combattants"- dans une case, justement parce qu'il les réfute. À partir d'un scénario reposant sur des mutations, celles causées par une maladie qui transforme peu à peu les humains en animaux, Cailley tente des greffes inédites. "Le règne animal" tient à la fois et entre autres du film fantastique et de l'étude de mœurs, d'une fable écologico-sociologique et d'une chronique d'adolescence. Tout ici est observation de corps qui se transforment, de ceux des personnages à celui d'un récit qui s'ouvre aux possibles. Mais surtout qui affirment qu'il est nécessaire de devoir s'adapter aux fluctuations du monde si l'on veut survivre aux crises qui exigent une réinvention des modèles. Le règne animal tient donc d'un acte de renaissance, de transition vers des métamorphoses sociales, culturelles mais avant tout organiques, jusque dans la chair même de notre cinéma. Cette mue se pressentait déjà, au vu de films singuliers comme ceux des frères Boukherma, Julia Ducourneau ou Thomas Salvador, tous tentant des expérimentations, des hybridations, mais "Le règne animal" annonce que ce mouvement est enfin à maturation, que l'ADN du cinéma populaire peut enfin être combiné avec des ambitions formelles comme d'écriture ou de propos. "Le règne animal" est traversé de créatures, cousines ou descendantes de celles qu'on a pu croiser chez un Guillermo Del Toro ou un Miyazaki, qui ne demandent qu'à vivre en liberté, mais pas autant qu'un film français d'une espèce nouvelle, dont il est plus que souhaitable qu'elle fasse beaucoup de petits afin que cette ode à la différence devienne une bienvenue norme. En salles le 4 octobre
Wed, 04 Oct 2023 - 02min - 274 - Batman contre le fantôme masqué
On ne compte plus les versions de Batman à l'écran, de celle pop et kitschissme de la fin des années 60 aux re-créations signées Tim Burton ou Christopher Nolan. Voire certains égarements gênants -comme les barnums grotesques de Batman Forever ou Batman & Robin à la fin des années 90. Pour autant, l'une des meilleures adaptations des aventures du vigilante de Gotham City est aussi l'une des plus oubliées. Peut-être parce qu'elle n'est pas passée par la case cinema. Batman contre le fantôme masqué est une extension de la, déjà remarquable, série d'animation, crée en 1992. Devant son succès inattendu, le département télé de la Warner commande à ses créateurs, Eric Radomski et Bruce Timm, un super-épisode devant servir de parenthèse entre les deux premières saisons. Les deux réalisateurs et le scénariste Alan Burnett décideront d'en faire un retour aux sources, quand l'apparition d'un nouveau méchant fait remonter à la surface un épisode douloureux de la vie de Bruce Wayne. Batman contre le fantôme masqué réussissant à être à la fois en phase avec le virage pris côté comic-book, se teintant de psychanalyse shakespearienne et d'appliquer les fondamentaux des récits d'action. Sans oublier d'être déférent envers le grand cinéma classique, via de nombreuses références, notamment à Citizen Kane comme au Hitchcock de la grande période. A l'occasion de ses trente ans, Batman contre le fantôme masqué, réapparait en Blu-ray dans une édition remasterisée. Au delà de la beauté de son graphisme, c'est la puissance du scénario, sans doute le plus tourmenté et romantique qu'aie connu Batman qui continue à impressionner, quand il pousse plus que jamais son héros à tomber le masque pour révéler son vrai visage, celui d'un homme a jamais rattrapé par ses failles et ses blessures intimes. Au moment où l'univers des super-héros au cinéma devient fatigant à force d'inanité et d'écriture vide, autant se ressourcer a cette relecture aussi magistrale que mélancolique. En Blu-Ray 4K chez Warner Home Entertainment
Wed, 27 Sep 2023 - 02min - 273 - Ida Lupino : être une femme libérée ce n’était déjà pas si facile dans le Hollywood des années 50
Si les statistiques contribuent régulièrement à rappeler le gouffre de les inégalités professionnelles entre les hommes et les femmes dans le cinéma, son histoire vient tout aussi régulièrement rappeler qu'elle ne s'est pas uniquement écrite au masculin, qu'a défaut de s'être inscrites pleinement dans les encyclopédies, des francs-tireuses ont émergé. Souvent avec plus d'aplomb et d'inventivité pour questionner leur époque et ses valeurs que leurs collègues hommes. Ainsi Ida Lupino, actrice de studio s'émancipant dès la fin des années 40 pour se réinventer productrice, scénariste et surtout réalisatrice. Elle signera huit films, s'emparant des codes du mélo ou du film noir, pour prendre la parole autour de thèmes alors tabous, du viol aux grossesses non désirées en passant par la sexualisation des femmes. La force du cinéma de Lupino étant sans doute de mettre à l'écran une conscience féministe tout en utilisant les méthodes du cinéma fait par des hommes. Quatre de ses opus, Le voyage de la peur, Avant de t'aimer, Faire face et Bigamie, ressortent en salles cette semaine. Portrait d'une fille mère, d'une malade de la polio ou d'un homme partagé entre deux femmes, tous surprennent par cette volonté de raconter a travers des parcours peu ordinaires le monde quotidien tel qu'il est, d'exprimer la difficulté du libre arbitre. Une ligne éditoriale renforcée par une mise en scène tout en efficacité, allant à l'essentiel, mais réussissant a entremêler romanesque et regard quasi-documentaire. Pour pouvoir assumer son besoin d'indépendance, Lupino avait crée sa propre société de production ; nommée The filmmakers. A redécouvrir ses films, réinvention d'un cinéma social tout en restant éminemment populaire, on se dit qu'elle l'avait parfaitement choisi, en donnant un nouveau sens à ce que voulait dire faire des films. Reprise en salles depuis le 20 septembre.
Wed, 20 Sep 2023 - 02min - 272 - “Un métier sérieux” de Thomas Lilti : un film qui doit faire école
Thomas Lilti s'est fait une place dans le cinéma avec Hippocrate, Médecin de campagne puis Première année, triptyque auquel s'est ajouté Hippocrate, la série, l'ensemble consacrant sans doute un peu trop vite ce réalisateur comme spécialiste du monde médical. Le voilà qui se penche sur le milieu scolaire avec Un métier sérieux, chronique de la première rentrée de Benjamin, prof nouveau venu dans un collège. Lilti y conforte le principe de ses films précédents : ce n'est pas tant une profession que ce qui y mène qui l'intéresse ; ce qui fait qu'une vocation se maintient tant bien que mal. Pas la peine d'organiser une projection pour Gabriel Attal au ministère de l'Éducation, la cause que défend Un métier sérieux n'apprendra rien de nouveau sur les conditions dramatiques de l'École en France. Ici, et c'est ce qui est beau, à l'opposé de la majorité des films sur les profs, il n'est pas question d'en faire des héros ordinaires, mais simplement de filmer l'impact d'un métier sur l'intime. S'il est politique et social, c'est dans cette manière, ravivant celle des Claude Sautet de la grande époque, de filmer un groupe dans ce que son quotidien peut avoir de romanesque, à la façon des vignettes d'un Vincent, François, Paul et les autres. Lilti fait exister son Benjamin, Pierre, Sandrine et les autres par un scénario collecteur d'instants et une formidable troupe d'acteurs, entre ses habitués (de Vincent Lacoste à Louise Bourgoin) et des nouveaux (de Lucie Zhang à Adèle Exarchopoulos), tous donnant une forme incroyablement fluide et organique pour raconter, des exaltations aux coups de mou ou déceptions, ce qu'est l'engagement. Et dès lors, de repousser les murs d'une salle des profs, voire d'un collège, pour aller bien au-delà d'un cahier de doléances du système éducatif : faire un état des lieux du collectif comme pilier fondamental, mais de plus en plus fragile, de la démocratie. Autrement dit, Un métier sérieux, modèle d'écriture et d'observation, est un film qui doit faire école. En salles le 12 septembre.
Wed, 13 Sep 2023 - 02min - 271 - « Le gang des bois du temple » : Rabah Ameur-Zaïmeche et ses contes noirs de la banlieue
Avec Le gang des bois du temple, Rabah Ameur-Zaïmeche confirme une position d'observateur. Si le nouveau film du réalisateur de Wesh Wesh qu'est-ce qui se passe ? s'installe plus pleinement dans le cinéma de genre, en suivant un casse monté par une bande issue d'une cité de banlieue, l'humeur est plus à la chronique sociale qu'au polar. Ou alors de la même manière que le faisait le cinéma comportementaliste d'un Melville. Ameur-Zaïmeche l'accompagne avec cette bande aux airs de Robins des bois, protecteurs de leur quartier. Même lorsqu'il filme leurs temps morts, c'est pour essayer de les extraire d'une prédestination qui finira malgré tout par les rattraper. Alors, autant leur offrir un sursis avec de vibrantes scènes de vie ordinaire, purs moments de fraternité. Le point de départ est un authentique fait divers arrivé il y a une dizaine d'années, ou une bande de loulous avaient eu la mauvaise idée de braquer un prince saoudien. Le Gang des bois du temple en fait aujourd'hui le constat d'une décomposition sociale qu'il propose d'endiguer par une autre politique de la ville, plus intime, plus solidaire. Tout en étant conscient que dans le climat actuel, elle tient d'une utopie autour d'une toujours plus improbable redistribution des richesses, Ameur-Zaïmeche, en fait à la fois la colère et la lumière qui illuminent un film noir parce que c'est la couleur d'une époque où l'on vit mal sous le règne d'un capitalisme ayant redéfini la lutte des classes. En salles le 6 septembre.
Wed, 06 Sep 2023 - 02min - 270 - L’Étrange festival : le cinéma comme acte de résistance
Comme chaque année, c’est l’occasion d’aller faire l’état des lieux d’un cinéma en dehors des clous, d’un cinéma de genre loin des contrées américaines aux exhumations de perles méconnues ou oubliées. Cette année, on y causera, entre autres, ersatz de Bruce Lee, films d’horreurs indiens ou de renouveau de l’identité sexuelle. Sans oublier une palanquée d’inédits et d’avants-première. Un programme, comme toujours, mais aussi l’occasion de revenir avec son patron, Frédéric Temps, sur l’identité même d’un festival plus que jamais singulier. Car après tout, quelle est la place de ce festival dédié aux pas de côté, à la transgression ; qu’est-ce qu’être Étrange dans une époque qui non seulement devient de son côté de plus en plus folle que toutes les fictions, mais fait un retour très marqué au conservatisme ?
Wed, 06 Sep 2023 - 17min - 269 - CAITI BLUES de Justine Harbonnier
Quelle distance y a-t-il entre Madrid, Nouveau-Mexique et New York ? Aucune idée. Caiti Lord n'en savait sans doute rien non plus quand elle décida de quitter la Grosse Pomme pour s'y installer. Au départ, elle visait plutôt San Francisco, mais elle s'est arrêtée en chemin. Un peu comme sa vie, entre ses multiples jobs de barman et d'animatrice radio. Mais ce qu'elle voudrait, c'est devenir chanteuse. Justine Harbonnier fait le portrait de cette quasi-trentenaire, à partir d'allers-retours entre vidéos d'enfance et images de son présent. Plus encore qu'esquisser l'esprit bohème de Lord, convaincue de ses talents artistiques, mais contrecarrée par une précarité ordinaire, Caiti Blues part de ce cas singulier pour raconter la génération millenial, celle qui a découvert enfant devant sa télé l'effondrement des Twin Towers le 11 septembre 2001, avant de se prendre en pleine poire une récession, la montée en puissance de Trump, puis la pandémie Covid. Rien qui n'ait pourtant abattu l'envie de Caiti de faire des chansons, de se produire sur scène. Alors, elle compose et chante des morceaux aux airs de r'n'b. Pas celui d'aujourd'hui mais le Rythm and blues d'antan, ceux qui racontaient déjà les peines et les complaintes d'une Amérique prolo désabusée. Lord les a juste adaptés à son monde et son époque. Celle où l'on gagne 4 $ de l'heure derrière un comptoir; où l'on n'a pas de quoi rembourser les emprunts nécessaires pour faire des études correctes. Harbonnier filme ce home movie à cette même hauteur, avec la même économie des films faits main, sans que cela donne pour autant un documentaire au rabais : Caiti Blues capte au plus près une réalité américaine. Pas forcément engluée dans la misère, quand l'entraide et la solidarité y sont souvent palpables. Mais, quels que soient les cahots, ici tourne le moteur de ces gens qui, comme Lord s'accrochent malgré tout à leur rêve de s'en sortir. À sa manière, Caiti Blues, met donc à jour ce qu'il reste du fameux « rêve américain ». En salles le 19 juillet
Wed, 19 Jul 2023 - 02min - 268 - ASSAUT / L’EDUCATION D’ADEMOKA d’ Adilkan Yerzhanov
Il va falloir commencer à retenir le nom d'Adilkhan Yerzhanov, cinéaste kazakh en activité depuis une dizaine d'années, mais se faisant une place tardive sur nos écrans. Si on l'avait repéré lors des sorties de La tendre indifférence du monde ou d'A dark dark man, revisite surprenantes du film noir comme des sagas pastorales, un inespéré doublé débarque dans les salles pour l'imposer. Et plus encore affirmer sa diversité. Dans L'éducation d'Ademoka, une ado aimerait bien étudier, mais s'en voit privée. Elle est lyuli, la version locale des roms, tout aussi discriminée. Un écrivain reconverti en prof va pourtant le prendre sous son aile. Yerzhanov se fait Kusturica d'Asie centrale avec immersion chez les gitans des steppes. La fable colorée ne se laisse pourtant jamais aller à s'égarer dans des excès de poésie, re-venant toujours sur Terre pour consoler les sorts d'une gamine ostracisée malgré elle et d'un intellectuel précaire. Yerzhanov leur laissant toujours une porte ouverte sur des horizons plus lumineux, tout en conservant son étude d'un Kazakhstan encore coincé entre conservatisme et envies d'émancipation. L'isolement est aussi une donnée d'Assaut. Un collège au milieu de nulle part y est assiégé par un groupe terroriste ou mercenaire, laissant les parents et la maigre police locale monter une opération de sauvetage des élèves otages. Si la tension monte rapidement, Assaut y procède à des injections humoristiques, autour de cette brigade improvisée, pieds nickelés, apprenant comme ils peuvent à manier les armes ou créer un rapport hiérarchique. Pas très éloignée, dans la maitrise du rythme comme des ruptures de ton, du cinéma sud-coréen actuel, Assaut oscille entre film d'action et comédie absurde. Quoique pas tant que ça, quand sous cette mini-odyssée, perce une charge grinçante contre une société gangrénée par la corruption jusqu'au grotesque. Qu'elle se déroule dans un espace ultra-dénudé renforce un fonds engagé que l'on n'avait pas vu venir, pronant un droit à la désobéissance comme ultime sursaut éthique face à une bureaucratie aussi galopante que sclérosée. Deux films, mais pas tout à fait deux ambiances différentes, L'éducation d'Ademoka comme Assaut tenant, de brillants manuels d'apprentissage à la rébellion pour les Kazakhs, conscients des risques que cela engendrerait, mais aussi des espaces démocratiques qu'ils pourraient inaugurer. En salles le 12 juillet.
Wed, 12 Jul 2023 - 03min - 267 - HOUSE de Nobuhiko Ôbayashi
De tous les films légendaires, peu survivent à leur réputation, sont à la hauteur de leur propre mythologie. Et puis il y a ceux qui la surpassent, s'avèrent encore plus fous que leurs rumeurs. C'est le cas de House, film resté aussi fou qu'inclassable quarante-six ans après sa sortie originelle dans son Japon d'origine. En France, hormis quelques projections en festival à l'époque, House n'avait pas connu d'exploitation en salles avant d'arriver enfin aujourd'hui sur les écrans. Quelque part, c'est tant mieux, qu'en plus qu'une découverte tardive, c'est la modernité d'un film explosant tous les codes qui s'imposent aujourd'hui. Au-delà de sa part de trip formel dingo, House reste porté par une liberté d'esprit et de ton impensable pour de la production grand public.il reste d'ailleurs assez stupéfiant de savoir que ce film a été envisagé par la Toho comme une réponse japonaise au triomphe des Dents de la mer, tant il s'en éloigne par son récit embrassant toutes les pistes, du teen movie à la co-médie musicale, du film d'horreur au mélo, autour d'un groupe d'adolescente en villégiature chez la tante paralytique de l'une d'elles. Au plus simple, on pourra définir le film de Nobuhiko Ôbayashi comme une réappropriation de l'esprit des colllages du cinéma surréaliste primitif combiné aux bricolages d'un art vidéo alors naissant, d'une collusion entre cinéma de studio à l'ancienne, via un scénario pétri de grands sentiments ou des décors peints dignes des grandes heures du cinéma de studio, et l'expérimental psychédélique. On peut donc avoir affaire ici à du mobilier hanté et carnivore ou à un côté Club des cinq kawaï qui serait immergé dans un délire gothico-psychanalytique à la Argento. Derrière cette délirante façade grand-guignol, éclatante de couleurs – qu'une impeccable restauration restitue à la perfection- le plus troublant reste pourtant la part d'esprit adolescent qui s'empare de House, dans sa part de farce hirsute, mais aussi dans le spleen qui le gagne à la longue, à l'image d'un plan où le visage d'une des gamines passe du sourire aux larmes en un clin d'œil. La chose est furtive dans ce torrent d'idées graphiques ou d'écriture avant-gardiste, mais imprègne durablement cette chronique cinglée de la féminité, unissant la mélancolie des jeunes filles en fleur à celle des sorcières en deuil, pour l'exorciser dans une phénoménale sarabande. Que ce soit pour écarquiller les yeux devant une créativité démentielle ou laisser des larmes en couler devant un film plus poignant qu'il n'y paraît, il faut donc aller voir House, expérience de cinéma exhumée du passé, mais bien plus vibrante que celles proposées par le présent. En salles le 28 juin.
Thu, 29 Jun 2023 - 03min - 266 - RHEINGOLD de Fatih AkinThu, 29 Jun 2023 - 07min
- 265 - SISU de Jalmari Helander
Où est-ce qu'on en est avec la violence graphique au cinéma ? Il faut dire qu'avec le succès récent des John Wick ou la réapparition d'un cinéma gore, via les succès inattendus des Terrifier et autres The Sadness qui semblent étancher la soif de gros rouge qui tâche, la tendance soit à la décomplexion, au second degré. Ce besoin de catharsis face à une époque particulièrement anxiogène, entre pandémie et réchauffement climatique, a entrainé un retour au cinéma d'exploitation. Conçu dans le but de rassasier les bas instincts comme les pulsions, ce genre reposant sur les excès pullula dans les années 70 et 80 pour devenir, en dépit du nez pincé des institutions, un jouissif terrain de jeu pour des films malpolis, aux manières rugueuses, prenant des libertés avec à peu près tout, y compris pour revisiter l'Histoire. Pour la version de luxe, il faut aller voir du côté du Inglorious Basterds de Tarantino. Ceux qui toutefois trouvaient que le nouveau parrain de la pop culture se laissait aller à trop de logorrhées, seront probablement plus clients de Sisu, opus se rattachant à l'essentiel de ce qui fait les séries B d'aujourd'hui. Le film de Jalmari Helander se dégraisse de quasiment tout dans un décor quasi unique de taïga pour y installer une baston non-stop entre un papy chercheur d'or et un bataillon nazi dans la Finlande de 1944. Sisu organise donc les rounds avec sécheresse et robustesse, la machine de guerre du film étant plutôt ce colosse mutique dézinguant du soldat allemand avec tout ce qui lui tombe sous la main, d'une pioche à des mines anti-personnelles. Ça gicle dans tous les sens, mais Sisu carbure à une essence inattendue quand Helander se réclame bien moins des films de guerre fauchés ou malsains que des westerns spaghetti voire de Mad Max. Soit une allégeance moins crapoteuse que prévu, en faisant belle révérence à ce qui à la longue est devenu les lettres de noblesse d'un cinéma jugé impur. Le carnage outrancier trouve même une inattendue solennité quand entre deux éclaboussures gores se dessinent aussi ici et là des commentaires sur une Finlande nationaliste prête à tout pour se défendre des colonisateurs ou les débuts du capitalisme marchand. Même si Sisu existe plus au nom du fun défoulatoire d'un divertissement forcément bourrin, il sait pour autant s'en distinguer, que ce soit dans ce fonds inattendu ou sa ludique inventivité dans le charclage ! En salles le 21 juin
Wed, 21 Jun 2023 - 02min - 264 - MARCEL LE COQUILLAGE AVEC SES CHAUSSURES de Dean Fleischer Camp
Certains héros naissent de petits riens. Il semble que Dean Flesicher Camp s'ennuyait terriblement lors d'un mariage où il était invité. Pour tromper le temps, il se laissa aller à imaginer un personnage de coquillage qui observerait le monde avec des yeux d'enfant. Il en résultera trois courts-métrages d'animation qui deviendront la coqueluche de YouTube. Marcel étant devenu une star virale, lorsqu'il fut proposé à Camp d'en tirer un long-métrage, il pris le parti d'un faux documentaire sur ce coquillage philosophe à la voix éraillée, expliquant son quotidien entre micro-aventures dans la maison où il vit, pleine d'objets démesurés pour sa taille riquiqui et coups de mou quand il pense à sa famille qui a disparu de l'endroit, ne laissant que lui et sa grand mère. Marcel le coquillage avec des chaussures dénote dans le cinéma d'animation actuel par ses airs de conversations entre un mollusque malin et un réalisateur amusé, tous deux tissant peu à peu autant une chaleureuse relation d'amitié qu'un constat commun de leurs solitudes. Autrement dit, un film d'animation qui sort son registre de sa coquille ? Un peu comme si les productions Aardman (la maison mère de Wallace & Gromit) ou Laïka (celle de Coraline et Paranorman) s'allongeaient sur un canapé de psy, pour faire le point sur le sens de la vie. Tout est question d'échelle dans Marcel le coquillage avec des chaussures, que ce soit en racontant les petits riens qui font les grands souvenirs où en faisant de la place aux grandes questions existentielles. Ca pourrait virer manuel de développement personnel ou exhumation des mantras de Paolo Coelho, mais Marcel le coquillage avec des chaussures, à l'intelligence de ne pas être dupe, par les remarques lucides et ironiques du crustacé miniature sur l'époque moderne et ses faux-semblants. Ou simplement par la délicatesse avec laquelle les élucubrations sur le sens de la vie glisse peu à peu vers la mélancolie ou l'enthousiasme d'aller voir au delà de sa fenêtre. Aussi inattendue qu'étonnante épopée de l'intime, Marcel le coquillage avec des chaussures se remplit ainsi peu à peu d'émotions crève-coeur, pour être un merveilleux film cocon, mais surtout pas une coquille vide. En salles le 14 juin
Thu, 15 Jun 2023 - 02min - 263 - UNE HISTOIRE DE CINEMA DE QUARTIER de Sylvain Perret
A quoi ça tient la cinéphilie ? Sans doute autant aux films qu'à ceux qui vous les font découvrir. Je ne parle pas forcément des critiques, dont l'impact n'a de cesse de s'émousser, depuis l'avènement d'Internet qui a rompu la chaine de transmission entre les films et le public, dont ils étaient un rouage jusque-là immuable, mais de ces passeurs, nourrissant l'envie par la curiosité ou la pédagogie enthousiaste. Dans les années 90, c'est à la télévision qu'on les trouvait encore. Patrick Brion et Claude-Jean-Philippe officiaient brillamment de longues dates aux commandes du Cinéma de minuit ou du Ciné Club tandis qu'Eddy Mitchell faisait le bateleur pour présenter les doubles programmes de La dernière séance, mais n'auront quelque part « que » les émissaires du cinéma officiel. Avec Cinéma de quartier, Jean-Pierre Dionnet aura ouvert une brèche considérable, autorisant des productions mises à la marge par l'intelligentsia, les jugeant impropres à la consommation, à avoir un droit de cité, préfigurant avec des décennies d'avance le choc culturel d'une cinéphilie pop. Cinéma de quartier aura ainsi réhabilité tout un pan de cinéma, essentiellement, européen, rappelant les mérites des péplums italiens, polar allemands, films fantastiques anglais, films de chevalerie soviétiques, sans compter leurs équivalents français et bien d'autres, mais plus encore redéfini une politique des auteurs pour enfin l'associer à des productions populaires. L'émission s'est arrêtée en 2007, mais a persisté dans la mémoire de ses téléspectateurs, jusqu'au livre de Sylvain Perret, Une histoire de Cinéma de quartier qui paraît aujourd'hui. On y trouve un recensement de la très copieuse liste de films diffusés, qui paraît aujourd'hui incroyable de bon sens au vu de ceux devenus cultes depuis où des cinéastes ayant été depuis adoubés, et plus encore un récit de la création de l'émission qui tient en elle-même non seulement d'un scénario de séries B entre ses multiples rebondissements, mais tout autant historienne de l'autre facette du cinéma, celle de ses mutations économiques et de ses rapports tumultueux avec la télévision. Les tractations pour aller dégotter telle ou telle copie de film étant aussi palpitantes que les négociations quasi-politiques au sein de Canal + ou l'enjeu purement stratégique que devint l'acquisition de catalogues de films pour les chaînes. Perret faisant lui-même un passionnant travail de défrichage, entre la manière dont Jean-Pierre Dionnet, prend des libertés – sans doute pas loin de la légendaire mythomanie d'un Jean-Pierre Mocky (dont certains films auront d'ailleurs été ressuscités par Cinema de quartier) – avec l'histoire ou sa mémoire et les secrets d'alcôve, tenant pour certains d'une realpolitik cathodique pratiquante, lâchés par les commanditaires de l'émission. Ainsi, autant que celle d'une réinvention de la cinéphilie dont Quentin Tarantino n'était pas encore le prophète, Une histoire de Cinema de quartier est aussi celle, passionnante, d'une des dernières grandes révolutions industrielle télévisuelle, celle de l'avènement de Canal Plus et son rôle prégnant d'acteur financier du cinéma. Et même si l'on peut regretter que cet ouvrage soit trop court sur ces coulisses, pour paraphraser les fameuses présentations de Dionnet en introduction chaque mercredi matin, qui firent beaucoup pour l'âme de cet autre ciné-club, « Si vous aimez les utopistes de la culture et les aventuriers de la programmation. Si vous aimez les petites histoires qui font les grandes, alors lisez Une histoire de cinéma de quartier ! » Edité par Badlands/Carlotta
Thu, 08 Jun 2023 - 03min - 262 - SICK OF MYSELF de Kristoffer Borgli
Finalement, le terme d'humour à froid a peut-être été inventé du côté des pays nordiques. En tout cas, s'il y a un cinéma qui sait le manier, c'est celui-ci. Même si Bergman ou Dreyer n'auront vraiment pas manifesté un sens aigu de la rigolade dans leurs films, leurs descendants actuels s'y collent pleinement pour aller creuser dans le mal-être de leurs congénaires. Et encore qu'avec Sick of myself, Kristoffer Borgli, va bien au-delà de sa Norvège pour s'attaquer à la problématique universelle de la prépondérance actuelle de l'apparence et son impact sur l'identité. Soit Signe, une trentenaire qui ne supporte tellement plus de ne pas être vue et considérée, qu'elle va s'innoculer volontairement un médicament dont l'effet secondaire est une maladie de peau qui va en faire la coqueluche des médias et réseaux sociaux, mais surtout dégénérer. L'idée qui change tout est que Signe est une ultra-narcissique parmi toute une flopée de personnages égocentriques ou opportunistes. Sick of myself sera donc un réjouissant jeu de massacre, taclant autant donc les accros à la célébrité que le milieu de l'art (via le petit ami de Signe, artiste contemporain mais surtout escroc) ou celui de la mode dans une partie aussi grinçante qu'hilarante. Au-delà de ce ton gonflé, souvent sur le fil du rasoir, normal quand on veut taillader les travers sociétaux, Sick of myself rejoint autant l'univers d'un John Waters – qui l'a d'ailleurs désigné comme son film préféré de 2022- que les visions rêches d'un Bret Easton Ellis ou d'un Larry David, quand il ne fait pas de prisonniers, se gaussant autant de ceux qui tombent dans le miroir aux alouettes que des néo-béni-oui-ouis qui ne jurent que par l'inclusion. La véritable cible de Sick of myself n'étant pourtant pas cette galerie de personnages, mais d'interroger le désir moderne de tout un chacun d'être considéré, et plus encore d'être plaint par les autres. En logique retour de bâton, Borgli frappe fort avec un film à part, capable de fusionner comédie romantique et body horror pour mieux les vitrioler d'humour très grinçant. Il y est fortement aidé par Kristine Kujath Thorp, actrice décidément audacieuse, vu l'an dernier dans le tout aussi épatant Ninja Baby, autre satire norvégienne des plus mordantes. Entre sa démente performance et l'art de la provoc pas gratuite de Borgli, Sick of myself indique clairement que le meilleur remède contre la civilisation contemporaine, malade de son individualisme, est un féroce traitement de choc.
Wed, 31 May 2023 - 03min - 261 - ACID/Festival de Cannes : bilan
Alex Masson, notre journaliste cinéma, s'est rendu au Festival de Cannes pour vous dénicher le meilleur de la sélection indé sur laquelle l'ACID (Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion) braque son objectif.
Mon, 29 May 2023 - 02min - 260 - ACID/festival de Cannes : Le chant des femmes
Alex Masson, notre journaliste cinéma, s’est rendu au Festival de Cannes pour vous dénicher le meilleur de la sélection indé sur laquelle l’ACID (Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion) braque son objectif.
Fri, 26 May 2023 - 02min - 259 - ACID/ Cannes : retour au front
Alex Masson, notre journaliste cinéma, s'est rendu au Festival de Cannes pour vous dénicher le meilleur de la sélection indé sur laquelle l'ACID (Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion) braque son objectif.
Fri, 26 May 2023 - 03min - 258 - ACID/ Cannes : C’est la folie !
Alex Masson, notre journaliste cinéma, s'est rendu au Festival de Cannes pour vous dénicher le meilleur de la sélection indé sur laquelle l'ACID (Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion) braque son objectif.
Thu, 25 May 2023 - 03min - 257 - ACID/ festival de Cannes : On veut du rab de poulet !
Alex Masson, notre journaliste cinéma, s'est rendu au Festival de Cannes pour vous dénicher le meilleur de la sélection indé sur laquelle l'ACID (Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion) braque son objectif.
Wed, 24 May 2023 - 03min - 256 - ACID/Festival de Cannes : un gout d’ailleurs
Alex Masson, notre journaliste cinéma, s'est rendu au Festival de Cannes pour vous dénicher le meilleur de la sélection indé sur laquelle l'ACID (Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion) braque son objectif.
Tue, 23 May 2023 - 03min - 253 - ACID / Festival de Cannes : Laissez-moi /Jeanne Du Barry
Alex Masson, notre journaliste cinéma, s'est rendu au Festival de Cannes pour vous dénicher le meilleur de la sélection indé sur laquelle l'ACID (Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion) braque son objectif.
Fri, 19 May 2023 - 03min - 252 - FESTIVAL DE CANNES 2023
On y est, le grand rituel annuel du cinéma mondial démarre ce soir. Cannes, c'est reparti comme en 40. Quoique, vu la singularité de cette édition, il faudra peut-être revoir la chronologie de cette expression, pour un « c'est reparti comme en 68 », année restée dans les annales comme celle où le festival s'est arrêté en plein envol, rattrapée par les fameux évènements de mai. L'un des invités les plus marquants du cru 2023 risquant bien d'être le réel. Il s'invite rarement dans un festival qui n'aime d'ailleurs pas qu'il lui vole la vedette. La dernière fois, c'était en 2011 avec l'arrestation de Dominique Strauss-Kahn, improbable parasite des festivités, qui éclipsa les sunlights usuellement braqués sur le fameux tapis rouge. Si ça arrive cette année, on sera sans doute moins surpris, le climat social étant plus que tendu depuis quelques mois. D'ailleurs, pour éviter que l'hymne usuel du festival, extrait du Carnaval des animaux de Saint-Saëns, ne devienne la farandole des casseroles, les autorités ont fait le nécessaire en interdisant au préalable tout rassemblement dans un périmètre bunkerisant la Croisette. Ça sera sans doute un peu problématique pour un festival hypermédiatisé qui devra peut-être se passer d'images de populace rassemblée devant la montée des marches. Mais ça fera l'affaire des vendeurs ambulants de parapluie (puisqu'en plus d'une météo sociale orageuse, on annonce de la pluie pendant une bonne partie des agapes) qui se mettront à vendre des jumelles. De quoi nourrir le paradoxe de Cannes, festival ultra-immersif, mais qu'il faut toujours regarder à distance pour mieux le comprendre. Du coup, qui va décrocher la palme cette année, les films ou les manifs ? Difficile à dire pour le moment, les films vont se dévoiler au jour le jour. Cela dit s'il faudra attendre le 27 au soir pour le palmarès, une certaine vue d'ensemble s'annonce : la compétition semble plus aventureuse que d'habitude en faisant un peu plus de place à des réalisateurs n'ayant jamais eu ses honneurs ou en n'ayant pas peur des embrouilles avec la génération #MeToo en accueillant plus de films signés par des réalisatrices, fortes en gueule, mais pas forcément en phase avec le néoféminisme, de Catherine Corsini à Catherine Breillat en passant par Kaouther Ben Hania ou Maïwenn qui ouvrira le bal ce soir avec son Jeanne du Barry starring le désormais controversé Johnny Depp. Du côté des sections parallèles, la Quinzaine des réalisateurs, désormais reliftée en plus inclusive Quinzaine des cinéastes, se targue de renouer avec son esprit originel de découvreur/agitateur de talents passés jusque-là sous le radar cannois, au risque potentiel d'une sélection trop arty. Elle taillera pour autant peut-être des croupières à une Semaine de la critique toujours focalisée sur les premiers et seconds films, mais visiblement pour privilégier cette fois-ci les œuvre à sujet et non le renouveau ou l'inventivité formelle. De quoi conforter la montée en puissance ces dernières années de l'ACID et ses films indépendants ? On en reparle dès demain, avec une prise de température tous les soirs, ou presque, à 18 h, mais clairement cette année, dans les salles comme les rues, Cannes sent la bagarre.
Tue, 16 May 2023 - 03min - 251 - SAKRA, LA LEGENDE DES DEMI-DIEUX de Donnie Yen
Certaines stars vieillissent mal. Pas forcément de manière volontaire. Le cas des très grands noms du cinéma hong-kongais en est assez symptomatique. Depuis la rétrocession de l'ex-colonie britannique à la Chine, la plupart ont compris qu'il fallait désormais se tenir à carreau et en rien faire ni dire qui ne déplaise au régime de Xi Jinping, sous peine de voir une censure qui veille au grain trapper les films, voire les carrières, en étant mis physiquement au placard ou totalement effacée d'Internet, comme certaines actrices chinoises ont pu en faire les frais. Certaines légendes ont donc fini par retourner leur veste encore plus rapidement que leurs coups de pieds, probablement plus pour pouvoir continuer à tourner que par conviction. C'est risqué dans le cas d'un Jackie Chan, devenu porte-voix de la propagande officielle au point d'avoir intégré en tant que conseiller le parti communiste chinois, mais désormais renié par ses fans hongkongais. Ça peut être payant, comme pour Donnie Yen, lui aussi devenue mascotte officielle du parti, mais dont les films continuent à triompher sur les écrans à l'ombre de la grande muraille. Avec un cas de conscience, quand ces films, s'avèrent d'excellents divertissements comme Sakra. Mais alors est-ce que ça craint d'aller voir Sakra ? Pas si l'on y va avec l'envie de voir une alternative aux blockbusters américains ou si l'on est nostalgique des Wu Xia Pian, ces films de sabres en costumes hongkongais, puisque c'est dans ce registre qu'officie Sakra, film distribuant allègrement scènes d'actions virtuoses. Ne serait-ce que pour renouer avec une formidable puissance physique ou un sens épique de l'héroïsme à l'ancienne, qui justement est devenue désincarnée dans un cinéma américain ayant chassé tout sens de l'organique depuis l'avènement des effets visuels numériques. Même en se perdant dans les méandres des clans et dynasties, ourdissant complots sur complots, il y a une vraie jouissance à voir le quasi-sexagénaire Yen et ses cascadeurs se livrer à de phénoménales prouesses. Mais il reste aussi une brèche ouverte à une lecture politique, quand le véritable sujet de Sakra reste le rachat possible de la réputation entachée d'un chef de bande, interprété par Yen. Il évoque d'ailleurs trop de fois ici les notions d'intégrité et de morale pour que ce ne soit qu'une allusion. De même, le principe de retourner, dans les techniques d'arts martiaux comme dans l'écriture, aux bases du Wu Xia Pian, tel qu'il se pratiquait à Hong Kong avant la rétrocession, ne peut être innocent. Encore moins celui d'un personnage qui tente de remonter la piste de son passé, pour renouer avec ses origines. Son périple l'amenant à prendre conscience d'un héritage social et culturel. Sakra se termine avec la promesse d'un second volet. Il se fera forcément sous surveillance de la censure chinoise, mais on est déjà curieux de voir si en sous-main, le propos, un peu plus subversif que prévu, s'y maintiendra.
Wed, 10 May 2023 - 03min - 250 - UN AN UNE NUIT d’Isaki Lacuesta
Pour un cinéma réputé comme ayant du mal à s'inspirer de l'histoire récente, la production française se sera bien rattrapé en ce qui concerne l'attentat du Bataclan. Depuis l'automne dernier, se seront succédés une demie-douzaine de films, de Revoir Paris à Novembre revenant sur ce traumatisme. Petit paradoxe temporel, Un an, une nuit, les aura structurellement précédé mais n'arrive sur les écrans qu'en dernier, même s'il a été présenté au festival de Berlin en 2022. Cette faille dans l'espace-temps va plutôt bien au film d'Isaki Lacuesta, qui en fait plus qu'un récit de l'évènement sa matière. Soit le parcours, raconté autant par l'avant, le pendant et l'après attentat, d'un couple. Mais aussi par le ressenti d'un cinéaste catalan qui se trouvait quasiment sur place, le soir du 13 novembre 2015. Un an, une nuit fractionne donc cette traversée de l'enfer et plus encore les séquelles psychologiques qu'endurent Ramon et Céline chacun devant faire face à la culpabilité des survivants, les souvenirs de cette nuit ou la pitié de leurs proches, mais à leurs propres rythmes. Lacuesta organise autour d'eux les morceaux d'un puzzle formaliste, structure logique, car sans doute la seule pour exprimer un chemin de résilience multiple, en tant qu'individu et que couple. Et plus encore pour incarner l'entrechoc des phases de reconstruction, du déni à l'acceptation, de la colère à la dépression ou la manière dont ce processus se bâtit. Mais aussi pour donner littéralement corps à ces étapes, par une mise en scène ultra-sensorielle, quasi tactile. Nahuel Perez Biscayart et Noémie Merlant y faisant incroyablement écho par de monumentales interprétations impliquant le langage corporel, comme pour mieux faire ressentir ce que les mots ne peuvent pas exprimer dans une telle situation. Un an, une nuit, parvient ainsi à tenir à l'écart toute exploitation voyeuriste de cet attentat en associant approche semi-documentaire et mélo moderne avec la même frontalité ou en plaçant ce couple sous un microscope pour mieux traquer des pulsions de vie capables d'éradiquer celles de mort, et avant tout la capacité à ne pas vouloir rester défini comme les proies d'un syndrome post-traumatiques mais comme ceux qui finissent par s'en délivrer, quitte à ce que ce soit en devant faire le deuil d'un amour. En salles le 3 mai.
Wed, 03 May 2023 - 02min - 249 - AMEL & LES FAUVES de Mehdi Hlimi
Comment ça va le cinéma tunisien ? Amel et les fauves répond à la question avec une belle ambiguïté. Ça va très bien si on se place d'un point de vue technique, le film de Mehdi Hlimi arborant une remarquable forme de polar social. Ça va moins bien si on se penche sur ce qu'il raconte du pays. Une vision trouble, mais avant tout double, quand s'entrecroisent les parcours d'une mère et d'un fils. Elle, ouvrière, lui qui rêve d'être footballeur. Entre les deux, un état des lieux mordant quand cette mère se retrouve en prison suite à une fausse accusation d'adultère, son fils se perdant dans le monde de la nuit, la dope et la prostitution. Amel et les fauves aurait donc tout du mélo familial à faire pleurer dans les chaumières façon Zola de la casbah, mais Hlimi est avant tout animé par une rogne tenace. Celle qui l'autorise à avoir un regard franc, cru sur un Tunis aux airs de fabrique de l'humiliation sociale à tous les niveaux, pratiquée par les dealers comme par les patrons d'entreprises. Le bilan désillusionné d'une révolution du jasmin qui n'a jamais bourgeonné sent le compromis et la fatalité. Un peu comme si la vie était un match de foot truqué. Notamment pour Amel, prête à balancer une collègue de son usine en échange d'un coup de piston pour son fils, mais qui se retrouvera sur le banc de touche en finissant derrière les barreaux. Hlimi se fait arbitre qui connaît particulièrement les règles pipées, son film grandement inspiré de sa propre adolescence, fait des jongles avec l'autofiction. Derrière cette histoire de cordon ombilical déchiré par la corruption, il y a pourtant une quête de père. Pas celui du film, qui apparaît comme intermittence, mais surtout comme une peine perdue, mais ceux de cinéma, Hlimi invoquant, dans son portrait de femme comme dans celui de la jeunesse, les influences de John Cassavetes ou Abdellatif Kechiche. Au vu du résultat, à la fois sensible et percutant, on peut déjà lui décerner le statut d'un bel enfant de cinéma.
Wed, 26 Apr 2023 - 02min - 248 - MAD GOD de Phil Tippett
Phil Tippett a toujours été un créateur de monde. Sans ce génie des effets visuels et de la stop-motion, les créatures animées de La guerre des étoiles et L'empire contre-attaque, les robots de Robocop ou tant d'autres n'auraient pas eu le même impact dans la pop-culture. Tippett reste dans un monde des effets spéciaux désormais régi par l'image de synthèse, un artisan. La preuve avec un projet très personnel, son propre long métrage, Mad God, qu'il aura peaufiné pendant près de trente ans. Expérimentateur de génie dans la création et la manipulation de marionnettes, héritier incontestable de légendes de ce registre, comme Ray Harryhausen, Tippett ouvre enfin les portes de son propre imaginaire avec un film inclassable. Il n'y a pas vraiment de narration dans Mad God, pérégrinations d'un homme masqué dans un environnement post-apocalyptique, peuplés de divers monstres tous crocs dehors. Une sidérante immersion dans ce qui tient autant des cauchemardesques tableaux d'un Jérôme Bosch que d'une humeur enfantine. Ici, on croise autant des géants que d'étranges scientifiques en blouse blanche ou des références bibliques. Au loin, parfois, on y croise des humains dans des fausses images d'archives. Mad God serait donc une vision brutale du futur, parfois insensées comme ces séquences où l'on extrait des fœtus de la glaise, mais construites avec des matières primitives de cinéma. Et si Mad God rappelle dans sa férocité ou sa créativité, les grands maitres de l'animation européenne comme Jan Svankmayer ou les frères Quay, c'est aussi par ce regard plus désemparé que cruel, percé de trouées d'humour noir ou rabelaisien, sur une civilisation humaine en ruine, ne vivant plus que par la violence. Tipett parvient pourtant à y faire exister la grace d'un ecosystème de cinéma totalement organique, sorte de dystopie poétique infiltrée dans celle, funeste, de son récit expérimental. En ce sens, Mad God a quelque chose d'un film-monstre, dans sa longue gestation comme dans la folie de son univers. Mais peut-être plus encore quand ces visions dantesques tiennent de l'expérience dévorante de pur cinéma.
Tue, 25 Apr 2023 - 02min - 247 - BLUE JEAN de Georgia Oakley
On ne rappellera jamais assez à quel point le cinéma anglais sait être un formidable porte-voix du social, métamorphoser des chroniques de vie ordinaire en piqûre de rappel politique. Ainsi de Blue Jean, le premier long métrage de Georgia Oakley, ramenant à l'ère Thatcher. En 1988, Miss Maggie s'apprête à faire voter la section 28, une loi interdisant la promotion publique de l'homosexualité. De quoi renforcer la volonté de Jean, une prof de sport, de dissimuler qu'elle est lesbienne. Manque de bol, une des ses élèves en pleine découverte de sa sexualité, va la croiser dans un bar gay, entrainant un cas de conscience chez l'enseignante : continuer à tout mettre sous le tapis ou devenir un modèle pour l'adolescente en faisant son coming out ?Blue Jean va à rebours de la plupart des films LGBTQ en se focalisant sur ce choix à faire qui va tarauder Jean, jusqu'à la faire paniquer à l'idée de sortir de la routine d'une vie sociale mise littéralement au placard, de ne plus devoir faire profil bas pour enfin protester contre cette loi. Mine de rien, Blue Jean bouscule les poncifs du cinéma queer en doublant un récit d'apprentissage, celui d'une ado, par celui d'une adulte découvrant la difficulté de revendiquer son identité. Oakley renouant, elle avec le cinéma de la nouvelle vague anglaise, le fameux kitchen-sink movie, ce cinéma d'intérieur domestique aussi néo-réaliste que militant. Avec le bonus troublant de la distance envers une Angleterre d'il y a trente-cinq ans, abolie par la modernité du jeu de l'actrice Rosy McEwen, comme pour rappeler que si la section 28 n'est plus d'actualité depuis longtemps, devoir s'affirmer pour défendre son statut ou sa place dans un environnement social hostile le reste plus que jamais. Oakley en faisant quasiment un motif de thriller psychologique, quand Jean oscille de plus en plus entre paranoïa et dépression nerveuse, Blue jean la confortant dans un processus de réappropriation de soi, y compris quand celui-ci amène le risque de perdre son boulot ou sa réputation, en devenant peu à peu, un parfait manuel d'émancipation du qu'en dira-t-on, mais plus encore de rébellion face à la pression sociale. Et faire d'une brillante étude de caractère, un film qui assume pleinement le sien tout en alarmant sur les dangers de l'inaction.
Wed, 19 Apr 2023 - 02min - 246 - LA DERNIERE REINE de Damien Ounouri et Adila Bendimerad
La dernière reine est une première fois. En revenant sur l'histoire de Zaphira, une monarque qui aurait tenu tête au pirate Barberousse dans l'Alger de 1516, Damien Ounouri et Adila Bendimerad ne font pas que ressusciter un cinéma d'aventures populaires à l'ancienne, ils ouvrent une page de cinéma (et d'histoire) qui n'avait pas encore été écrite à l'écran, celle du récit national et médiéval de l'Algérie. Faisant s'embrasser péripéties épiques et regard intime sur les coulisses du pouvoir, La dernière reine, œuvre donc à donner corps (et âme) à une représentation culturelle qui manquait, raviver un imaginaire historique tout en racontant ses persistances dans le présent, via un regard contemporain sur les rapports homme-femme. Une gageure renforcée par une part de mystère autour de Zafira, reine dont on ne sait toujours pas si son existence a été réelle ou mythifiée, le tandem de réalisateurs y reviennent au micro de Nova.
Tue, 18 Apr 2023 - 20min - 245 - LOUP & CHIEN de Claudia Varejao
Le Portugal c'est aussi une île. Claudia Varejao y tient jusque dans le prologue de Loup & Chien, où il a clairement énoncé que c'est le meilleur type de territoire pour parler d'identités en construction. Donc celles d'Ana et Luis qui n'ont jamais quitté Sao Miguel, petit bout des Açores, endroit paradisiaque, mais perclus d'immuables traditions. Pas l'endroit rêvé donc pour épanouir ou assumer son homosexualité. Pour autant, Loup & Chien n'est pas une histoire de coming out. Varejao cherche plutôt à donner des couleurs à des zones grises, à un entre-deux dont il n'est jamais simple de se dépêtrer. Il est clairement question ici de cohabitation, entre les rituels et la modernité, les urgences de la jeunesse et un environnement en dehors du temps. Jusqu'à ce fond mi-docu renforcé par le passif de la réalisatrice et l'emploi d'acteurs non-professionnels réels habitants de l'île ou ce titre, référence à un poème du 16e siècle, mais révélateur des difficultés très actuelles d'être soi. Voire cette image numérique, donc très contemporaine qui recherche pourtant le grain de la pellicule à l'ancienne. Mais est-ce qu'en suivant deux ados dans leurs désirs, Loup & Chien montre les crocs ? Non. Et c'est ce qui fait la beauté de ce film : cette volonté de ne pas être dans l'antagonisme à tout prix. Conforter la possibilité d'une éventuelle harmonie, d'un terrain d'entente entre valeurs conservatrices et envies de libertés. Ce qui s'incarne à l'écran dans une atmosphère fuyant autant que possible l'agressivité, lui préférant une humeur étonnante de teen-movie hypnotique, sa combinaison de somptueuses images rêveuses et de personnages volontaristes pour s'affirmer dopant un cinéma portugais d'auteur souvent assoupi dans sa part contemplative. Le tout conférant des airs inédits de chronique de mœurs par un Pasolini sous Saudade, par son principe de voyage intérieur, mais pour ne plus être son propre touriste, son esquisse d'une nature humaine adoucie, mais protégeant sa part de désir animal. Entre loup et chien, espèces différentes, mais finalement si proches, donc. En salles le 12 avril
Wed, 12 Apr 2023 - 02min - 244 - L’ETABLI de Matthias Gokalp
Il y a parfois de drôles de coincidences, des résonnances inattendues qui prennent l'ampleur d'un coup de tocsin. Il n'aura échappé à personne que le pays est ces temps-ci à bout. A bout d'une cinquième république qui s'effrite, à bout d'un dialogue de sourds entre classes populaires qui ruminent leur colère et gouvernement qui s'enferme dans une idéologie libérale. Le ton et les barricades montant de concert, l'impression d'avoir été avalé par une machine à remonter le temps qui ramènerait vers la cocotte-minute de Mai 68 se cristallise. 68 c'est l'année ou Robert Linhart, un universitaire se fait engager comme OS dans une usine Citroën pour tenter de ranimer un feu révolutionnaire déjà en train de s'éteindre. Il en tirera dix ans plus tard un livre, L'établi, récit de cette expérience, qui deviendra un manuel du militantisme gauchiste. Dix ans, c'est plus moins le temps qu'il aura fallu à Matthias Gokalp pour en tirer un film. Et paradoxalement celui pour se faire rattraper par une époque où le rapport au travail est redevenu un enjeu crucial, voire d'avenir. Et du coup un film qui remet l'ouvrage sur le métier ? Plus que jamais : au delà d'une reconstitution plus vraie que nature du monde ouvrier d'il y a cinquante ans, mais aussi la reconstruction d'un cinéma engagé qui a longtemps déserté la production française, L'établi sidère par sa superposition des contextes, celui d'hier et celui d'aujourd'hui se rejoignant dans une description commune d'un monde rongé par le capitalisme et de son besoin d'utopies rêvant d'en finir avec lui, d'une hiérarchie entre bourgeoisie et prolétariat reposant déjà sur une exploitation des seconds par les premiers. L'établi s'extraie rapidement de sa gangue de film d'époque tant ce qu'il désigne, de l'usure du travail à la chaîne à la précarité entretenue ou un maintien de l'ordre par la répression fait écho à la situation actuelle, la fiction sur hier se faisant quasi documentaire sur aujourd'hui. Y compris dans les nuances qu'amène un scénario n'occultant pas des doutes et des failles dans le combat mené par Linhart. Un recul étonnamment consumé par l'urgence du moment à repenser les choses, si tant est qu'il y en aie encore la possibilité avant l'échéance d'un conflit généralisé. A ce titre, L'établi, s'adresse sans doute plus aux jeunes générations militantes qu'à ceux qui ont vécu l'après-mai 68, dans un mélange à fois de désillusion et d'espoir quand pendant une scène forte, Linhart lance qu'il « trouve légitime de rêver un monde meilleur. Et peut-être aussi de le faire ». L'impact de ce beau film est dans ce « peut-être » invitation à achever désormais ce qui n'a pas pu avoir lieu alors.
Wed, 05 Apr 2023 - 03min - 243 - MIKE DE LEON, PORTRAIT D’UN CINEASTE PHILIPPIN EN HUIT FILMS
MIKE DE LEON : MADE IN PHILIPPINES Une rétrospective (en salles et en Blu-ray) révèle la carrière de Mike De Leon, figure du cinéma philippin, jusque-là passée sous les radars français. À tort quand il apparaît aussi brillant manieur de genres que chroniqueur social. Attention, découverte majeure.
Wed, 29 Mar 2023 - 03min - 242 - DE GRANDES ESPERANCES de Sylvain Desclous
Il faut avoir les épaules solides pour intituler un film De grandes espérances. Au minimum par la référence au classique éponyme de Dickens. Qui en apparence n'a pas grand-chose à voir avec le nouveau long métrage de Sylvain Desclous, sauf peut-être l'idée de suivre un transfuge de classe. En l'occurrence, une, Madeleine, fille de prolo qui prépare l'ENA, voire a quasiment déjà intégré sa sphère sociale en vivant avec un fils à papa. Un accident qui les implique va bousculer leurs ambitions. À partir d'un principe de thriller psychologique, De grandes espérances vire à une lecture de ce qu'une partie de la classe politique nomme le roman français. Soit une histoire collective, abordée au travers d'une militante qui devient peu Rastignac manipulatrice. Desclous tricotant habilement les ambiguïtés quand la noblesse des idéaux se dissout dans les règles pipées de la conquête du pouvoir. Celui politique, mais aussi celui de l'intime, quand De grandes espérances raconte aussi comment se fomentent les coups bas d'une guerre conjugale. Le véritable suspense de ce film résidant dans ce choix : que faut-il laisser derrière soi, jusqu'où faut-il aller pour pouvoir incarner ses convictions ? Desclous avait déjà approché ce terrain, l'an dernier, sous un angle documentaire avec La campagne de France, coulisses d'une élection municipale où s'affrontaient outsider improbable et maire aguerri. Curieusement, les armes incisives et la belle part romanesque de la fiction procurent à De grandes espérances, une sensation plus aiguë du réel, quand cette peinture de l'effritement de l'élément humain, dès qu'il se frotte à la mécanique politique, a quelque chose d'éminemment crédible dans ce qu'il exprime, sans manichéisme, de la fragilité de l'éthique. En ne renonçant par ailleurs jamais à combiner très efficaces ressorts narratifs de film de genre et très clair discours engagé (entre autres par des dialogues cinglants ou de phénoménales séquences se déroulant dans une usine menacée de plan social), De grandes espérances propose, comme son héroïne jusqu'au boutiste, un programme de réforme d'un cinéma français peu téméraire quand il s'agit de scruter les complexités de la morale ou mettre ainsi les mains dans le cambouis. Quitte à s'intéresser, comme ici, à la manière dont on peut se les salir quand on veut changer le monde. En salles le 22 mars
Wed, 22 Mar 2023 - 02min - 241 - Le temple des oies sauvages, La bête élégante, Les femmes naissent deux fois de Yuzo Kawashima
Allez savoir si c'est parce qu'il s'est fait aux antipodes, et a donc longtemps eu du mal à franchir les Océans qui nous en séparent, mais le cinéma japonais reste un terrain à débroussailler, un territoire à explorer, tant certains de ses cinéastes restent inconnus ici. Il y a deux ans, la découverte de l'œuvre de Kinuyo Tanaka réalisatrice faisait décrocher la mâchoire ; elle a tout pour rester déboitée par celle aujourd'hui de Yuzo Kawashima. À domicile, le corpus de celui qui fit la collure entre le cinéma classique des années 50 et la nouvelle vague locale la décennie suivante est adoubé de longue date. Ici, même au compte-gouttes, avec l'apparition en Blu-ray de trois films sur les quarante-sept qu'il a réalisé, cela reste une révélation sidérante. Ne serait-ce qu'en découvrant un réalisateur d'une phénoménale fluidité, franc-tireur capable de naviguer entre les divers grands studios japonais comme entre les registres, signant autant des mélos âpres que des comédies égrillardes. Un réalisateur prolifique, mais qui ne s'éparpillait donc pas. Même si Le temple des oies sauvages, Les femmes naissent deux fois et La bête élégante ne sont qu'un maigre échantillon du cinéma de Kawashima ; aussi éloignés soient-ils (un mélo, un film noir en costume et une comédie noire), ils esquissent la vision d'un réalisateur scrutant un Japon en plein entre deux, pas pleinement sorti de l'humiliation de la seconde guerre mondiale, mais déjà dans une volonté de reconstruction capitaliste. Tout est de toute façon question de regard chez Kawashima, posant régulièrement sa caméra dans des coins improbables, observant les personnages se débattre depuis des placards, des toilettes, voire une fosse septique ou à travers des cloisons ou des rideaux. Comme pour avertir qu'il y aura quelque chose de biscornu chez cette faune à visage humain. Ainsi la vie de famille de La bête élégante vire à la chronique d'un clan d'escrocs ayant perdu tout sens moral tandis que la vie d'un moine bouddhiste dans Le temps des oies sauvages mue en drame de la jalousie et dans les femmes naissent deux fois, le quotidien d'une geisha en récit d'une marchandisation généralisée des rapports et des valeurs. La stupéfiante mise en scène de Kawashima confortant la dissection d'une identité japonaise fracturée. Plus sidérante encore, cette absence de démonstration, d'appui, d'une dénonciation, le propos de ces films est encore plus marquant quand il n'est pas martelé par un style baroque ou du cynisme. Le naturalisme proche du néoréalisme italien avec lequel Kawashima filme des situations extrêmes les rend encore plus troublantes. Ces trois Blu-ray n'ayant qu'un seul défaut : donner sacrément envie de voir d'autres opus de ce cinéaste particulièrement singulier. Le temple des oies sauvages, La bête élégante, Les femmes naissent deux fois. Badlands éditions.
Thu, 16 Mar 2023 - 02min - 240 - THE HOST de Bong Joon-Ho
Depuis le triomphe, en 2020, de Parasite – entre une palme d'or et une palanquée d'Oscars, le grand public français connaît le nom de Bong Joon-Ho. Ça n'a pas toujours été le cas. À sa sortie en 2006, son troisième long métrage et l'un de ses films les plus ambitieux, The Host, s'est même pris une colossale taule en salles, dégageant très rapidement de nos écrans. Peut-être parce qu'ici, le spectateur lambda n'était pas encore prêt à un cinéma sud-coréen envoyant valdinguer les codes de récit classiques, capable comme ici de fusionner ceux du film de monstre, du film social et du récit d'apprentissage. Croiser les univers de Ken Loach et Godzilla était probablement encore un peu too much pour les regards occidentaux, ou donnait simplement un film pas simple à marketer, encore moins quand sous l'apparence d'un blockbuster se nichait un fond engagé. Dix-sept ans plus tard, la culture globalisée a mondialisé celle sud-coréenne, de l'appétit pour le Kimchi à celui pour la K-Pop. Un contexte bien plus favorable à la réapparition, voire une seconde vie de The Host dans nos salles Du coup, faudrait-il se réengager vers ce film plus engagé qu'il n'y paraît ? Absolument, quand au-delà de la maestria avec laquelle Bong Joon-ho enchevêtre mélo familial et donc film de monstre à travers la quête désespérée d'un père pour aller sauver sa fille des griffes d'une créature géante, on lira bien plus facilement entre les lignes, le côté pamphlétaire d'un réalisateur taclant de manière très frontale une société sud-coréenne peu tendre avec ses prolos, jusqu'à faire d'un état défaillant, le véritable monstre de cette affaire. Bien plus que par son carambolage des genres, The host est un film en état de rébellion quand il explore l'éveil d'un père (génialement joué par le non moins génial Song Kang-Ho) qui est aussi un citoyen de plus en plus en rogne contre l'abandon des institutions. Sans oublier un coup de gueule écolo - le film est en partie inspiré des dégâts environnementaux causés en 2000 par des rejets chimiques américains dans le Han, rivière qui traverse Séoul. Les scènes de quarantaine du film de 2006 faisant d'ailleurs curieusement échos à la débâcle sociale asiatique lors de l'irruption de la Covid-19. Idem pour la vision d'un état dénigrant, voire ignorant sa population précaire. Tout ce qui faisait de The host un film trop décalé lors de sa première sortie est devenu d'une totale cohérence aujourd'hui. Il est donc grand temps d'aller voir ou revoir, un film monstrueux, mais aux sens jouissifs et qualitatifs du terme. Reprise en salles, le 8 mars.
Wed, 08 Mar 2023 - 02min - 239 - L’INCROYABLE ALLIGATOR de Lewis Teague
À voir les sorties en salles cette semaine, il n'y a pas grand-chose à se mettre sous la dent. Une bestiole sacrément affamée va cependant sauver cette chronique tout en ramenant à une période de cinéma américain plus folle qu'on le pense. Il faut se souvenir des années 80 comme un nouvel âge d'or pour les séries B quand cette décennie aura aligné les films aux pitchs les plus saugrenus, exploitant les moindres tendances sociétales ou faits divers. Ainsi L'Incroyable alligator s'est inspiré d'une mode éphémère qui transforma les animaux exotiques en domestiques, voyant débarquer dans des foyers urbains des araignées, serpents et autres bébés crocodiles. La plupart finissant balancés vivants aux toilettes, une fois que les marmots ne les trouvaient plus si mignons que ça. Il en naquit une légende urbaine selon laquelle, un alligator aurait survécu dans les égouts de New York, pour y grandir et commencer à boulotter les chiens errants puis les humains. De quoi faire les affaires de producteurs mercantiles qui y virent de quoi renouveler la vague de sous- Dents de la mer qui écumait les écrans. Mais aussi de quoi redonner du travail à des gens formés par Roger Corman. Parmi eux, un certain John Sayles, réalisateur qui finançait ses propres films d'auteur en pondant des scénarios pour le pape de la série B cheap, mais ultra-rentable. Après avoir rédigé celui de Piranha, un des meilleurs ersatzs en carton du film de Spielberg, le voilà engagé pour peaufiner celui de L'incroyable alligator. Donc un scénariste qui avait les crocs, mais est-ce que cela suffisait à rendre cet Alligator appétissant ? Assurément quand, grâce au travail de Sayles, ce film se nourrit, plus que des festins du reptile, de piques envers les institutions de la police aux journalistes pour devenir une satire mordante de l'american way of life sous Jimmy Carter, renforcée par des personnages joués au premier degré. Il s'est souvent dit que ce ton novateur de divertissement bon enfant essayant de commenter les travers de son époque a été une des influences de Quentin Tarantino pour écrire certains rôles de Jackie Brown, dont celui de Max Cherry, ancien flic fatigué de la vie, qu'il confiera à Robert Forster, justement interprète principal de L'incroyable Alligator. Pour sa composition chez Tarantino, l'acteur récoltera une nomination à l'Oscar du meilleur second rôle. À revoir cette série B bien torchée, qui réapparait – accompagnée de sa suite, plus nanardesque - aujourd'hui en Blu-ray, il est évident que jamais, elle n'aurait décroché un tel honneur, mais aussi que ce film-là, certes fauché dans ses effets, mais riche de son sous-texte brocardant sa conscience d'être un pur produit commercial, valait bien mieux, par son honnêteté ou son auto-ironie, que la majorité des blockbusters actuels, dévorés, eux, par une inconsistance scénaristique ou un certain cynisme. L'incroyable Alligator/ Alligator 2 : la mutation. (Carlotta)
Wed, 01 Mar 2023 - 03min - 238 - LAST DANCE de Coline Abert
Des documentaires sur l'univers des drag queens, on commence à en avoir vu beaucoup, mais pas comme Last Dance. A travers le portrait de Vinsantos, figure de ce milieu à la Nouvelle-Orléans, Coline Abert fait celui d'une vision du monde aussi culturelle que philosophique. Et plus encore sensible quand Last dance fait tomber perruque et maquillages pour explorer une humanité dans ses doutes comme ses exaltations. Sa réalisatrice, Coline Abert revient sur la gestation de son film.
Wed, 22 Feb 2023 - 12min - 237 - BERTRAND TAVERNIER, L’INTEGRALE OU PRESQUE.
Il y a bientôt deux ans mourrait un ogre. Bertrand Tavernier était plus qu'un cinéaste, un homme de cinéma. Au sens le plus ontologique du terme, tant il se nourrissait intellectuellement, quasiment physiquement, de films. Quiconque l'a croisé se souvient encore de son flot débordant, de son savoir encyclopédique, de la passion qui l'animait, jusqu'à en être vital. Au point qu'il écrira cette phrase aussi forte que poignante : « l'amour du cinéma m'a permis de trouver une place dans l'existence ». Par effet retour, sa filmographie aura-t-elle existé pleinement auprès du grand public, pour alimenter une discussion au long cours, sur plus de quarante ans, de son premier long-métrage, L'horloger de Saint-paul (1974) au dernier, Voyage à travers le cinéma français (2016). Vingt-six échanges, souvent pour faire, à travers de nombreux registres, un état des lieux sociétal. La grande majorité ressort en salles cette semaine. Une manière de lui rendre la politesse par un même inventaire ? À voir ainsi rassemblés vingt-deux des films de Tavernier, il y a un fil rouge qui se tisse, cette capacité, pour celui qui était un historien vivant du cinéma, à documenter la France contemporaine, à s'attacher au réel, y compris au travers de films en costume. Celui qui conseillait avec verve de se pencher sur le cinéma d'antan se sera échiné à regarder, être un témoin de son époque. Bien sûr, il y eu la défense acharnée des institutions de service public avec la chronique lucide et cinglante des commissariats avec L.627 ou des écoles avec Ça commence aujourd'hui, mais aussi, en arrière-fond, des récits de luttes des classes sociales dans Le juge et l'assassin ou Que la fête commence, toutes attestations d'un réalisateur citoyen et engagé, très loin de l'académisme qu'une partie de la critique lui aura prêté à tort. Mais surtout, cette rétrospective est aussi une manière de faire réémerger, via ceux plus méconnus ou oubliés, d'Une semaine de vacances à Des enfants gâtés, une veine toute aussi militante, mais plus intime, plus à voix basse. C'est sans doute ce Tavernier là, plus discret, qu'il faut redécouvrir, pour compléter le portrait d'un cinéaste, plus proche qu'on le pensait d'un Claude Sautet, dont il aura été une version plus prolétaire, mais aussi celui d'un homme qui dissimulait sans-doute derrière le volume tonitruant d'une faconde gargantuesque de passeur d'images et de culture, plus de failles et de doutes que prévu. En salles le 15 février
Wed, 15 Feb 2023 - 02min - 236 - LA TOUR de Guillaume Nicloux
Certains cinéastes sont énigmatiques. C'est le cas de Guillaume Nicloux. Depuis trente ans, ils signe des films très singuliers, jonglant avec les registres, capable au-tant de revisiter les arcanes du film noir, du Poulpe à La clef, que d'inventer une autofiction à Michel Houellebecq, relire Diderot avec une adaptation de La religieuse ou Joseph Conrad avec Les confins du monde voire d'envoyer Monica Bellucci se faire transformer en ours dans Le concile de pierre. Autant de films éloignés les uns des autres sur la forme que rapprochés sur le fond quand ils psychanalysent les angoisses existentielles du genre humain. Le nouvel opus de Nicloux, La tour, reliant pleine-ment ces fils, en se rapprochant à la fois plus clairement d'un cinéma de genre, la sé-rie B fantastique et d'une étude des réflexes tribaux. Le pitch est aussi simple qu'effi-cace : une tour HLM se retrouve entourée d'une obscurité totale qui absorbe tout ce qui sort. Le fonds lui est dense quand il ne vise rien moins qu'à raconter comment pour survivre pendant des années, les habitants vont retourner à une civilisation pri-mitive et sauvage. Est-ce que pour autant cela fait grimper le cinéma dans les étages ? Oui et non. Oui, parce que La tour est une tentative courageuse de cinéma fantas-tique français dans son refus des concessions jusqu'à assumer son nihilisme, capable du coup de rejoindre la vision désespérée des meilleurs films de John Carpenter ou de grands romans d'anticipations comme, forcément IGH de J.G Ballard auquel cette genèse d'un déclin de civilisation fait penser. Non, parce que l'écriture des person-nages reste un brin monolithique ou le récit parfois purement fonctionnel. Ce qui n'empêche pas La tour d'être plus que saluable en tenant son cap de film malaisant et peu aimable, mais encore plus de révéler derrière sa table rase d'une société pour retourner à ses racines claniques, des craintes tout aussi personnelles qu'enfantines, de la peur du noir à celles de l'abandon mais aussi celle, plus terrible pour un ci-néaste que même le cinéma ne puisse plus rien sauver, que le faisceau de lumière des projections devienne lui aussi englouti par un obscurantisme contemporain ga-gnant jusqu'à la foi dans les histoires ancestrales. Même dans ses maladresses, La tour, est touchant par sa détresse, sa trouille panique que tout finisse par un irrémé-diable fondu au noir. En salles le 8 février.
Wed, 08 Feb 2023 - 02min - 235 - LA MONTAGNE de Thomas Salvador
Thomas Salvador n’est pas qu’un cinéaste rare (deux longs-métrages en huit ans…), il fait aussi des films qui le sont. Ascension aussi existentielle que physique d’un type ordinaire qui va faire une rencontre extraordinaire lui permettant de se ressourcer, La Montagne gravit des sommets d’inventivité, de grâce mais aussi de douceur pour exprimer la saturation d’une marche du monde qui persiste à aller de traviole. Après des chaussures et une doudoune pour aller réellement tourner en altitude, Thomas Salvador et sa très belle science naturelle, est redescendu faire un tour au micro de Nova. En salles le 1er février.
Wed, 01 Feb 2023 - 10min - 234 - AMORE MIO de Guillaume Gouix
On connaissait Guillaume Gouix comme excellent acteur, ayant le don d'apporter des nuances à de nombreux personnages, dans des univers allant du polar à la chronique de mœurs. Il laissait transparaitre une sensibilité et un attrait pour la complexité humaine. Elle est encore plus présente dans son premier long-métrage de réalisateur. Amore Mio embarque deux sœurs dans un road-trip, à la fois fuite de la douleur d'un deuil et reconstruction de liens d'enfance effilochées par la vie. Il y a quelque chose d'humble et de bravache à la fois dans ce film en apparence petit mais immense d'empathie, autant porté par un fantastique duo d'actrices, Elodie Bouchez et Alyson Paradis que par une mise en scène ayant des envie de prendre l'air, d'envoyer bouler les codes. Les deux comédiennes et leur réalisateur sont au micro de Nova. En salles le 1er février
Mon, 30 Jan 2023 - 27min - 233 - THE PAINTED BIRD de Vaclav Marhoul
La guerre c'est dégueulasse mais ça fait des films stupéfiants. Du moins quand ils osent la regarder en face, ne pas flancher devant ses atrocités. Ceux-là se comptent sur les doigts d'une main. Un décompte qui se réduit quand comme The painted bird, certains ne se contentent pas d'aller au front. Le film de Vaclav Marhoul ne va d'ailleurs quasiment jamais sur le champ de bataille pour suivre un orphelin dans l'Europe de l'Est rurale. La seconde guerre mondiale reste une toile de fond pour cette odyssée façon Rémi sans famille, en plus cruel. Le gamin n'a pas de nom, n'est que le témoin d'une humanité retournée à son animalité. De rencontre en rencontre, sa découverte du monde adulte ne sera que douleurs et sévices. En dépit d'une brutalité au bord du sadisme, même quand il est excessif, The painted bird s'élève pourtant au-dessus de la complaisance. Entre autres par des ambiguïtés, lorsque les personnes les plus rudes avec ce môme sont celles généralement dépeintes comme des victimes de conflit ou à l'inverse, celles qui lui montrent un minimum de compassion portent l'uniforme des bourreaux. De même, si l'ombre de la Shoah enserre ce film, il n'est jamais certain que ce martyr en culotte courte soit juif, mais assurément un enfant instrumentalisé et rejeté, faisant l'apprentissage, psychologique comme physique, de la violence comme seul horizon. Ce, sans quasiment prononcer une phrase de tout le film. Normal, quand il n'y a plus de mots pour relater l'horreur de cette période. Le plus sidérant restant la terrassante beauté plastique de The painted bird, porté par un noir et blanc au delà du sublime, alliance d'ivoire et de charbon, confortant les liens de descendance avec L'enfance d'Ivan, le classique de Tarkovski lui aussi récit d'une enfance massacrée. Au-delà de la difficulté qu'éprouveront certains à supporter la dureté de certaines scènes dans un tel écrin, il pose évidemment la question d'esthétiser la guerre. Mais c'est pour mieux la détourner quand derrière cette fusion dérangeante entre lyrisme et fange, le choix de la bichromie renforce avant tout un propos sans équivoque, donnant aux zones grises de l'espèce humaine, la teinte amère des cendres. En Blu-ray (Spectrum films)
Thu, 26 Jan 2023 - 02min - 232 - ASHKAL de Youssef Chebbi
En décembre 2010, Mohammed Bouazzini, un vendeur ambulant de fruits et légumes s'immolait devant la préfecture de Sidi Bouzid en Tunisie pour protester contre ses conditions de vie. Un suicide qui allait embraser le pays et au-delà pour devenir l'étincelles fondatrices du Printemps arabe. Treize ans plus tard, Ashkal, s'en fait l'écho tout en voulant faire le point sur la refondation sociale de la Tunisie depuis le départ de Ben Ali du pouvoir. Le film de Youssef Chebbi suit l'enquête de deux flics, un vétéran soupçonné d'avoir été corrompu et une jeune recrue idéaliste sur un cas étrange : un corps calciné a été retrouvé dans le chantier d'un authentique programme immobilier de résidences pour la haute bourgeoisie, commandité sous Ben Ali puis abandonné. D'autres suivront. Sont-ils des témoins gênants pour une police qui essaie de faire oublier des méthodes peu glorieuses via une commission Vérité et réhabilitation ou une résurgence surnaturelle des espoirs brisés de la population ? Entre film noir et fantastique, Ashkal confirme la volonté d'une production du maghreb de renverser les codes, de raconter comment rien n'a vraiment changé dans cette période post-révolution, tout en revoyant les fondamentaux du cinéma local. L'enquête de ces deux flics déborde de son cadre de polar procédural pour interroger les attentes structurelles de la société tunisienne d'aujourd'hui et se demander comment on passe à la suite. En brûlant tout ce qui tient du passé pour mieux renaître de ses cendres ou en continuant à entretenir la flamme d'une population qui reste en rogne ? Dans la réalité, l'Etat tunisien à choisi : la réelle commission - qui s'intitulait Vérité et dignité- a, en dépit de preuves flagrantes, tout ignoré, fait le choix de l'amnésie en guise d'amnistie. Chebbi y rétorque dans son film par une sorte de croque-mitaine sans visage qui tient à la fois d'une force vengeresse et d'un espoir. Le mot Ashkal se traduit en français plus ou moins par silhouette ou schéma. C'est bel et bien ceux d'une société à venir que tente d'esquisser ce film, sans indiquer si l'incendie moral et social qui s'y régénère sans cesse est une fin de monde ou un début, un constat d'échec ou une prophétie purificatrice. En salles le 25 janvier
Tue, 24 Jan 2023 - 02min - 231 - YOUSSEF SALEM A DU SUCCÈS de Baya Kasmi
Il faudra peut-être finir par se pencher sur l'un des traits de caractère les plus ancrés de la comédie à la française, cette inclinaison pour les sujets de société, ce besoin de partir du réel pour faire rire. Ailleurs il y a des Ken Loach, des Ashgar Farhadi et d'autres qui racontent les failles du modèle social en prenant le parti pris de drame domestique, ici on chronique depuis des décennies l'époque en cours par la poilade. Le panorama est large, de l'orfèvrerie d'un Francis Veber ou d'un Pierre Salvadori à la bienveillance bon enfant d'un Dany Boon, mais il existe à l'intérieur de cette sphère, une bulle plus particulière, où l'humour se teinte de politique. Parfois en bottant en touche – on va pas dire que les Qu'est-ce qu'on a fait au bon dieu ? Énorme carton de ces dernières années revendiquent pleinement, sauf par la présence de Christian Clavier, d'être des comédies de droite - mais aussi en l'assumant pleinement. Ainsi de Baya Kasmi et Michel Leclerc, ne cachant pas faire un cinéma de gauche. Parfois c'est l'un qui réalise, parfois c'est l'autre, mais généralement les deux co-écrivent des films singuliers quand, du Nom des gens au plus récent Les goûts et les couleurs , ils interrogent le poids du social sur l'intime. Youssef Salem a du succès marque cependant un nouvelle étape en inversant cette doxa. Soit le parcours de Youssef, français pas de souche, écrivain anonyme qui devient connu du jour au lendemain en décrochant le Goncourt avec un roman qui n'en est pas vraiment un, puisque très inspiré par sa famille d'origine algérienne. Sauf qu'il n'a jamais prévenu sœurs, frère ou parents de sa rédaction. Devant la trouille que cette fiction provoque des frictions, il va tout faire pour cacher son existence. Voilà pour les mécanismes usuels de quiproquos. Youssef Salem a du succès est plus interessant quand il ouvre des portes généralement dérobées dans le cinéma grand public français plutôt que de les faire claquer. Kasmi et Leclerc mettent volontairement les pieds dans le plat pour s'attaquer à la question de l'intégration, mais surtout des clichés d'un discours médiatique et politique, qui parle et pense souvent à la place de cette descendance d'immigrés. Youssef Salem a du succès remet les pendules à l'heure en s'attaquant à la crise d'identité d'un écrivain coincé entre son cercle familial et celui de la célébrité, mais pour aller vers un universalisme quand il explore en fait la difficulté de grandir, de s'émanciper, de devenir pleinement soi. Sans renoncer à remettre en question la représentation et la place des arabes dans la France actuelle comme dans son cinéma grand public, Kasmi et Leclerc délestent intelligemment ce personnage de ce poids en en le rapprochant sans cesse d'un quadragénaire ordinaire qui n'a toujours rien réglé, de son rapport à la sexualité à sa trouille de ne pas être un bon fils faute d'avoir psychanalytiquement tué le père. A la toute fin, une très jolie pirouette lui rappellera qu'il est loin d'avoir écrit le point final de son histoire. Même avec certaines longueurs ou insistances, Youssef Salem a du succès a, lui, au minimum, le mérite de faire avancer celle de la comédie de mœurs contemporaine. En salles le 18 janvier
Wed, 18 Jan 2023 - 03min - 230 - DE HUMANI CORPORIS FABRICA de Véréna Paravel et Lucien Castaing Taylor
La réforme des retraites à venir a relancé pas mal de sujets . Notamment celui de la pénibilité des emplois, donc du rapport au corps. Par extension, on pourrait rapidement en arriver à une autre crise en cours, celle de l'hôpital public, ou d'autres comme celle du paraître sur les réseaux sociaux ou les violences sexistes. Il ne faut pas creuser bien loin pour constater que le corps humain reste le pilier névralgique de nos sociétés. Pour autant, à l'ère de la dématérialisation généralisée il est de moins en moins au centre des débats. Les documentaristes Véréna Paravel et Lucien Castaing-Taylor opèrent une piqure de rappel avec De humani corporis fabrica, film regardant plus qu'à la loupe le corps, en s'y insérant littéralement, via des caméras chirurgicales immergeant à l'intérieur même des chairs. Ça ne se fait pas sans mal quand les images aussi inédites soient-elles au cinéma, de ce cours d'anatomie in vivo touchent forcément à un tabou contemporain en rappelant que nous sommes avant tous des agrégats de viande, une tuyauterie organique. D'où cette précaution d'usage : De humani corporis fabrica n'est pas fait pour les petites natures puisqu'il ne prend pas de pincettes mais des écarteurs pour s'immerger en vision subjective dans les viscères, est un véritable trip sensoriel plongeant dans les tripes. Pour autant, Paravel et Castaing-Taylor en font un sidérant film d'exploration, la vision macroscopique d'organes faisant des corps un décor de vaisseau extraterrestre, voire un monde étranger virant à une abstraction formelle pas dénuée de poétique. De humani corporis fabrica remettant les pieds sur Terre en n'oubliant pas une portée politique. Entendre, un chirurgien en pleine opération qu'il est perdu, ou des infirmiers s'engueuler sur les permanences à tenir, c'est aussi parler d'autres organismes malades, celui du corps hospitalier. Et si certains pourront être choqués par les images crues voire gore d'une césarienne ou d'un récurage de bite, la véritable violence dans ce documentaire inouï n'est pas graphique. Une des scènes les plus éprouvantes de De humani corporis fabrica suit une opération sur la rétine d'un œil. De quoi confirmer que ce film parle bien du regard sur les choses, de la manière dont on a fini par ne plus en voir certaines. Non seulement les entrailles d'un hôpital devenant ici plus labyrinthiques que celle humaines, mais la sensation d'effroi s'y fait plus manifeste quand Paravel et Casting-Taylor s'y aventurent. De humani corporis fabrica se fait alors véritable film d'horreur quand après un voyage extraordinaire in utero qui révèle forcément la sensibilité aux images, il dissèque la redoutable banalité d'une souffrance sociale pour mieux la faire sauter aux yeux.
Wed, 11 Jan 2023 - 04min - 229 - EVERYTHING EVERYWHERE ALL AT ONCE des Daniels
Ca y'est, c'est bon on en a fini avec 2022. Y compris du côté du cinéma ? Peut-être pas tout à fait. Si les chiffres officiels de fréquentations des salles françaises sont tombés via un rapport du CNC clôturant les comptes, il reste malgré tout des films sortis l'an dernier à rattraper ou à remettre en avant. Ce que permet l'avènement de la vidéo, leur offrant plusieurs vies. Ce qui tombe fort à propos pour Everything everywhere, all at once, opus délirant au minimum parce qu'il dote justement son personnage principal de vies aussi multiples que simultanées. Ça à l'air compliqué, comme ça, mais le film de Daniel Kwan et Daniel Scheinert, fusionnés sous le pseudonyme des Daniels est finalement très ancré dans son époque en incarnant pleinement le concept très tendance de multivers. Soit donc Evelyn, la patronne d'une laverie, qui alors qui en plus d'une crise familiale, d'un mari qui veut divorcer à un père qui lui reproche d'être une émigrante et d'un contrôle fiscal qui pourrait la mettre sur la paille, apprend qu'il existe plusieurs versions d'elle dans des réalités parallèles, qu'elle doit unir pour empêcher la destruction du monde. Soit un pitch totalement barré, quelque part entre Matrix et la série Rick et Morty, mais surtout une réalisation tout aussi démultipliée que son héroïne, combinant plusieurs registres du film de super-héros à la chronique de mœurs ou la comédie loufoque. Oh là, est-ce qu'a force donc de vouloir tout, partout et en même temps, ce film ne serait pas un peu too much ? C'est justement là où les Daniels impressionnent et imposent leur film comme un nouveau jalon d'un pop-culture globalisée. Everything everywhere all at once est effectivement plein comme un œuf. Mais avant tout d'idées hypercréatives, comme une scène de discussion muette entre Evelyn et sa fille ou un baston ou les combattant ont des saucisses géantes à la place des doigts. Le tout ayant des airs de brainstorming entre l'artisanat d'un Michel Gondry et la frénésie d'un Spike Jonze, ne craignant pas les digressions mais ne perdant jamais de vue un propos paradoxalement plus méditatif sur ce qu'est l'expérience de vivre dans un monde contemporain ou tout n'est que diversion pour détourner des valeurs existentielles. A l'heure où tout force à aller plus vite, pour un hypnotique zapping permanent ne laissant plus le temps de la réflexion, Everything Everywhere all at once rappelle à quel point nous vivons dans un leurre, une fuite de la réalité des choses. Les Daniels organisant ici une piqure de rappel en injectant peu à peu de la mélancolie dans leur chaos. Everything Everywhere all at once, muant ainsi en œil du cyclone par un discours in fine très Zen, posé au cœur d'un Big Bang tellurique, a l'image de son image récurrente, d'un tambour de machine à laver ou d'un donut philosophe, d'un monde qui tourne à toute allure au point de ne plus voir que si le sens de la vie est insondable, il reste immuablement son centre. En Blu-ray (Originals Factory)
Wed, 04 Jan 2023 - 03min - 228 - GODLAND d’Hylnur Palmason
Le cinéma c'est forcément une histoire de foi. Dans les images comme dans les récits. Certains cinéastes en font des territoires sauvages à traverser. Parfois littéralement, comme dans Godland. Un tout jeune prêtre danois doit y parcourir l'Islande, pour aller construire et prêcher dans la nouvelle église d'un village. Sur une carte, le danemark et l'Islande ne sont pas si éloignés que ça, mais le film d'Hylnur Palmason affirme qu'au XIXe siècle tout les séparait,et qu'il faut en passer par un chemin de croix pour les joindre. Une scission qui s'affiche dès l'apparition du titre à l'écran, précisé en danois et en islandais. Et se confirme, avec un scénario en deux temps. D'abord le parcours du prêtre à travers une nature aussi splendide qu'hostile, puis son intégration dans une paroisse qui ne veut pas de lui. Il faut dire que Godland revient sur cette période où l'Islande n'était qu'une colonie danoise, que le royaume entendait bien évangéliser. Palmason compte bien lui porter une autre bonne parole, celle d'un cinéma volcanique et rugueux, compagnon des épopées telluriques d'un Werner Herzog ou d'un Michael Cimino. Comme leurs plus grands films, Godland voit les mouvements civilisationnels comme une âpre aventure, une expédition en terre inconnue. Palmason y rajoutant un geste primitif en étant filmé comme aux débuts, dans un format carré et une image granuleuse. Ou en s'étant confronté véritablement aux lois naturelles, par exemple en ayant réellement attendu lors de prises de vues étalées sur plusieurs années que les saisons passent ou qu'un cadavre de cheval se décompose. Ainsi en parallèle de Lucas, le prêtre qui s'essaie à apprendre la langue islandaise, Palmason fait réapprendre celle du cinéma. Le tout pour remettre les choses à la bonne échelle, rappeler que l'humain n'est finalement qu'une particule dans la genèse du monde. Et Dieu dans tout ça ? Il se cache peut-être bien dans un film monumental, touché autant par la glace que par la grâce. En salles le 21 décembre
Tue, 20 Dec 2022 - 02min - 227 - LES HUIT MONTAGNES de Félix Van Groeningen et Charlotte Vandermeersch
Avec La merditude des choses ou Alabama Monroe, Felix Van Groeningen s’était établi comme un brillant chroniqueur de l’âme belge. Associé à sa compagne, Charlotte Vandemeersch, il vise encore plus haut et transcende un best seller ésotérique italien en ascension existentielle. Rencontre.
Tue, 20 Dec 2022 - 11min - 226 - LA POUPÉE de Wojciech Has
Il n'aura échappé à personne qu'aujourd'hui sort Avatar, la voie de l'eau dont vous entendrez forcément parler jusqu'à plus soif. Pour autant, malgré cette surexposition médiatique, il existe d'autres sources de cinéma auxquelles s'abreuver. Pendant que les foules ne manqueront pas d'aller s'immerger dans les nouvelles aventures des Na'vi, ces alien bleutés, une autre saga, plus extraterrestre encore est sur les écrans. Pas besoin de lunettes 3D pour accéder au relief mental de La poupée, saga baroque d'un homme d'affaire fou d'amour pour une aristocrate déchue dans la Pologne de la fin du XIXe siècle. Aux commandes Wojciech Has, réalisateur autant fan de récits balzaciens que de structures feuilletonnesques. A la fois contemporain d'un Fellini, et précurseur d'un Kusturica, Has faisait tonner en 1968 un cinéma ogresque, baroque dans la forme, cinglant dans le fond, pour raconter une Pologne entre décadence, restes de pratique féodales et appât du gain. Une Poupée qui est donc loin d'être de cire. D'autant plus quand La poupée associe flamboyance et vision d'une société rance, où les barreaux de l'échelle sociale sont vermoulus, empêchant de pleinement grimper quand on vient d'une extraction populaire, mais aussi de totalement tomber dans la déchéance quand on est issu de la bourgeoisie. Has parvient au tour de force, d'un film formellement des plus vivant pour exprimer un monde moribond mais enluminé par une mise en scène folle, confrontant visions oniriques et relations tenant de la nature morte. A la splendeur des images se superpose la misère morale : ici une cour des miracles à la Dickens peut côtoyer le velours mélancolique d'un Visconti , le tout sous un regard acerbe, rappelant celui du Welles de Citizen Kane. A l'époque de sa sortie, La poupée cachait dans ses replis une cinglante lecture sociopolitique d'une Pologne en pleine désillusions d'utopies post-stalinisme. Cinquante-quatre ans plus tard, il n'est pas défendu de voir dans cette chronique où les dorures des beaux salons sont rongés par la fange d'une bourgeoisie cireuse, celle d'une Europe plus que jamais calcifiée dans un rapport de force entre classes sociales. La poupée entérinant sa puissance de manifeste aussi fièvreux que poignant quand les années n'ont pas entamé sa volonté de rompre avec cet immobilisme.
Wed, 14 Dec 2022 - 02min - 225 - MOURIR À IBIZA d'Anton Balekdjian, Léo Couture et Mattéo Eustachon
Quel drôle de titre que Mourir à Ibiza. Ca a à la fois des airs de chanson de variété romantique des années 80 et d'un roman de Houellebecq. Mais il n'y a rien de tout ça ici, puisque ce premier film parle avant tout de vie. Celles de quatre vingtenaires à l'aube de la trentaine, bande qui se crée par hasard, quand Léa venue rejoindre un ami qu'elle espérait devenir amour à Arles tombe sur Ali et Maurice un commis boulanger et un apprenti gladiateur, rapidement suivi de Marius, le prétendant de Léa qui prétend surtout à prendre la tangente sur les mers. Mourir à Ibiza les visitera le temps de trois étés successifs au gré d'une amitié à dimensions variables. Ca pourrait être un film de Rohmer ou de Despleschin, avec qui ce film partage l'art de la fausse légèreté ou celui de la chronique du temps qui passe et de ses désillusions. C'est autre chose, Mourir à Ibiza, une parenthèse désenchantée où l'on peut pourtant se laisser aller à des moments de comédie musicale. Une promenade se laissant porter par un sens de la dérive, épluchant les couches de jeunesse qui s'en vont. Derrière la caméra et le stylo, il y a une autre bande, un trio de réalisateurs Anton Balekdjian, Léo Couture et Mattéo Eustachon, qui organisent avec finesse les chassés croisés entre Léa et ses compères, en prenant bien soin de prendre des déviations pour fuir les stéréotypes du film d'apprentissage en floutant les pistes, puisque rien ne dit quand Mourir à Ibiza se passe, sans doute quelque part entre les années 80 et 2020. Un flou joliment tamisé d'où émerge pourtant un récit très contemporain de ce qu'est l'amitié, dans ses élans, ses frustrations ou son instabilité. Elle est peut-être le reflet de celle qui lie les réalisateurs, désormais liés par cette étonnante œuvre de jeunesse dans tous les sens du terme, particulièrement touchante quand elle ne craint pas de montrer ses vulnérabilités ou sa mélancolie. Et par là, un remarquable portrait générationnel, assurant que la vie n'est qu'un voyage où l'on navigue comme on peut, mais où il faut garder, quoiqu'il arrive les yeux sur l'horizon. En salles le 7 décembre
Wed, 07 Dec 2022 - 02min - 224 - POURQUOI PAS de Coline Serreau
Il n’y a pas si longtemps, le mot trouple n’existait pas. Encore moins dans les films français de la fin des années 70. Y parler de bisexualité, même dans la production porno de l’époque, était impensable. Au mieux, on avançait l’idée de triangle amoureux, mais tout en restant sous le sceau d’une hétéronormalisation. Même dans les cas évident de relation à trois, comme dans le Jules et Jim de Truffaut, impossible d’en sortir. Et puis Coline Serreau est arrivée pour ruer dans les brancards avec Pourquoi pas !, récit d’une parenthèse enchantée entre deux hommes et une femme partageant le même lit. Un titre affirmatif arborant un point d’exclamation et non d’interrogation. Peut-être parce qu’il était encore temps dans ces années 70 de revendiquer la possibilité d’utopie repensant les modèles sociaux, qu’ils soient amoureux ou familiaux, en faire les bases de relations harmonieuses. Sauf qu' à l’époque, il était déjà difficile de vivre d’amour et d’eau fraîche… C’est là ou Pourquoi pas ! reste un film ahurissant en interrogeant au-delà de la sexualité les questions économiques avec une même philosophie de l’épanouissement. Le trio y a devancé jusqu’à l’idée de charge mentale ou de position économique. Aucun souci à ce que l’un des deux hommes s’occupe des tâches ménagères ni à ce que ce soit une femme qui subvienne financièrement à leurs besoins. Tout n’étant pas pour autant si facile quand chacun reste ici enchaîné à leur vie d’avant, quand l’une est constamment sommée de réintégrer le foyer conjugal par un mari, l’autre des enfants que leur nouvelle situation, forcément amorale aux yeux du monde, empêche de voir. Sans compter l’irruption d’une quatrième personne qui pourrait faire voler en éclat ce polyamour harmonieux. Le plus beau dans Pourquoi pas ! Étant son plaidoyer, via cette mini-tribu, pour la liberté d’être différent afin de mieux conquérir le quotidien. Serreau l'adapte à un scénario et une mise en scène en reflet d’une vie ordinaire d’un trio qui ne l’est pas, filmant avec un parfait naturel sautes d’humeurs, coups de gueule, de folie ou de blues. De quoi s’exonérer d’une vision moralisatrice pour transformer un marivaudage moderne en élan, voire en programme de vie. A l'époque de sa sortie, Pourquoi pas ! avait provoqué un beau remue-méninges autour de son ménage à trois. Il restera de courte durée : en dépit d'un accueil public et critique chaleureux, ce film deviendra rapidement invisible, faute d'être diffusé sur une télé encore empreinte de la pruderie de l'ORTF. Il réapparait aujourd'hui dans une version restaurée, qui renforce sa part d'actualité quand les questions posées il y a quarante-cinq ans restent prégnantes dans une époque qui confond développement personnel et rendement économique. Alors pourquoi se priver de Pourquoi pas ! et sa quête de bonheur pour tenter d'enfin remettre tout à plat ? En salles le 7 décembre
Wed, 07 Dec 2022 - 03min - 223 - ANNIE COLÈRE de Blandine Lenoir
Le 24 novembre pourrait bien rester une date importante : celle qui marquerait le début de processus d'inscription dans la constitution française le droit à l'IVG. Il n'y avait pas mieux pour accompagner la sortie d'Annie Colère, film qui revient justement sur une page d'histoire du combat pour l'avortement. Plus précisément sur la courte aventure du MLAC, le Mouvement pour la Liberté de l'Avortement et la contraception. De 1973 à 1975, les membres de cette association se sont battues pour la légalisation de l'IVG tout en permettant à des femmes à pouvoir la pratiquer, certes illégalement, mais avec une méthode beaucoup moins risquée qu'en passant par les faiseuses d'anges, l'aiguille à tricoter ou le cintre. Annie Colère ne se contente pourtant pas de retracer ce parcours clandestin, le nouveau film de Blandine Lenoir tricote tout autant une chronique de la solidarité féminine dans cette France d'avant la loi Veil. Contrairement à L'évènement, autre film autour de l'avortement, sorti l'an dernier, Annie colère prend le parti pris de ne pas en faire un sujet de fait divers, mais d'amplifier la portée sociale, pour en faire quasiment un acte de naissance, celui d'une découverte de liberté pour les femmes via un récit galvanisant d'apprentissage. A la pédagogie de scènes d'opérations pratiquées à la maison, filmées sans suspense mortifère s'ajoute une autre, à l'opposé du traitement usuel de ce sujet au cinéma : ici pas de leçon de morale ni de dolorisme didactique, mais un cas rare de regard inclusif. Plus Annie colère avance, plus il renforce un sens citoyen du collectif qui fait corps autour d'un personnage central, mais de moins en moins principal, de française moyenne, ingénue découvrant au-dela du MLAC, des possibilités émancipatrices. Ce film devenant une jolie claque quand il transforme le militantisme en voie douce mais déterminée de l'engagement, pratique la politique de l'écoute et de la bienveillance. Ravivant le souvenir d'un cinéma français féministe d'époque – que ce soit en faisant écho au L'une chante, l'autre pas de Varda ou en faisant référence à Delphine Seyrig, actrice engagée dans le combat pour le droits des femmes- Annie Colère n'en oublie pas pour autant de regarder le présent, voire le futur en mettant en avant, dans une période de claire menace régressive, la volonté de transmission, en rappelant l'histoire étonnamment oubliée du MLAC comme son appel à une nécéssaire désobéissance civile ou en appelant les générations à venir à rester vigilantes. A ce stade on ne sait pas ce qu'il adviendra de la proposition de loi adoptée par les députées, qui doit maintenant passer par le Sénat pour être promulguée. En attendant, si rien n'est donc encore gagné, qu'Annie Colère puisse aborder frontalement ce sujet tout en étant un film éminemment solaire voire potentiellement ultra-populaire est déjà une victoire en soi. En salle le 30 novembre
Fri, 02 Dec 2022 - 03min - 222 - INU-OH de Maasaki Yuasa
Cette semaine, le cinéma d'animation a été frappé par une secousse tellurique : Bob Iger, l'ancien patron de Disney a été prié de revenir prendre les commandes de la maison de Mickey, pour faire remonter la côte de ses actions en bourse. Et surtout remplacer Bob Chapek, son successeur, qui aurait fait pas mal de trous dans le gros fromage de la souris, notamment avec des choix hasardeux comme celui de priver les salles de certains crus d'une spécialité maison, le cinéma d'animation, au profit de leur plateforme Disney + ou débarquèrent directement Soul ou Alerte rouge. Au même moment, on a vu apparaître la bande-annonce, assez terne, d'Elementaire, le prochain Pixar, qui devrait donc trouver le chemin des salles courant 2023. C'est là, que toujours cette semaine, on peut découvrir une autre secousse tellurique qui laisse penser que ces mouvements chez Disney sont déjà obsolètes, tant Inu-oh, opus frappadingue de japanimation, les mets à l'amende. Le nouveau film de Masaaki Yuasa a plusieurs longueurs d'avance, ne serait-ce qu'en commentant avec une histoire improbable de rock-star à l'époque des shogun, le monde du divertissement, pour mieux le pousser à se régénérer en spectacle total. Ici, une guerre de clans fait muer la trajectoire d'une troupe musicale du 14e siècle en relecture des usages du showbiz d'aujourd'hui. Inu-oh fusionne folklore des récits de karma, tradition du théâtre Noh et opéra-rock dans une succession de scènes démentielles. Tenant de la performance graphique et scénique, la fable sur les aléas d'une obsession pour la célébrité glisse vers une forme inédite de film-concert combinant numéros musicaux éléctrisants et différentes textures d'animation, allant du figuratif à l'abstrait, d'une 2D aquarelliste à une 3D immersive. Un peu comme si Gorillaz ou les Shaka Ponk fabriquaient un hologramme de Jimi Hendrix ou de Freddy Mercury pour se lancer dans un cours d'histoire de la culture japonaise à travers les âges. A la fois énergiquement moderne, dans sa forme et philosophe dans sa réflexion sur la necéssité pour les artistes de vivre de leur art tout en devant incarner une rébellion à l'ordre établi, Inu-Oh reprend ces propres principe à son propre actif, pour un film défendant bec et ongles une identité forte en gueule, portée par l'ahurissant relief sonore de chansons au potentiel d' hymnes survoltés pour concerts dans des stades. Forcément, Inu-Oh ne bénéficiera pas de la même puissance marketing qu'un dessin animé Disney, on se suprend donc d'autant plus à rêver que des parents nostalgiques de purs show scéniques emmènent leurs rejetons voir ce film qui fait taper du pied, et que cette marmaille s'entiche autant de ses chansons qu'elle le fut du fameux « Libéré, délivré-éééééé » de la Reine des neiges, paroles qui résument en fait pleinement, l'esprit d'Inu-oh, Roi des guitares éléctriques dans un dessin animé qui fait voler en éclats les carcans. En salles le 23 novembre
Wed, 23 Nov 2022 - 03min - 221 - BLACK IS BELTZA II de Fermin Muguruza
Le nom de Fermin Muguruza fera sans doute plus écho chez les amateurs de musique que de cinéma. Surtout chez les fans de punk rock, Muguruza étant une légende de la scène basque, via les groupes Kortatu ou Negu Gorriak. Mais cette figure du militantisme est aussi un auteur de BD et un réalisateur. Et dans tous les cas, un gars énervé. En 2018, Black is Beltza – qu'on peut toujours voir sur Netflix- collait aux trousses d'un basque traversant les années 60 et ses secousses mondiales. Sa suite, reprend le même flambeau vingt ans plus tard, en collant aux basques d'Ainhoa sa fille cubaine voulant renouer avec ses racines. Comme son prédécesseur, Black is Beltza II ne tient pas en place pour esquiver les balles perdues d'un monde, qui du moyen-orient à l'asie centrale ou l'Europe découvrait une seconde guerre froide après la chute des blocs Est/Ouest. Muguruza en fait un dessin animé déchaîné, mi-thriller d'espionnage, mi-road trip planétaire ou tout est connecté par l'organisation étatique d'une guerre sale. Son flux est le trafic d'héroïne filtré selon Muguruza par les gouvernements et services secrets espagnols, français ou américains, liés pour éradiquer la contestation qu'elle soit au Liban, au Nicaragua ou en Afghanistan. Et du coup qu'est ce que trafique l'autre héroïne du film ? Ainhoa injecte, elle, une force détonnante à Black is beltza II, en étant témoin des mutations de ces années 80, des années de plomb espagnoles à la chute du mur. Mais toujours avec cette capacité d'incarner un militantisme social et politique dans ce qu'il a de plus fougueux. Qu'on la retrouve aux cotés des sandinistes ou des femmes kurdes, elle affirme une résistance, appuyée par Murguruza, qui en fait une passionaria libre d'esprit comme de corps. Plus encore que certains personnages friands de dope,c'est le scénario et la réalisation qui se défoncent le plus, dans une fusion folle emmenant autant dans le Beyrouth de Valse avec Bashir que dans le Marseille de la French Connection. Black is beltza II n'oubliant pas d'aborder une autre révolution, quand ici les sexualités se mélangent ou quand Ainhoa lache que les filles devraient se méfier de machisme-léninisme. Avec un film levant fièrement le poing autant qu'il fait des doigts à toute idée d'oppression, Muguruza assure que la lutte est loin d'être finie mais que rien n'empêche qu'elle soit menée de manière énergique et sexy. En salles le 16 novembre
Wed, 16 Nov 2022 - 02min
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